Plaider pour la séparation entre l’Islam et l’État en Algérie peut paraitre être une tâche complexe et délicate, compte tenu du contexte historique, politique, et social du pays.
La question de la laïcité, ou de la sécularisation de l’État, a souvent soulevé des débats passionnés qui vont au-delà des simples arguments politiques, elle touche à la perception des croyances religieuses, à l’approche de l’identité culturelle, et aux dynamiques sociales établie depuis au moins les années 1930. Mais, je me propose d’aborder cette thématique en argumentant en faveur de l’État laïque et démocratique, en m’appuyant sur des principes rationnels, des constats historiques, et des impératifs de paix sociale ; tout cela avec la conviction de contribuer l’apaisement du débat.
I. La distinction fondamentale entre les fonctions de l’État et les croyances religieuses
1.1 L’État comme structure d’administration de la société
L’État, dans sa définition moderne, a pour mission première d’administrer la société en établissant des politiques sectorielles (santé, éducation, économie, etc.) et globales (justice, sécurité, défense, diplomatie) qui touchent l’ensemble des citoyens. Ces politiques doivent être conçues de manière à répondre aux besoins de tous, indépendamment de leurs croyances religieuses, de leur appartenance ethnique, ou de leurs orientations idéologiques.
Pour accomplir cette tâche, l’État doit tendre à agir en tant qu’intervenant neutre, garantissant l’égalité de tous devant la loi et offrant à chaque citoyen la possibilité de participer à la vie publique et politique. L’État démocratique, par essence, repose sur la participation citoyenne, la transparence, et la critique des politiques publiques. Ainsi, l’exercice du pouvoir politique doit être soumis à un examen constant, où les citoyens, les médias, et la société civile jouent un rôle actif dans l’évaluation et la discussion des décisions prises par les autorités.
1.2 L’Islam comme dogme religieux et son rôle dans la sphère individuelle
L’Islam, en tant que religion, est une doctrine spirituelle et éthique qui guide le comportement des croyants. Il propose un ensemble de valeurs morales, de principes de vie, et de règles qui régissent les pratiques individuelles et les relations sociales. Cependant, comme toute religion, l’Islam repose sur la foi et la conviction personnelle. La religion répond aux besoins spirituels de l’individu, à sa quête de sens, et à sa recherche de lien avec le divin.
Dans ce contexte, les croyances religieuses sont généralement perçues comme sacrées par les fidèles et ne peuvent faire l’objet de remises en question sans susciter des réactions émotionnelles fortes. La nature sacrée de la religion implique qu’elle ne peut être soumise aux mêmes processus de débat critique et de mise en question que les décisions politiques. Cette distinction est cruciale pour comprendre pourquoi l’introduction de la religion dans le champ politique engendre des tensions et des controverses.
II. Le champ politique et la nécessité du débat et de la critique
2.1 L’impératif du débat dans l’élaboration des politiques publiques
Les décisions de l’État sont par définition politiques, c’est-à-dire qu’elles concernent la gestion des affaires publiques et impliquent la mise en place de lois, de règlements, et de politiques qui affectent l’ensemble de la société. Dans une démocratie, ces décisions sont soumises à l’examen et à la critique des citoyens, des partis politiques, des médias, et de la société civile. Ce processus est essentiel pour garantir la transparence, la justice, et l’efficacité des politiques publiques.
Tout ce qui relève de la politique doit pouvoir être discuté, contesté, et amendé. Les débats politiques permettent d’identifier les erreurs, de proposer des alternatives, et d’ajuster les décisions en fonction des besoins réels de la société. En ce sens, le champ politique est un espace de confrontation d’idées, de visions, et d’intérêts où aucune décision ne peut être tenue pour sacrée ou incontestable.
