Site icon Le Matin d'Algérie

Trop bête pour son travail, trop intelligent pour son salaire  ?

Au lendemain de l’indépendance, la petite bourgeoisie algérienne voit toutes ses possibilités d’ascension ouverte. Elle prend le pouvoir à un moment où l’Etat  est fragile. 

Elle n’a pas meilleure opportunité que de s’investir dans l’appareil de l’Etat post colonial. Le départ des colons a créé un vide à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Au niveau de l’administration, les petits fonctionnaires  sont survalorisés par le départ des fonctionnaires français ou assimilés et à la différence des moudjahidines, ils savent comment fonctionne l’appareil de l’Etat colonial.

Il a donc fallu non seulement les garder mais en plus les ménager voire leur offrir un statut social privilégié. Le débat était semble-t-il dans le choix entre des gens compétents techniquement mais politiquement peu sûrs ou des militants nationalistes mais incompétents. 

Quant aux cadres dirigeants des entreprises publiques et des administrations désertées par les français, issus du mouvement nationaliste et de l’élite universitaire, ils pouvaient tirer, après 1962, un certain pouvoir de valorisation de leur passé patriotique ou de leurs compétences techniques. La légitimité dont ils se réclament procède presque uniquement  de ce qu’ils ont été les acteurs les plus visibles de la lutte pour l’accession à l’Indépendance et les interlocuteurs privilégiés de l’autorité coloniale. La participation aux instances supérieures du pouvoir suppose comme condition préalable la participation à la guerre de libération nationale. Les pratiques de cooptation  qui prévalaient durant la guerre de libération ont survécu après l’indépendance.

Ces pratiques fonctionnent toujours à tous les niveaux de la pyramide politique et économique du pouvoir. Ce comportement s’explique par la volonté des responsables militaires de trouver chez les élites intellectuelles, la compétence technique ou économique qui leur manque pour la gestion des administrations et des entreprises publiques. Cependant, cette collaboration est astreinte à une seule condition : la soumission des intellectuels à la suprématie politique des dirigeants militaires issus de la guerre de libération nationale.. ».

L’adhésion à l’idéologie populiste et à la soumission aux chefs historiques sont les conditions nécessaires à l’intégration dans la hiérarchie. Entre, rester en marge ou participer à la nouvelle société, la majorité choisit  la seconde solution, au prix d’une mutilation d’ailleurs compensée par les « avantages du pouvoir » Dans le comportement de cette couche au pouvoir, vont être privilégié, les réseaux des relations personnelles, de clientèle et de compagnonnage.

De plus, toute position du pouvoir est indissolublement une position d’enrichissement et des redistributions matérielles par les avantages personnels qu’elle procure. L’assistance et le soutien politique des périphéries, autrement dit, la pérennité du statut et de l’autorité des leaders politiques ne dépendent que de la capacité de ces derniers à mettre en circulation et à distribuer une certaine masse de commodités matérielles.

Il s’agit d’un système clientéliste  fonctionnant  sur la base de loyautés qui ne requièrent aucune croyance dans les qualifications personnelles du leader mais sont très étroitement associés à des incitations et à des récompenses. La concentration entre les mains de la puissance publique de la rente énergétique  et son intervention directe  dans l’activité économique au nom de l’unité et la souveraineté nationale, a permis l’élargissement du secteur public. Pour se reproduire, le pouvoir est obligé de produire du clientélisme. Le clientélisme occupe une place importante dans les mutations sociales dont l’enjeu principal réside dans le contrôle de l’Etat. Le clientélisme ne peut être viable et notamment rétributif que s’il se greffe sur les structures étatiques. Il perpétue une situation de domination basée sur un accès inégal aux ressources et au pouvoir.

Cependant cette extension s’est heurtée à la réduction de cette rente, au poids excessif de la dette accumulée et à l’opposition de certaines forces sociales, pourtant favorisées par le système, ou bien, parce qu’ils occupent une place notable au sein de l’appareil de l’Etat ou parce qu’elles contrôlent le secteur privé directement ou indirectement. Le contrôle de l’Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital. L’enjeu réside  dans une maîtrise de l’appareil de l’Etat par le biais d’une main mise sur les centres principaux d’allocation des ressources. Ainsi, la couche sociale qui maitrisera l’administration disposera d’un redoutable instrument du pouvoir. Le modèle administratif hérité de la colonisation ne subit aucune transformation majeure, il demeure fondamentalement centralisé.

