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Toufik Hedna : « Mon parcours est une quête de beauté et de sens »

Toufik Hedna

Toufik Hedna

Toufik Hedna est né à Sétif, c’est un enfant de l’indépendance, bercé dès l’enfance par les contes de sa famille et les récits bouleversants du 8 mai 1945 et de la guerre d’Algérie. Ces histoires qui lui ont appris le passé, l’engagement et le prix de la liberté.

Dans sa famille, cet héritage remonte jusqu’à un aïeul, Saad Tebbani, fondateur de la zaouïa Saâdia à Benghazi, qui a combattu l’invasion française, tombé en martyr à Sfax.

La mémoire de Saad Tebbani reste vivante et l’inspire chaque jour. Dans son enfance, il y avait aussi Djeda Hada, dont les contes captivaient son imagination, et son grand-père, Si Mohamed, il le revoit encore, assis pendant des journées entières, à écrire au calame sur des manuscrits, fabriquant lui-même ses crayons et son encre. Cette dévotion pour l’écriture et le respect de chaque mot l’ont profondément marqué.

Toufik Hedna était l’invité de l’écrivain Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, pour présenter son roman « Les Amants disparus du Pont de Bomarchi ». L’échange avec Youcef Zirem était riche et éclairé devant un public attentif. Ce roman commence par une histoire d’amour, mais des pans d’histoire sont cités, même s’il a fallu faire des choix, on ne peut jamais tout dire.

« Les amants disparus du pont de Beaumarchi », est son premier roman, Toufik Hedna réussit à captiver le lecteur, à le retenir, page après page, la narration fascine par sa fluidité, son style épuré, à la fois simple et sobre, écartant le superflu, s’en défaire même pour aller avec justesse vers l’essentiel où battent mieux les ailes, pour tenir le lecteur en haleine page après page à travers les éclaircies et les nuages.

L’auteur raconte et nous envahit d’émotions au point de ne plus vouloir sortir, on a envie que l’histoire continue. Toufik Hedna a le génie de réussir à relier ces pans d’histoire d’époque différentes sans dérouter le lecteur, mais au contraire, on a l’impression d’être là-bas, chacun s’imagine alors traversant ce pont.

C’est un roman qui ne souffre d’aucun temps mort, tout en laissant le souffle libre et apaisé, il ne dérange pas, il n’épuise pas mais il interroge. C’est une écriture aérée et claire qui respire, qui confère un aspect contemplatif tout en bousculant notre vision du monde, tout en l’élargissant, malgré la complexité des situations et des péripéties.

Un lien étroit s’installe entre l’auteur et le lecteur réussissant à répondre aux attentes d’une pensée étanchant la soif.

Le Matin d’Algérie : De l’architecture au roman, qui est Toufik Hedna ?

Toufik Hedna : Toufik Hedna est avant tout un passionné de l’art et de la création sous toutes ses formes. Architecte et urbaniste de formation, je me suis toujours senti attiré par l’écriture, qui constitue pour moi un moyen puissant d’explorer les dimensions intimes et sociales de l’existence humaine. Mon parcours est une quête de beauté et de sens, que ce soit à travers la conception d’espaces architecturaux ou la narration littéraire.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier votre premier roman, « Les amants disparus du pont de Bomarchi » chez les éditions Hedna, une œuvre explorant la mémoire, la résistance. Parlez-nous de la genèse de ce roman ?

Toufik Hedna : Ce roman est né d’une double urgence. La première était personnelle : celle d’écrire enfin un premier roman après des années de tentations avortées. À chaque fois, je débutais un récit sans parvenir à le mener à son terme. Mais cette expérience a été précieuse, car elle m’a permis de réunir des fragments épars, des bribes d’histoires laissées de côté, pour les inscrire dans une trame cohérente. La deuxième urgence était collective : celle de réhabiliter une mémoire oubliée, celle des petites histoires transmises oralement, souvent effacées par la Grande Histoire, celle qui s’impose par l’écrit et le récit dominant.