2.2 L’incompatibilité entre le sacré et le débat politique
Les croyances religieuses, en revanche, sont considérées comme sacrées et inviolables par les croyants. Elles relèvent du domaine de la foi et ne sont pas sujettes aux mêmes règles de discussion et de critique que les décisions politiques. En outre, il n’y a pas de dogme univoque en Islam ; le message divin est interprété de différentes manières, donnant lieu à des écoles, des schismes, et des controverses internes.
Lorsque la religion est intégrée au champ politique, ces interprétations divergentes ne peuvent éviter de devenir sources de conflits. En Algérie, comme dans d’autres pays musulmans, l’utilisation de l’Islam à des fins politiques conduit inévitablement à des disputes sur la « véritable » nature des enseignements islamiques et sur la manière de les appliquer dans la législation. Cela introduit des débats religieux dans la sphère politique, qui devraient idéalement être réservés à la réflexion théologique individuelle et communautaire.
III. La séparation entre l’Islam et l’État : un impératif de raison et de paix civile
3.1 L’importance d’un espace politique laïque
La séparation entre l’Islam et l’État ne signifie pas un rejet ou une dévalorisation de la religion, mais plutôt une reconnaissance du rôle distinct de l’État et de la religion. La politique, en tant que domaine public, doit être régie par des principes rationnels, ouverts au débat, et soumis à l’examen critique. Les décisions prises dans ce domaine affectent tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances, et doivent donc être justifiables sur la base de critères objectifs et universels.
Les croyances religieuses, en revanche, relèvent de la sphère individuelle et de la conscience personnelle. Elles doivent être respectées et protégées, mais ne peuvent être érigées en fondement des lois et des politiques publiques. La sécularisation de l’État garantit à chaque citoyen le droit de croire ou de ne pas croire, de pratiquer sa religion ou de s’en abstenir, sans que cela n’influence sa participation à la vie publique.
3.2 Prévenir les conflits religieux
Un État qui se fonde sur une religion particulière risque de créer des divisions au sein de la société, en excluant ou en marginalisant ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances. En Algérie, la pluralité des interprétations de l’Islam (sunnite, chiite, soufi, Ibadite, etc.) ainsi que la présence d’autres confessions religieuses (christianisme, judaïsme) et de croyances animistes ou athées rendent d’autant plus nécessaire la neutralité de l’État en matière religieuse.
Lorsque la religion est instrumentalisée par le pouvoir politique, elle devient un outil de contrôle et de légitimation, ce qui conduit à des dérives autoritaires et à des atteintes aux libertés individuelles. Par ailleurs, la sacralisation de certaines lois ou politiques publiques, au nom de la religion, rend toute critique impossible et étouffe le débat démocratique, l’exemple du Code de la famille est patent, tout autant que celui de la nationalité. La séparation entre l’Islam et l’État est donc une condition indispensable pour préserver la paix civile, la liberté
IV. L’illusion de l’État islamique et les dangers du cléricalisme
4.1 Un État bâti sur une religion : la théocratie et ses écueils
Un État basé sur une religion particulière se transforme inévitablement en une théocratie, où l’autorité politique est subordonnée à une interprétation religieuse. Dans le cas de l’Islam sunnite, qui ne possède pas de clergé centralisé, la question de savoir qui détient le droit d’interpréter la loi divine devient source de conflits. La mise en place d’un État islamique nécessite la création d’un appareil clérical qui devient, de fait, l’organe d’administration du pouvoir.
Cependant, la théocratie implique également l’exclusion des citoyens qui ne partagent pas la foi dominante ou qui adhèrent à des interprétations différentes de la religion.
Dans le cas de l’Algérie, un État islamique impliquerait non seulement l’imposition d’une interprétation particulière de l’Islam, mais également l’exclusion des citoyens qui adhèrent à d’autres confessions, qui sont athées, ou qui souhaitent simplement que l’État reste neutre dans les affaires religieuses. Cette situation pourrait engendrer des divisions sociales profondes, des discriminations, et même des violences sectaires, mettant en péril la paix civile.
