Le tirage au sort de la CAN 2025 qui se déroulera au Maroc du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026 vient d’être effectué, il a donné un coup d’envoi symbolique à cette manifestation footballistique du continent africain. Au-delà de l’aspect purement sportif, cet événement pourrait-il marquer un tournant dans les relations entre l’Algérie et le Maroc ?
Un contexte de tension historique
Les relations entre l’Algérie et le Maroc sont particulièrement conflictuelles depuis des décennies. La question du Sahara occidental est au cœur de ces désaccords. Cette rivalité s’est intensifiée ces dernières années, avec la rupture des relations diplomatiques en 2021 et des échanges tendus entre les deux gouvernements renforçant le sentiment de division entre les deux peuples. La fermeture des frontières entre les deux pays symbolise cette division. Les différends entre les deux pays se sont étendus aux autres domaines comme le patrimoine (zellige, les costumes, couscous) et le sport (affaire de la carte sur le maillot de l’équipe RS Berkane en coupe d’Afrique des clubs).
Face à ces tensions, cet événement sportif d’envergure pourrait-il être une leçon d’unité donnée par les supporters algériens et marocains à leurs dirigeants ?
Les stades de football, un espace vibrant d’expression politique
En Algérie et au Maroc, les stades de football ne sont pas seulement des lieux de divertissement : ils sont aussi des espaces où la jeunesse exprime sa frustration et ses revendications politiques et sociales. Dans ces contextes socio-économiques et politiques difficiles, les gradins des stades sont devenus des tribunes où les supporters portent à l’unisson la « voix du peuple ».
En Algérie, les tribunes des stades ont souvent été le théâtre de slogans et de chants porteurs de messages politiques. Les tribunes des stades où évoluait la JSK résonnent encore de chants et de slogans ainsi que des hymnes célébrant l’histoire et les valeurs de la région. Le chant « Ulach smah ulach » (Pas de pardon) a été repris dans de nombreuses manifestations sportives depuis les événements de 2001.
Lors du Hirak 2019, les supporters algériens ont transformé leurs stades en plateformes pour exprimer leur colère contre le régime politique, dénonçant la corruption, l’injustice sociale et le manque de perspectives pour la jeunesse. Le chant « La Casa del Mouradia » (en référence à la résidence présidentielle) a rapidement dépassé les stades pour devenir l’hymne national du mouvement. Les supporters du club l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA) ont joué un rôle clé dans la diffusion de ces messages, illustrant comment le football en Algérie dépasse largement le cadre sportif.
Les tribunes des stades de football sont devenues un espace où la jeunesse algérienne peut exprimer librement ses opinions et aspirations loin des canaux officiels dont elle est souvent exclue.
Au Maroc, les tribunes des stades ont également été le berceau de critiques politiques et sociales. Les ultras se sont imposés comme des acteurs majeurs de la contestation à travers des chants, des tifos (grandes fresques visuelles).
Le chant « F’bladi delmouni » (« Dans mon pays, ils m’ont opprimé »), popularisé par les supporters du Raja Casablanca, est devenu un véritable cri de ralliement pour dénoncer les inégalités sociales, le chômage et l’absence de perspectives pour les jeunes Marocains. Ce chant, à l’origine cantonné aux stades, a rapidement envahi les réseaux sociaux, touchant une population bien au-delà des cercles de supporters. Lors de certains matchs, des fresques illustrant des thématiques telles que la lutte contre la corruption ou la dénonciation de l’oppression sociale ont marqué les esprits.
Cependant, l’expression politique dans les tribunes marocaines est parfois réprimée. Des heurts avec les forces de l’ordre sont souvent signalés. Cela n’a pas empêché les ultras de continuer à utiliser les stades comme des espaces de contestation.
CAN 2025 : un pont entre les deux peuples ?
Lors de la CAN 2025, il est probable que les supporters des deux pays continuent d’exprimer leurs revendications à l’occasion des matchs des deux équipes. Les tribunes pourraient ainsi devenir un lieu de rencontre, où la jeunesse algérienne et marocaine aura une occasion de crier son ras-le-bol de cette division et porter un message d’unité et de solidarité non seulement à leurs compatriotes, mais aussi à leurs dirigeants.
Le football a le pouvoir de transcender les divisions politiques. Les supporters des deux pays sont connus pour leur passion débordante dans les stades de football. En 2019, les Algériens avaient célébré la victoire de leur équipe lors de la CAN en Égypte avec des manifestations de joie qui avaient traversé les frontières, trouvant un écho chez les Marocains. De même, les Marocains ont été soutenus par leurs voisins algériens lors de la Coupe du Monde 2022.
Le défi logistique des frontières fermées
Depuis la fermeture de la frontière, les déplacements directs entre les deux pays sont impossibles, obligeant les voyageurs à transiter par des pays tiers. Pour les supporters vivant en Algérie, assister à la CAN 2025 nécessitera probablement de prendre un vol via des escales en Tunisie, en Espagne ou en France. Ce contexte complique la logistique et augmente considérablement le coût du voyage, de plus l’obtention du visa d’entrée sur le territoire marocain reste incertaine.
La diaspora algérienne, principalement installée en France, en Espagne, en Belgique et au Canada, bénéficie d’un accès facilité au Maroc grâce à des vols directs ou même des traversées maritimes depuis l’Espagne et la France. Souvent, ils sont porteurs de la double nationalité et n’ont pas besoin de visa pour entrer au Maroc.
Pour ces supporters, la CAN 2025 pourrait représenter une double opportunité : non seulement celle de soutenir l’équipe nationale, mais aussi de contribuer à renforcer les liens entre les peuples algérien et marocain. Les membres de la diaspora incarnent une certaine neutralité par rapport aux tensions politiques locales, favorisant des interactions plus apaisées.
Si les supporters parviennent à éviter les pièges et les manipulations, la CAN 2025 pourrait devenir un symbole fort de retrouvailles entre les peuples algérien et marocain. Le succès de cette initiative dépendra largement de l’attitude des autorités des deux pays, notamment concernant la libre circulation des supporters et leur sécurité.
Cette compétition pourrait ainsi devenir une leçon d’unité donnée par les peuples à leurs dirigeants, rappelant que ce qui unit l’Algérie et le Maroc est plus fort que ce qui les divise, mais gare aux trouble-fête !
Rabah Aït Abache