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Tebboune se vouvoie !

Tebboune, le président algérien

Il est dans le destin des autocrates de finir par croire en leur incarnation du tout. Un état psychiatrique qui est la dernière étape d’une ascension par la terreur. C’est le cas de notre Abdelmadjid national dans une intervention lors de l’ouverture de l’année judiciaire 2025-2026. Il annonce que le nouveau statut de la magistrature sera promulgué avant la fin de l’année 2026. 

J’ai lu un extrait de son discours (très rare) reproduit dans la presse qui illustre l’illumination de ce président installé dans les hauteurs de son délire. Voici l’extrait :

« Convaincus du rôle vital de la magistrature, nous avons constamment insisté, dans les directives adressées au Gouvernement, sur la nécessité de bien prendre en charge les fonctionnaires du secteur de la justice et de poursuivre les efforts visant à moraliser l’action judiciaire et à la promouvoir en termes de qualité et d’efficacité », bla, bla, bla…

Rien ne vous a surpris ? Commençons par ce qui est le plus burlesque, il se vouvoie  « Convaincus  (au pluriel)…directives adressées au Gouvernement… ». Qui est ce « nous » que représente le pluriel ? Puis, si ce n’est pas le président, c’est le gouvernement qui a adressé les directives à lui-même ? 

Le réflexe oratoire est tout à fait conforme à la réalité, le gouvernement et autres instances de l’état, c’est lui. Il est tellement pénétré par cette croyance intime que le vouvoiement en parlant de sa personne est naturel dans l’usage de ses paroles.

Mais il y a plus sérieux, n’avez-vous pas trouvé le second élément ? Voilà que les magistrats sont des fonctionnaires. Les fonctions dans leur nom légal ont-elles été modifiées et je ne m’en suis pas rendu compte ?  Je suis allé à la recherche documentaire la plus évidente.

Les magistrats, comme il est normal de le lire dans cette documentation, n’ont pas le statut de fonctionnaires. Le statut des magistrats est intégré dans la loi organique 04-11 du 6 septembre 2004 suivie par deux modifications (la précision de la référence provient de ma rapide recherche et non de mon érudition).

Pas besoin d’être docteur en droit pour savoir que le statut de la magistrature est indépendant de celui des fonctionnaires. Abdelmadjid n’a jamais dû lire Montesquieu et sa théorie de la séparation des pouvoirs.

Un fonctionnaire est sous statut de la fonction publique et placé sous la subordination du pouvoir exécutif, au plus haut rang duquel est le Président. Les magistrats sont donc soumis à son autorité hiérarchique et non indépendants comme je le lis dans son discours (ou alors je dois revoir mon français). C’est pour cela qu’une loi organique, supérieure à la loi ordinaire, est justifiée par l’importance donnée en vertu de la séparation des pouvoirs et le respect de leur indépendance. 

Nous l’avons déjà dit, la séparation des pouvoirs, surtout en rapport avec le sien, est un concept qui lui est inconnu et même impossible de concevoir. Elle est pourtant dans la constitution qu’il a rédigée au-dessus des épaules des constitutionnalistes algériens.

Abdelmadjid se vouvoie et estime que les juges sont des fonctionnaires, il y a un fait qu’on ne peut pas lui renier, c’est conforme à la réalité. Enfin un président qui la dit à ses sujets. 

Mais tant qu’à concevoir que le pouvoir judiciaire, c’est lui, il faut en rajouter une couche. L’article 180 de la constitution nous précise que le président de la république est de plein droit le président du Conseil Supérieure de la Magistrature. Photocopier la constitution française dans ce qu’il y a de bon et rejeter ce qu’il y a de mauvais pour le régime militaire est une pratique courante pour nos grands universitaires constitutionnalistes sous ordres. 

Et c’est bien le cas car le texte français avait supprimé cette anomalie à la séparation des pouvoirs. Le Président de la république français ne préside plus le Conseil Supérieur de la Magistrature depuis la révision constitutionnelle de 2008. Il reste uniquement le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Cette dernière raison avait légitimé qu’il en soit le président sans avoir de pouvoir hiérarchique sur les magistrats. Mais c’était anormal.

Ah, j’oubliais, la cérémonie s’est terminée par l’hymne national et la magistrature, debout comme un seul homme applaudissant le président. C’est rigolo car il existe une magistrature « assise » dite « du siège » et ceux qui sont qualifiés de « debout ». Mais lorsque le président est présent, le statut de sujet du roi reprend le dessus, ils se couchent. La sémantique a souvent de l’humour. 

Lorsque le statut des magistrats algériens garantira la séparation des pouvoirs inscrite dans la constitution, vous viendrez me le dire au pied de ma tombe (une expression que j’utilise souvent concernant l’Algérie). 

Je vous attendrai, j’ai toute l’éternité pour cela.

Boumediene Sid Lakhdar

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