4.2 L’Islam sunnite et l’absence d’un clergé : un obstacle à la théocratie
Historiquement, l’Islam sunnite s’est distingué par l’absence d’un clergé organisé comme dans le christianisme ou dans l’islam chiite. Les érudits et les juristes islamiques (oulémas, fuqaha) jouent un rôle dans l’interprétation des textes sacrés, mais ils ne forment pas un corps religieux doté d’une autorité centralisée. Cette absence rend la construction d’un État théocratique islamique difficile, car elle nécessite l’établissement d’une structure cléricale nouvelle, souvent sous la forme d’un parti politique ou d’un groupe d’érudits désignés comme guides suprêmes. Les partis islamistes sont tous candidats à cette incarnation en structure cléricale où la responsabilité est corrélée à une supposé érudition religieuse.
L’exemple de l’Iran chiite montre comment l’instauration d’un État islamique requiert l’existence d’un clergé qui revendique le droit de gouverner au nom de la loi divine.
En Algérie, la mise en place d’un tel système impliquerait de créer une élite religieuse investie du pouvoir de décider des affaires publiques, une situation en contradiction avec les principes égalitaires et décentralisés de l’Islam maghrébin.
V. Vers un État civil, démocratique et laïque : la voie du vivre-ensemble
5.1 La laïcité comme garant de l’égalité et du respect des différences
A contrario de ce que nous venons d’aborder, un État civil, démocratique et laïque offrira un cadre de coexistence pacifique à des citoyens de croyances diverses. La laïcité, en tant que principe de séparation de la religion et de l’État, ne signifie pas la négation de la religion, mais plutôt la garantie que les affaires publiques sont administrées indépendamment des dogmes religieux. Elle assure que tous les citoyens, croyants ou non, sont égaux devant la loi et que leurs droits fondamentaux sont respectés sans distinction de religion.
Dans un État laïque, la liberté de culte est préservée, et les croyances religieuses peuvent s’exprimer librement dans la sphère privée et la société civile. Cependant, la laïcité empêche que ces croyances ne deviennent le fondement des lois et des politiques publiques. Elle protège ainsi le pluralisme des opinions, les libertés individuelles, et le débat démocratique.
5.2 La démocratie, le dialogue et la gestion de la diversité
La démocratie repose sur le dialogue, le respect des différences, et la recherche du consensus. Dans une société aussi diversifiée que celle de l’Algérie, marquée par des courants religieux variés, des appartenances linguistiques multiples (Arabophones, Amazighophones, etc.), et des aspirations politiques diverses, la séparation entre l’Islam et l’État est essentielle pour garantir un vivre-ensemble harmonieux.
En adoptant la laïcité, l’État algérien reconnaîtrait la pluralité des croyances et des identités qui composent la société tout en offrant un cadre neutre où chacun peut s’exprimer et contribuer à la construction du bien commun. Cette approche permet de dépasser les divisions religieuses et de promouvoir une citoyenneté fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, renforçant ainsi la cohésion sociale et la stabilité politique.
VI. Conclusion : une mesure de raison, de paix civile
La séparation entre l’Islam et l’État en Algérie apparaît comme une mesure de raison, de paix civile, et de justice sociale. Elle ne remet pas en cause le rôle de l’Islam dans la vie de nombreux citoyens, y compris les plus salafistes. Mais, elle vise à préserver la neutralité de l’État pour garantir l’égalité, la liberté, et le pluralisme. Dans un monde en évolution rapide, où les défis politiques, économiques et sociaux sont de plus en plus complexes, l’Algérie a besoin d’un État capable d’administrer la société sans être entravé par des dogmes religieux.
L’instauration d’un État laïque, démocratique et civil, fondé sur le respect des droits et des libertés de tous les citoyens, est la voie vers un vivre-ensemble durable. C’est également une condition essentielle pour que l’Algérie puisse évoluer et relever les défis du XXIe siècle en accord avec la profonde aspiration de son peuple à un Etat moderne.
Mohand Bakir