Dans la région de Donestk et de Zaporijjia, on se bat de jour comme de nuit. Les attaques nocturnes offrant l’avantage d’échapper partiellement aux drones russes Lancet mais aussi aux tirs de l’artillerie, un avantage d’autant plus grand que les équipements fournis par les Occidentaux surclassent les optiques russes, souligne Léo Périat-Péigné, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
« Globalement, ce dont les Ukrainiens disposent, ce sont des lunettes ou des jumelles nocturnes, de tout type et de toute taille, qui peuvent être adaptées aux différentes armes, à différents véhicules et systèmes. Ce qui va leur permettre d’attaquer à un moment où les forces russes seront potentiellement moins équipées en la matière, parce que c’est difficile d’équiper toute une ligne de défense avec ces systèmes-là. Ce qui est un gros avantage. »
Mais cela implique des difficultés supplémentaires, rappelle le chercheur à l’Ifri : « Puisque c’est déjà assez difficile de coordonner un assaut quand les unités attaquantes se voient, alors quand elles se voient moins bien entre elles et qu’elles peuvent se perdre dans la nuit, ça devient compliqué d’autant qu’on est face à une ligne fortifiée, à un important champ de mines. Qu’il fasse jour ou pas, vous êtes tous parqués sur un ou quelques axes d’assaut bien définis et limités dans lesquels vous pouvez difficilement sortir. »
Les jumelles de vision nocturnes sont, par conséquent, souvent l’apanage des forces spéciales, troupes d’élites aux méthodes commandos chargées de trouver des intervalles dans les lignes de défense russes.
Les combats, ces derniers jours, sont plus intenses dans les régions de Donetsk et Zaporijjia. Mais pour permettre aux blindés ukrainiens d’avancer, les unités du génie vont devoir ouvrir des « brèches » dans le rideau défensif russe. Le « bréchage », élément central de l’offensive ukrainienne, c’est le thème de « Lignes de défense ».
Champs de mines, obstacles antichars, tranchées et casemates… Cette ligne de défense, les Russes l’ont baptisée « Fabergé », référence au joailler des tsars. La ligne Fabergé a de l’épaisseur et la franchir ne sera pas une mince affaire, pointe le colonel Frédéric Jordan du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement : « Cette ligne défensive, elle est installée dans la profondeur, sur à peu près une profondeur d’une trentaine de kilomètres et sur six lignes successives. Ce qui permet aux Russes, d’abord, d’observer une attaque ukrainienne et ensuite, par bonds successifs, d’essayer de l’arrêter. L’ensemble de cette ligne est largement valorisé par des moyens du génie, en particulier des mines, mais aussi des abris. Des abris bétonnés et un certain nombre de tranchées. Elle n’est pas tout à fait continue, il y a beaucoup d’espaces lacunaires, mais en fait, elle est positionnée sur les endroits qui sont des couloirs de mobilité qui permettraient de protéger des sites, des carrefours, des zones d’importance stratégique. »
Ligne Fabergé et artillerie spéciale
L’armée russe a également étoffé sa défense d’une « artillerie spéciale », comme il l’appelle : ils ont enterré leurs vieux chars T54 sortis des stocks cet hiver, seules les tourelles émergent du sol. L’objectif est d’opposer à l’assaillant de plus en plus d’obstacles et lui infliger le maximum de pertes.
Alors, pour que les troupes d’assaut ne s’engluent pas dans ce maillage défensif, les unités du génie ukrainien vont devoir ouvrir des corridors, c’est le « bréchage », indique le colonel Jordan. « Pour franchir cette ligne, il faut brécher et donc il faut des moyens du génie capables justement d’ouvrir des couloirs de pénétration dans ces bandes minées, par exemple, ou sur des obstacles qui auraient pu être mis en place pour freiner toute avance. Ça peut être aussi des fossés antichars, par exemple. Donc, le génie va être en première ligne sur cette action. Il sera appuyé par l’artillerie pour masquer son déploiement. Pour tirer sur des défenseurs russes qui essaient bien évidemment de détruire ces matériels du génie. Il sera aussi entouré d’unités blindées d’infanterie, qui vont pouvoir exploiter très, très vite ensuite les brèches qui ont été mises en place dans le dispositif russe. »
À Donetsk et Zaporijjia, il n’y a pas encore de grande manœuvre, l’armée ukrainienne sonde le dispositif russe, précise l’historien militaire Michel Goya, pour y trouver des intervalles : « S’ils arrivent à percer les lignes fortifiées, ils créent une brèche et là, ils lancent, comme c’était le cas un peu dans la province de Kharkiv en septembre… Là, ils lancent des unités mobiles qui essaient d’aller le plus loin possible à l’intérieur et peut-être qu’on pourra assister, d’ailleurs, pour la première fois, à de véritables combats de rencontres. Des combats mobiles. Il y a des centaines de chars de part et d’autre, et il n’y a pas de bataille de chars. Mais si les Ukrainiens percent, à ce moment-là, on verra peut-être des chars qui s’affrontent directement. »
Blindés de déminage, bulldozers et ponts projetés sont donc la clé d’une contre-offensive d’envergure. Des matériels rares que les États-Unis sont les seuls à posséder en quantité.
Avec RFI