En Algérie, chaque ville, chaque village, chaque rue regorge de récits méconnus, des histoires de vies simples qui méritent d’être entendues. « Les amants disparus du pont de Bomarchi » est donc une plongée dans cette Algérie profonde, marquée par le poids de l’oppression coloniale et les questionnements identitaires de la jeune génération. À travers ce roman, j’ai voulu explorer des thèmes universels tels que l’amour, la résistance, et la quête de liberté. Il s’agit aussi d’un hommage à tous ceux qui, malgré les épreuves, ont lutté pour leurs idéaux.

Le Matin d’Algérie : Vous écrivez sous un pseudonyme, Belson. Pourquoi ce choix ?

Toufik Hedna : Belson est un clin d’œil à mes origines et à mes influences littéraires. Ce pseudonyme me permet également de prendre une distance créative par rapport à ma vie quotidienne et d’explorer des territoires imaginaires avec une plus grande liberté. Il incarne aussi un hommage discret à des figures qui m’ont profondément inspiré.

Le choix de ce nom n’est pas anodin : il s’inspire du prénom de mon défunt père, Belgacem, que l’on avait l’habitude d’appeler « Bel ». Une partie de sa vie se retrouve en filigrane dans le récit, comme une sorte de biographie embellie et amplifiée, où j’ai voulu incarner l’idéal du patriarche algérien.

« Belson » signifie littéralement « le fils de Bel », tout en ajoutant une touche de mystère pour intriguer le lecteur.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur les éditions Hedna ?

Toufik Hedna : Les éditions Hedna sont une aventure à la fois familiale et littéraire, qui s’attache à offrir une voix à des auteurs partageant une vision authentique et engagée de la littérature. C’est une maison d’édition à taille humaine, profondément ancrée dans des valeurs de qualité, de transmission, et surtout de créativité littéraire.

Nous publions généralement une dizaine d’ouvrages par an, mais ces deux dernières années, en raison de mon immersion dans l’écriture, nous n’en avons publié que deux. Cette pause reflète aussi notre philosophie : privilégier la qualité à la quantité.

Ce qui nous distingue, c’est notre approche humaine. Nous avons toujours favorisé une relation de proximité avec nos auteurs, plutôt que de considérer l’édition comme une simple transaction commerciale. Pour nous, chaque auteur ou autrice est avant tout une personne, et chaque livre bien plus qu’un simple numéro d’ISBN. C’est un projet vivant, une part de leur âme que nous avons la responsabilité d’honorer.

Le Matin d’Algérie : « Les amants disparus du pont de Bomarchi » est un titre percutant, évocateur, qui en dit long, comment vous est venu ce titre ?

Toufik Hedna : Le titre s’est imposé naturellement au fil de l’écriture. Le pont de Bomarchi est un lieu qui a marqué ma jeunesse : c’était un passage quotidien jusqu’à l’âge adulte. Je m’y arrêtais souvent pour contempler la gare, un lieu mythique pour moi, avec ses trains, ses voyageurs, et cette effervescence qui me fascinait. Mon père était cheminot, ce qui renforçait mon attachement à cet endroit. Même aujourd’hui, il m’arrive de m’attarder sur ce pont, d’évoquer des souvenirs, de penser à mon père et à mes escapades dans les trains, qui étaient gratuits pour moi, vers des lieux lointains.

Le pont de Bomarchi, c’est aussi un lieu de rencontres amoureuses, où des couples venaient se retrouver, parfois en secret. C’est un espace chargé d’émotions, où j’ai vu des hommes que l’on disait forts pleurer leurs chagrins, où noyer leurs peines dans une bouteille. Ce pont a toujours conservé une part de mystère, presque comme s’il murmurait les histoires qu’il avait vues défiler.

Ce lieu symbolise le passage, la mémoire, les rencontres, mais aussi les ruptures et les épreuves. Les « amants disparus » incarnent cette idée d’un amour intemporel et tragique, pris dans les tourments de l’Histoire, entre l’intime et le collectif. Ce titre est, pour moi, une célébration des souvenirs personnels et universels, une évocation poétique de ce lieu chargé de sens.

