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Tunisie : Kaïs Saïed convoque l’ambassadeur de l’UE et durcit le ton diplomatique

Le président tunisien Kais Saïd a convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) à Tunis, Giuseppe Perrone

Le président tunisien Kais Saïd a convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) à Tunis, Giuseppe Perrone.

Le torchon brûle-t-il entre la Tunisie et l’Union européenne ? 25 novembre 2025, le président tunisien Kaïs Saïed a convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) à Tunis, Giuseppe Perrone, pour lui remettre une protestation sévère.

La présidence a dénoncé un non-respect des règles diplomatiques et des contacts menés hors des cadres officiels, en référence à la récente rencontre de l’ambassadeur avec Nour Eddine Taboubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Cette centrale syndicale, forte d’un million de membres, est un acteur historique du dialogue social en Tunisie, ayant contribué au processus ayant valu à l’UGTT le prix Nobel de la Paix en 2015.

Le geste de Kaïs Saïed illustre une volonté claire de contrôler les interactions diplomatiques, de rappeler la primauté de la « souveraineté nationale », voire de couper tout contact entre les organisations tunisiennes avec l’étranger. Donc leur étouffement. Pour la présidence, toute initiative étrangère auprès d’acteurs civiques ou syndicaux sans autorisation constitue une ingérence inacceptable.

Cette décision s’inscrit dans un contexte de tensions internes et diplomatiques. Depuis son accession au pouvoir, Kais Saïd a concentré les pouvoirs exécutifs, dissous le Parlement et limogé des dizaines de juges, mesures qualifiées par ses détracteurs de « coup d’État complet ». Parallèlement, les autorités ont lancé une campagne de contrôle sur la société civile, accusant plusieurs ONG et associations d’avoir reçu des financements étrangers. Jusqu’ici, 14 organisations ont été suspendues, parmi elles “Femmes démocrates” et le “Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux”. Amnesty International a dénoncé des mesures jugées sévères, incluant arrestations arbitraires, gels d’avoirs et restrictions financières.

Malgré ce climat répressif et autoritaire, le peuple tunisien est sorti massivement dans la rue. Le 22 novembre, une marche a rassemblé plusieurs milliers de citoyens dénonçant la concentration des pouvoirs et la restriction des libertés. Les slogans portaient des messages clairs : « Libertés… libertés… l’État policier est terminé », « Asphyxiés ! », ou encore « Assez d’abus ! ». Selon les observateurs, la diversité des participants révèle une rare unité contre le président, malgré la crainte de répression.

La rencontre diplomatique reprochée entre l’ambassadeur de l’UE et l’UGTT illustre également un dilemme majeur pour l’Union européenne : maintenir son soutien à la société civile tunisienne tout en respectant la souveraineté proclamée par le pouvoir. Ce rappel marque un signal fort pour les relations UE–Tunisie, où les canaux traditionnels de dialogue et de coopération pourraient être remis en question ou fortement encadrés à l’avenir.

Pour les syndicats, les ONG et les acteurs civiques, l’incident souligne la fragilité de l’espace public tunisien : toute initiative externe ou interne jugée critique pourrait être perçue comme une ingérence, et les marges de manœuvre se réduisent face à une centralisation du pouvoir et à une répression croissante.

Cette affaire de crispation diplomatique met en lumière un double défi : pour le pouvoir tunisien, affirmer sa souveraineté et contrôler totalement le dialogue national ; pour la communauté internationale, notamment l’UE, préserver le soutien à la société civile sans provoquer de tensions diplomatiques majeures. Elle reflète également la crise politique, économique et sociale persistante en Tunisie, où les contestations populaires se multiplient malgré la pression exercée sur les institutions, les syndicats et les ONG.

Mourad Benyahia 

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