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Trois propositions pour sortir des ténèbres

TRIBUNE

Trois propositions pour sortir des ténèbres

Nous l’avons déjà dit, le Hirak est dans l’impasse pour ne pas avoir su poser sur la table les questions qui fâchent, sans détours ni hésitations. Il faudra un jour que ce pays et ses démocrates regardent droit dans les yeux ce qui les emprisonne depuis toujours et disent la vérité, dans son langage cru mais clair.                                       

On ne peut plus continuer comme cela face aux ténèbres qui plongent ce pays dans les abîmes. Personne n’ose affronter les questions fondamentales pour briser l’omerta et la terreur qui emprisonne l’esprit et la parole.

Des propositions fortes sont connues de tous, discutées sur les réseaux sociaux à longueur de journée. Il n’est pas normal que ce déballage d’opinion et de liberté de parole ne puisse s’exprimer dans un média algérien à l’exception du Matin d’Algérie et de quelques rares autres supports à l’étranger.

Ce n’est pas nouveau et mon propos ne vise dans cet article que l’auto-censure des contributeurs eux-mêmes. Je ne comprends pas que leur langage soit si édulcoré et qu’ils n’aillent pas jusqu’à l’extrême possibilité qui est possible dans un média Algérien basé à l’intérieur du pays.

On ne leur demande pas de prendre des risques inconsidérés que nous ne prenons pas nous-mêmes pour être à l’étranger mais ne pas contribuer si c’est pour affirmer que le froid est froid et que le chaud est chaud.

Ces contributeurs sont à des années lumière de ce qui s’exprime sur Internet. Pourquoi ne retrouve-t-on pas dans leurs écrits ces propositions tellement partagées par des dizaines de milliers d’Algériens. Encore une fois la marge est grande entre leurs écrits et la limite qu’il leur est possible d’atteindre dans de rares supports.

Voici les propositions qui me semblent être les trois principales, parfois présentes en Algérie mais tellement exprimées dans des propos si évasifs qu’ils ne provoqueraient même pas une seule minute l’irritation du moindre général.                                                                                               

1. Une  laïcité forte

Il faut que la terreur de la religion d’État cesse. Et de toute façon il est fort à parier que le sens de l’histoire ne lui laissera aucune chance, y compris par l’opposition d’une autre force, encore plus puissante par ses convictions et son désir de liberté.                     

La religion doit être sortie de la constitution et de toute expression publique quelle que soit sa nature. Des dizaines de milliers d’algériens le clament sur Internet avec force et conviction, souvent en termes puissants. Il serait raisonnable pour ce pays que cette proposition puisse être mise sur la place publique avec les mots sans concessions et qui ne tournent pas autour du pot dans les contributions écrites. 

Nous sommes épuisés, totalement sans voix ni arguments, devant ceux qui nous opposent une citadelle pour réfuter nos explications. La laïcité n’est pas l’athéisme et certainement pas l’ennemi de la religion.

Il arrivera un moment où les démocrates arrêteront d’être pédagogues car ils sont éreintés de vouloir percer les murs de la citadelle. Les citadelles finissent pourtant toujours par être prises dans l’histoire. 

Pas besoin des armes ni violence mais juste que la prochaine tentative du Hirak prenne expérience de ses colossales erreurs. Il s’est précipité dans le mur, il a fini par s’y fracasser. Malgré les avertissements de certains, dont je fais partie, il est allé au combat sans résolution politique, sans figures qui l’incarnent et avec de mauvaises et dangereuses fréquentations.

2. Un État aux régions très autonomes 

Une fois pour toute, cela suffit ! Dès qu’on évoque la fracture linguistique et culturelle de ce pays, on vous tombe dessus pour vous accuser, de part et d’autre, d’être un dangereux diviseur, un pyromane inconscient.                                                  

Ce n’est pas moi qui a provoqué les nombreux soulèvements, répétés dans les quarante ans qui viennent de s’écouler. Ce n’est pas moi qui incite à la présentation publique d’un drapeau autre que celui imposé par l’État (ce qui est légitime car aucunement interdit pénalement dans une démocratie, si elle existait).

Pour autant, si cela arrive c’est que la question est dans une inflammation terriblement dangereuse et qu’il faut la poser sans hypocrisie. On ne combat pas une question en la dissimulant, sous prétexte d’éviter de faire naître ce qui n’existerait pas. C’est visible, en face de nos yeux, à chaque instant.

Tout de même, ce n’est pas seulement moi qui dit dans les médias à l’étranger des propos forts pour la récupération des droits linguistiques, culturels et régionaux. C’est le fait d’une part importante de la population, je suis insignifiant dans tout cela.                                                       

Se voiler la face dans un sentiment faussement unitaire est le meilleur moyen d’arriver à une catastrophe. Je n’essaie pas de réveiller un volcan, l’Algérie est bien assise dessus et il n’est vraiment pas en sommeil.                                                                                

Ce n’est pas une demande extraordinaire que proposer une organisation territoriale en régions largement autonomes jusqu’aux compétences linguistiques et culturelles, y compris dans le domaine de la représentation publique. 

Cela avait été proposé par de très nombreux démocrates par le passé. 

C’est au contraire donner à l’unité nationale toutes ses chances même si le risque zéro n’existe pas. Car pour la certitude, demandez aux dictatures, militaires et théocratiques, ce sont les spécialistes de la solution unitaire, avec une certitude « de fer ».

Et si cela est un risque pour certains, je comprends leur crainte, c’est donc la preuve que l’unité nationale n’existe pas et qu’elle est contrainte. Et ce qui est contraint est encore plus dangereux

3. Le jugement pénal et historique des actes du passé

Il n’est pas possible de tourner une page sans que l’Algérie ne fasse pas un grand procès à ce qu’elle a eu de plus terrifiant dans son douloureux passé. D’articles en articles, je ne cesse de répéter que la justice n’est pas la vengeance mais l’assurance d’un avenir serein.

Impossible de construire cet avenir sans solder les affres du passé. Les autorités militaires de haut rang, les islamistes et les milliardaires aux gigantesques fortunes nationales et offshore doivent passer par la case de la justice, nécessaire à bien digérer ce qui bloque, ce qui crée malaise et conflits.

Le droit d’une démocratie, si elle parvenait à s’installer en Algérie, prévoit toujours l’amnistie pour un apaisement national ultérieur en faveur des délits et crimes les moins graves au regard de la déflagration générale. Mais une amnistie, c’est après un jugement, pas avant.

Et ceux qui me contredisent n’ont qu’à comptabiliser le nombre de ces personnes du pouvoir militaire mises en jugement. C’est un feuilleton mensuel mais dont le scénario est écrit par les acteurs eux-mêmes. Il est temps que l’écriture judiciaire de la pièce revienne aux Algériens et qu’ils puissent décider de la version définitive.

Si les démocrates ne le décident pas et continuent leurs contributions sirupeuses, ils seront amenés, jusqu’à leur descendance, à manifester dans les rues un vendredi après-midi, avec trompettes et youyous.

Cela fait un demi-siècle que ce peuple hurle son malheur avec trompettes et youyous. Il est temps qu’il mette sur la table les questions qui fâchent, avec des mots non détournés de leur force et qu’il se donne donc les moyens de les affronter.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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