C’est l’un des sujets philosophiques et juridiques des plus fondamentaux pour la démocratie, peut-on limiter le droit d’expression pour éviter le désordre social ? Jamais il n’aura eu un laboratoire d’observation aussi performant que celui de la campagne présidentielle américaine actuelle. Mettons le décor en place avant de revenir au sujet énoncé.
C’est absolument inouï ce qui se passe dans la campagne présidentielle aux États-Unis. Un déferlement explosif d’insultes et de vulgarités sortent de la bouche de l’ancien président et candidat pour 2024.
Le lecteur a immédiatement compris sur qui je reporte la responsabilité, j’en assume le choix qui me semble tellement évident.
Pourquoi une accusation unilatérale ? Parce que cela fait une décennie que Donald Trump s’enfonce dans la vulgarité et la démence la plus inquiétante. Un personnage fantasque qui ne semble pas faire honte au solide socle d’électeurs qui le suivent aveuglément comme on suit un gourou d’une secte. Comme un enfant, il n’a aucun filtre et ses conseillers surveillent en vain ses dérives de langage. Il est instable et imprévisible comme toute personne démunie de maturité ou d’éducation.
Quelles que soient ses outrances, quelle que soit l’impressionnante liste des poursuites judiciaires, son socle électoral lui reste fidèle, derrière un personnage qui est dévastateur pour un pays qui reste malgré tout la plus grande puissance du monde.
Tout ou presque tout ce qu’il déclame comme valeurs morales et conservatrices de l’Amérique blanche, il est le premier à les fouler aux pieds. Affaires de mœurs, de corruption, d’outrage aux institutions et ainsi de suite.
Plus il est accusé et condamné, plus ses soutiens sont présents. Plus il dit des énormités et plus il est adulé. C’est un cas historique sans précédent.
Si le comportement des plus troublés n’est pas un sujet en droit, ce sont les mensonges et insultes qui sont dans pratiquement toutes les démocraties dans le monde restreintes pour des raisons que nous connaissons tous. La principale étant l’atteinte publique à la dignité de la personne insultée qui peut en demander réparation au civil.
La seconde concerne le mensonge volontaire, en lui-même il n’est pas répréhensible par la loi à l’exception des conséquences qui peuvent nuire à des tiers.
Alors comment se peut-il dans cette campagne ? Tout simplement parce que le premier amendement de la constitution américaine sacralise la liberté d’expression. Son rang dans le Bill of rights est significatif de son caractère sacré.
«Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs. »
Ce principe élimine toute remise en cause de la liberté de parole y compris dans les insultes et les déclarations les plus condamnables comme l’apologie du racisme et de bien autres questions choquantes. C’est ainsi que les avocats ont réussi à faire couvrir par le premier amendement les paroles de Donald Trump précédent la prise d’assaut du Capitole.
Pourtant, paradoxalement je suis personnellement favorable à l’interprétation très stricte du droit à la libre expression. Elle peut faire beaucoup de dégâts mais ils sont infiniment moindres que la glissade continue vers le musellement.
Attention, répétons-le, il s’agit de la parole et de l’écrit, pas de leur application en faits passables de poursuites (séquestrations, violences physiques, assassinat et tentative d’assassinat, harcèlement et ainsi de suite). Dans le cas de Donalde Trump nous sommes dans les discours, oraux et écrits, donc inateignables puisque disposant de la protection constitutionnelle.
Oui, la démocratie a ses risques. Si nous ne les assumons pas et ne contrôlons pas ses dérives, il vaut mieux choisir un régime autoritaire. Là, on est sûr de ne pas en avoir.
Le spectacle que donnent les États-Unis est déplorable mais c’est aux électeurs de prendre leurs responsabilités et d’y mettre fin, pas aux lois limitatives en ce sujet si fondamental.
L’Amérique a perdu ses repères, c’est à la politique de remettre sur flot le respect dans le discours public. Nous en sommes pour le moment assez loin.
Boumediene Sid Lakhdar