Ce qui caractérise le régime politique algérien, c’est la montée fulgurante d’une élite d’origine petite bourgeoise, détentrice d’un savoir dit « moderne », qui à travers le contrôle de l’appareil de l’Etat et du secteur étatique de l’économie se transforme en bourgeoisie d’Etat. Cette petite bourgeoisie civile a été imposée par l’armée, seule force organisée, au lendemain de l’indépendance. L’organisation étatique fortement structurée réside dans la nature même de l’armée, c’est-à-dire selon le modèle hiérarchique centralisé et disciplinaire. Dans ces conditions, l’armée ne pouvait produire que de l’étatisme. Une bourgeoisie d’Etat qui se transforme au fil des années et des sommes amassées en une bande mafieuse faisant fi de l’éthique et de la déontologie professionnelle des éléments qui la composent. La personnalité de chacun se fond et se confond avec le groupe.

A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, riche et puissante et non de la société toute entière, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent  des structures sociales et politiques organisées. De plus, il suffit de considérer les graves dysfonctionnements dont souffre actuellement l’Algérie pour se persuader qu’une forte croissance de revenu en devises ne mène pas nécessairement au développement économique mais bel et bien au sous-développement, à la corruption des mœurs,  à l’indigence des populations.

Dans la plupart des cas, on a laissé s’accroître les déficits et la création des crédits afin d’augmenter artificiellement les recettes publiques, au lieu d’appliquer une politique authentique de redistribution de revenus à des fins productives. Afin d’éviter d’opter pour l’une des différentes répartitions possibles entre groupes et secteurs, on a laissé l’inflation » galoper » à deux chiffres. Cette façon de faire s’est révélée déstabilisatrice. La solution à la crise, c’est d’abord l’effort interne du pays, plus on parvient à se mobiliser par ses propres forces, moins on est demandeur,  moins on est vulnérable, cette possibilité est cependant contrariée par l’ordre international dominant et freinée par les formes d’organisations économiques et sociales que la classe au pouvoir a mis en place à des fins de contrôles politique et sociales ; si bien que l’équilibre ne peut être rétabli soit par un nouveau recours à la rente ou à l’endettement si le marché mondial le permet, soit par une détérioration des conditions d’existence des larges couches de la population.

C’est pourquoi, l’Etat pourra connaître une instabilité d’autant plus grande que les problèmes économiques et sociaux deviendront plus aigus. Le service de la dette contraint mieux que toute domination politique directe les pays comme l’Algérie à livrer leur énergie à bas prix contre une paix sociale précaire et une difficile sauvegarde des privilèges des gouvernants.

L’erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l’automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l’on a au lieu de l’employer productivement chez soi ; la finalité de l’économie fût ainsi dévoyée, car il ne s’agissait pas d’améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l’échange avec l’extérieur. Or, il nous semble qu’une amélioration des termes de l’échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail local.

L’insertion dans le marché mondial fragilise l’Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. Tant que les pays du Tiers Monde subiront les contraintes imposées par la logique capitaliste dominante, ils ne pourront pas mettre en place un modèle de développement endogène capable de compter sur ses propres forces afin de satisfaire les besoins essentiels de la majorité de leur population.

Dans le rapport salarial, le pouvoir consistera essentiellement à obtenir la plus grande soumission possible au moindre coût. C’est pourquoi, le développement de l’économie dépendra désormais d’une main d’œuvre instruite qualifiée et motivée. Le facteur essentiel pour l’avenir du pays, c’est la conviction que les cerveaux constituent la plus importante des richesses de n’importe quel pays. C’est de la capacité de certains acteurs d’imposer à l’ensemble des autres acteurs leur conception de la société, de ses objectifs, de ses modes d’évolution que se mesurent la profondeur et l’authenticité d’un pouvoir.

L’Algérie a arraché son indépendance par l’emploi de la ruse, elle a raté son développement par manque d’intelligence. « Le plus grand mal que fait un ministre n’est pas de ruiner son peuple, il y a un autre mille fois plus dangereux ; c’est le mauvais exemple qu’il donne » Montesquieu 

Dr A. Boumezrag

Quitter la version mobile