Le procès pour « complot contre la sûreté de l’État n°1 » en Tunisie, dont le verdict doit être prononcé le 27 novembre, dépasse largement le cadre judiciaire. Selon Jeune Afrique, le dossier repose en grande partie sur un rapport fourni par les services algériens, utilisé comme pièce maîtresse de l’accusation, sans enquête indépendante ni vérification locale.
Or, le Code de procédure pénale tunisien est clair : un magistrat ne peut fonder son jugement que sur les débats et plaidoiries présentés en sa présence, en compagnie de toutes les parties, y compris adverses. L’utilisation d’un document étranger, non soumis à contre‑expertise et non discuté devant la Cour, met donc en cause la légitimité même du procès.
La gravité des peines encourues, pouvant aller jusqu’à la peine capitale, accentue la portée de cette anomalie. Pour la défense, l’affaire n’est pas seulement un dossier judiciaire : elle symbolise un déséquilibre dans la relation entre la Tunisie et son voisin occidental. Selon Jeune Afrique, l’Algérie a, par le passé, montré sa méfiance à l’égard de la démocratie tunisienne, qui incarne depuis la révolution de 2011 un modèle singulier dans la région : liberté relative des femmes, droits du travail et engagement citoyen actif. On le sait : Abdelmadjid Tebboune ne veut pas voir une démocratie se construire à ses frontières. La Tunisie de Kaïs Saied est devenue un Etat vassal de Tebboune qui use de son influence pour soutenir l’autoproclamé autocrate Kaïs.
Mais pourquoi diable l’Algérie s’impliquerait-elle dans un procès tunisien ? Les analyses des observateurs citées par Jeune Afrique révèlent plusieurs dimensions. D’abord, le régime algérien profiterait d’un pouvoir tunisien jugé inexpérimenté pour renforcer ses intérêts économiques et stratégiques : contrôle de ressources, influence politique et alignement stratégique. L’article cite notamment l’exemple d’un décret-loi tunisien contre la spéculation illicite, adopté en mars 2022, qui reproduit presque à l’identique une loi algérienne de décembre 2021. D’autres projets, comme l’extraction de phosphates et la gestion de l’eau, montrent une influence discrète mais tangible sur des secteurs stratégiques.
Cette situation se reflète également dans des pratiques moins visibles mais tout aussi symboliques. D’après Jeune Afrique, l’Algérie a déplacé des migrants irréguliers vers la frontière tunisienne, plaçant Tunis dans une position délicate et révélant un rapport de force asymétrique. Certains experts cités dans l’article décrivent la Tunisie comme « un dommage collatéral dans une hégémonie mal articulée » : tout soutien, toute coopération ou aide algérienne finit par se traduire en obligations implicites, confirmant que, en politique, « toute goutte d’eau donnée finit par se payer ».
L’affaire prend également une dimension symbolique et médiatique. Selon Jeune Afrique, le rapport algérien mentionne des noms étrangers, tels que Bernard-Henri Lévy, dont la présence dans le document semble hors de propos, mais qui contribue à renforcer l’impression d’un dossier construit pour servir des intérêts stratégiques plutôt que judiciaires. Le mélange des références, parfois sans lien direct avec la Tunisie, fait penser à une construction artificielle, plus proche d’un roman de complot que d’une enquête rigoureuse.
Au-delà du procès et de la coopération controversée des services algériens, l’affaire reflète un enjeu plus large : la capacité de la Tunisie à préserver son autonomie politique et sa souveraineté judiciaire. La démocratie tunisienne, fragile mais vivante, se retrouve confrontée à la réalité d’un voisin puissant qui peut influencer ses choix politiques et économiques, tout en exerçant une pression indirecte sur ses institutions. Le procès, en exposant cette dépendance, illustre combien la justice et la souveraineté ne sont jamais isolées des rapports de force régionaux.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la société tunisienne continue de montrer une résilience remarquable. Les mouvements pacifiques, les revendications sociales et l’émancipation progressive des citoyens sont réprimés. La question est désormais de savoir si l’État tunisien saura défendre son indépendance face aux interférences extérieures, ou si l’influence régionale continuera à déterminer, directement ou indirectement, les décisions judiciaires et politiques. Peu sûr eu égard aux liens étroits entre les deux chefs d’Etat.
Ce procès dépasse le cadre d’une accusation individuelle. Selon Jeune Afrique, il met en lumière les fragilités institutionnelles à Alger et à Tunis, les déséquilibres régionaux et la complexité des relations maghrébines. L’ombre de l’Algérie plane non seulement sur la salle d’audience de Tunis, mais aussi sur l’avenir d’une démocratie qui tente de se frayer un chemin entre souveraineté nationale et pression des voisins. La Tunisie, en quête d’équité et d’autonomie, se trouve à un carrefour délicat : défendre sa justice et sa démocratie ou subir, silencieusement, les conséquences d’un rapport de force qui la dépasse.
Synthèse Mourad Benyahia