Le Matin d’Algérie : L’Algérie peine à se démocratiser, la littérature peut aider à l’émancipation d’une société, quel est votre avis ?

Toufik Hedna : Absolument. La littérature a le pouvoir d’ouvrir des perspectives, de poser des questions fondamentales et d’éveiller les consciences. En Algérie, elle peut jouer un rôle crucial pour briser les tabous, raviver la mémoire collective et promouvoir un dialogue démocratique. Un livre peut être une étincelle capable de changer les mentalités.

Le Matin d’Algérie : Vous animez des émissions de radio comme Poésie sur le vent sur Radio Laser et Evasion des mots sur C Lab 88, d’où est venue cette passion pour la radio ?

Toufik Hedna : La radio est un moyen unique de créer du lien avec les auditeurs. C’est une forme d’art orale qui m’a toujours fasciné, car elle permet de partager des émotions, des idées et des histoires avec une proximité intime. Ces émissions sont pour moi une manière d’explorer et de transmettre ma passion pour la poésie et la littérature.

Le Matin d’Algérie : Milan Kundera a dit « La bêtise des gens consiste à avoir une réponse à tout. La sagesse d’un roman consiste à avoir une question à tout », qu’en pensez-vous ?

Toufik Hedna : Je partage pleinement cette vision. Un roman doit inviter le lecteur à réfléchir, à douter, à remettre en question ses certitudes. La force de la littérature réside dans sa capacité à ouvrir des horizons et à poser des questions universelles qui résonnent au-delà des époques et des cultures.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les auteurs qui vous influencent ?

Toufik Hedna : Je suis profondément façonné par des auteurs comme Kateb Yacine, Faulkner et Artaud. Pourtant, je lis tout ce qui croise mon chemin, parfois même des livres récupérés dans une poubelle, que j’essuie à peine avant de m’y plonger avec avidité. Ces trois figures, chacune à sa manière, m’inspirent par leur audace, leur sensibilité et leur regard unique sur le monde.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Toufik Hedna : Oui, je travaille sur un roman inspiré de l’histoire de Sétif, un projet entamé il y a plus de trois ans. Initialement conçu comme un essai, il s’est transformé en roman, une surprise pour les Sétifiens et les amoureux de l’Algérie.

L’écriture d’un roman est une expérience intense, presque une traversée sur un fil entre le réel et la folie. Vous habitez vos personnages, et parfois ils vous habitent à leur tour. Il m’est arrivé de marcher des kilomètres pour entrer dans la peau d’un personnage, ou de ne plus pouvoir m’en défaire, comme si j’étais « Meskoune » possédé. Pour m’en libérer, je me suis plongé aussitôt dans un autre roman avec de nouveaux personnages – un conseil que je donne à tous les écrivains.

Je suis presque à la fin de ce projet : l’ébauche est faite et la trame tracée. Maintenant, il reste la restructuration, un exercice que j’adore car il me permet de briser la monotonie du récit. C’est une étape qui prend souvent du temps, tout comme les corrections et la relecture, un travail fastidieux mais indispensable. Après cela, viendra la publication. Voilà, je n’en dirai pas plus, ce sera une surprise !

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Toufik Hedna : Un grand merci à ceux qui lisent et partagent leurs émotions à travers la littérature. Les livres sont des ponts entre les âmes, capables de nourrir l’espoir d’un monde meilleur.

Je suis ravi d’annoncer que je présenterai ce livre à l’Espace Ouest France, invité par la Librairie Le Failler, le 20 Janvier 2025 à 19h. La soirée, animée par Arnaud Wassmer, sera l’occasion de présenter mon roman « Les Amants disparus du pont de Bomarchi ». Une belle rencontre, entre littérature et passion.

Vous pouvez réserver dès maintenant ici : https://my.weezevent.com/belson.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Livre publié :

Les Amants disparus du pont de Bomarchi, BELSON, Roman, Éditions Hedna, 380 pages, 24 €.
ISBN : 978-2-900876-35-0

Contact : hedna35@outlook.com

Site (en construction) : www.editions.hedna.fr

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