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Tunisie : le procès d’opposants pour « complot » contre l’État s’ouvre mardi

Kais Saied

Kais Saied

Le procès de plusieurs figures emblématiques de l’opposition au président Kaïs Saied s’ouvre ce mardi en Tunisie, dans le cadre d’accusations de « complot contre la sûreté de l’État ». Kaïs Saied mène une lutte implacable contre les voix dissidentes.

La Tunisie s’enfonce dans un système dictatorial. Une quarantaine d’individus, issus de divers courants politiques, sont poursuivis, dont des responsables de partis, des avocats, des figures médiatiques, ainsi que des militants de la société civile. Parmi les personnalités les plus en vue figurent Issam Chebbi, leader du parti Al Joumhouri, le juriste Jawhar Ben Mbarek, et Abdelhamid Jelassi, ancien dirigeant d’Ennahdha. À ces figures s’ajoutent des militants comme Khayam Turki et Chaïma Issa, l’homme d’affaires Kamel Eltaïef, ainsi que Bochra Belhaj Hmida, ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), actuellement en exil en France. Même l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy est accusé dans cette affaire.

Les charges qui pèsent contre ces opposants sont lourdes et incluent des accusations de « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État » ainsi que d’« adhésion à un groupe terroriste ». Des accusations qui, selon leurs avocats, reposent sur des bases fragiles, notamment de faux témoignages.

Ces personnes risquent des peines de prison sévères, allant jusqu’à la peine capitale dans certains cas. La plupart des inculpés ont été interpellés lors de vagues d’arrestations en 2023, que le président Kaïs Saied avait qualifiées de « lutte contre les terroristes », mais que l’opposition et les organisations de défense des droits humains considèrent comme une répression politique.

La mise en scène judiciaire de ce procès intervient dans un contexte de plus en plus tendu depuis le coup de force de Saied en 2021, lorsqu’il s’est octroyé les pleins pouvoirs et a suspendu la constitution démocratique issue de la révolution de 2011, marquant ainsi un virage autoritaire.

Ce tournant a conduit à des accusations croissantes de régression des droits et libertés dans un pays qui fut l’un des fers de lance du « Printemps arabe ». L’opposition politique, ainsi que des ONG, dénoncent depuis lors une « répression systématique » et un « harcèlement judiciaire » visant à éliminer les voix dissidentes.

Jawhar Ben Mbarek, l’un des accusés, a dénoncé, dans une lettre adressée à la presse, cette répression comme un moyen de « démanteler méthodiquement » l’opposition.

L’avocate de Ben Mbarek, Dalila Msaddek, a qualifié l’accusation de son frère d’un « dossier vide » sans fondement, basé sur des témoignages mensongers. Ce procès est perçu comme un instrument de répression politique destiné à museler toute forme d’opposition et à détruire les voix critiques du régime. Les familles et avocats des accusés critiquent également la décision des autorités judiciaires de tenir les procès à distance, par visioconférence, ce qui a été qualifié d’« inacceptable » par les défenseurs des droits humains.

Ahmed Néjib Chebbi, un autre opposant historique et frère du leader politique Issam Chebbi, a insisté sur l’importance de garantir un procès équitable, où les accusés doivent pouvoir comparaître en personne. Selon lui, les conditions actuelles du procès font de cette procédure un exemple de « folie judiciaire ».

En parallèle, Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, a récemment été condamné à 22 ans de prison pour des accusations similaires, dans un autre procès symbolique, après la dissolution du parlement par Saied. Cette série de condamnations soulève des interrogations sur l’état de droit en Tunisie et sur la politique de répression exercée par le président Saied contre ses adversaires.

Les critiques internationales se sont également intensifiées. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme a exprimé sa profonde inquiétude concernant la « persécution des opposants » en Tunisie, dénonçant des accusations floues et étendues, souvent lancées contre ceux qui exercent leurs droits fondamentaux. En réponse, le gouvernement tunisien a rejeté ces accusations et affirmé que les personnes visées par ces poursuites avaient été inculpées pour « des crimes de droit public » sans lien avec leur engagement politique ou médiatique. Selon le ministère des Affaires étrangères, la Tunisie, par ses démarches, pourrait « donner des leçons » à ceux qui critiquent son système judiciaire.

Dans ce contexte, le procès de ces opposants représente un tournant décisif dans la crise politique tunisienne, illustrant l’aggravation de la répression à l’encontre de l’opposition sous le régime de Kaïs Saied. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une véritable « chasse aux sorcières » qui fragilise les fondements de la démocratie tunisienne, et pour exiger la libération des prisonniers politiques et la fin de la répression.

Rabah Aït Abache

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