Lundi 15 février 2021
Un communiqué du ministère de l’Energie provoque une polémique inutile
La manipulation sur cette polémique autour d’un article paru le 8 février dernier par l’agence de presse américaine Bloomberg spécialisée dans l’économie et la finance, saute aux yeux. Pourquoi ?
Parce que la manchette de cette publication s’appui sur une déclaration d’un officiel algérien, le ministre délégué chargé de la prospective auprès du premier ministère qui avait déclaré à la chaîne de la radio nationale qu’à ce rythme, d’ici une décennie l’Algérie ne pourra plus exporter de pétrole, d’où, l’intitulé « an Oil country no more? Energy exports sink rapidly.» Ceci reprend fidèlement la déclaration du ministre délégué que l’Algérie n’est plus un pays exportateur, parce que ces exportations d’énergie diminuent rapidement.
La structure chargée de la prospective en Algérie, pour arriver à une telle conclusion a dû faire des recherches concernant l’évolution du déclin naturel de la production des hydrocarbures sur plusieurs années et celle de la consommation interne qui croit à un rythme de 7%, il a équationné et paramétré le tout pour alerter l’opinion publique de s’attendre à un changement de la conduite de la politique énergétique sinon, les hydrocarbures risquent de ne plus pouvoir financer le circuit économique et social du pays. Cette structure est elle dans son rôle pour s’adonner à une telle alerte, c’est au président de la république et au chef du gouvernement, forts d’un programme pour remédier à ces dysfonctionnements d’en juger de sa pertinence.
S’il y a objection à cette information, c’est donc en conseil des ministres de la faire et non par communiqué interposé ou éventuellement les réseaux sociaux. Mais il est évident que la presse nationale et étrangère est en droit d’informer sur la base bien entendu d’analyse basée sur des chiffres publics en citant les sources. Il demeure aussi logique que la structure analysée, dispose d’un droit d’apporter les précisions nécessaires et utiles pour éclairer l’opinion publique. Est-ce le cas dans cette polémique de ce papier de Bloomberg qui a fait l’objet d’une réponse directe du ministre, suivie d’un communiqué à tendance déviantes pour le moins que l’on puisse dire?
1-Le communiqué tangentiel du ministère de l’Energie
Il faut rappeler d’emblée qu’il n’y avait pas que l’agence Bloomberg qui a commenté la déclaration du ministre délégué de la Prospective mais plusieurs revues spécialisées du domaine pétrolier et gazier entre autres World Oil, Ecofin habilement synthétisé par le site TSA avec un titre à deux reprises provocateurs et plein de messages pour une audience à la fois nombreuse et a montré qu’elle ne rate jamais l’Algérie lorsque l’occasion s’y prête. (01)
Les chiffres qui ont enflammé les réseaux sociaux à travers ces articles, tous repris de cette agence américaine qui les a publiés pour consolider les déclarations d’un officiel algérien par les chiffres qu’elle dispose en citant ses sources : « Les exportations nationales de gaz naturel brut et liquéfié ont chacune baissé d’environ 30% en 2020, selon les données de suivi des navires de Bloomberg. La tendance s’est poursuivie cette année. Les ventes de pétrole à l’étranger sont tombées à seulement 290000 barils par jour le mois dernier, 36% de moins qu’en décembre et le plus petit chiffre depuis au moins 2017. » (02)
Dans sa réponse à deux fois inopportunes de s’attaquer à des agences spécialisées, le ministère de l’énergie enflamme les réseaux sociaux au lieu de rassurer l’opinion publique à cause des nombreuses imprécisions et surtout leur tangentialité par rapport aux propos publiés.
La première fois au sujet des exportations du Gaz du pétrole liquéfié (GNL), l’agence Bloomberg avait publié le 11 décembre dernier que les exportations d’Arzew ont été interrompues pendant 10 jours en raison du mauvais temps qui sévit en Algérie.
Ces perturbations ont accentué « l’étroitesse » « Tightness »que connaît le marché mondial. Le deuxième fournisseur d’Afrique tel que qualifié Bloomberg Sonatrach a « resserré » le marché mondial et a contribué à une remontée des « taux au comptant » sans pour autant en profiter pour elle-même qui souffre d’un déficit qu’elle impute à la crise sanitaire ( 03). Cette agence déclare obtenir cette information d’une personne « supposée interne au secteur Algérien » mais d’abord proche du dossier et préfère garder l’anonymat en plus des navires transporteurs du GPL.
Pour cette fois-ci, plusieurs incohérences montrent une réponse qui confirme les déclarations du ministère de l’énergie en marge de la plénière des questions/ réponses aux députés de l’Assemblée populaire nationale et non aux députés directement comme c’est rapporté (04).
Cette question est de taille car elle tente de passer un message à l’opinion publique que rien n’échappe à nos députés alors qu’il n’en est rien de cela. Leurs deux questions n’ont rien à voir avec ce sujet. La baisse de la production ou le déclin est bien reconnu dans le communiqué du ministère de l’énergie qui dit que « quant à la baisse des réserves et de la production globale depuis quelques années, le Ministère de l’Energie ne l’a jamais nié, au contraire puisque tous ses efforts avec les agences et la Sonatrach sont destinés à renouveler les réserves, maintenir la production, et surtout la valoriser localement, tout en participant à la diversification de l’économie du pays. »
Reste donc la contestation du chiffre de la production du mois de janvier que l’agence américaine dit le tenir des négociants d’une valeur de 290 000 barils par jours de pétrole brut et n’a cité dans ce sens aucun autre produit pétrolier.
2- La réponse du communiqué sur ce sujet central est à côté de la plaque
Il y a plusieurs raisons à cela. La première est d’ordre temporel. L’agence Bloomberg parle de la production de janvier 2021 et la réponse revient sur l’année 2020. En général dans le jargon pétrolier, on compte la production du pétrole brut. Le Naphta, les carburants, le fuel et les autres produits raffinés ne sont pas comptabilisés dans la production d’un pays et aucun article n’en a parlé dans ce contexte qui justifie cette réponse donc tout à fait inutile. D’ailleurs le communiqué semblait se ressaisir en déclarant que « l’idéal serait même de pas exporter de pétrole brut, mais de le raffiner entièrement en Algérie, et d’exporter alors que des produits raffines»(05).
Maintenant si l’on considère les exportations des cinq dernières années tirés des bilans disponibles au niveau du site du ministère de l’énergie pour les années 2016, 2017, 2018, 2019 et la dernière situation faite par la direction commerciale de Sonatrach pour l’année 2020, le chiffre de 290 000 barils par jours n’est pas aussi dramatique pour nécessiter une telle riposte car il est dans la tendance habituelle accentué un petit peu par la crise sanitaire due au Covid-19 depuis mars 2020.
Voici le volume « moyen » journalier des exportations des cinq dernières années en barils par jour : 2016 : 506 671, 2017 : 496030 ; 2018 : 431767 ; 2019 : 445443 ; 2020 : 336 055.
En somme une légère diminution de 13,7% par rapport à la moyenne 2020 qui sera rattrapée comme de coutume dans les mois qui suivent alors pourquoi cette panique et empressement et surtout des insinuations graves de complotisme gratuit ?
Rabah Reghis
Renvois
(02)https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-02-08/an-oil-country-no-more-algeria-s-energy-exports-sink-rapidly (03)https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-12-11/algeria-s-lng-supply-disruptions-add-to-global-market-tightness (04)https://www.youtube.com/watch?v=-JnhrEL_sRw (05)https://www.energy.gov.dz/Media/galerie/retour_sur_les_declarations_du_ministre_de_l’energie_6028fae965472.pdf