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Un été suisse loin du bled

Voyage photographique

Un été suisse loin du bled

Une exposition photos en Suisse retrace l’Algérie contemporaine et hirakiste. Mais pas seulement…

Genève, bord du lac Léman, juillet 2020. Deux couples d’Algériens discutent et constatent. Depuis un moment déjà que cette ville, base arrière du FLN durant la guerre de libération nationale et qui abrite traditionnellement le plus de rencontres autour de l’Algérie en Suisse, a vu le Hirak reprendre timidement ses activités. Mais, aucune manifestation culturelle n’a été signalée.  

Et c’est la ville de Bienne, située dans le canton de Berne, qui lui vole la vedette. En effet, le Photoforum Pasquart de Bienne tient une exposition de photos, « Narratives from Algeria » du 4 juillet au 6 septembre 2020. Trente photographes algériens, vivant au pays ou issus de la diaspora, y dévoilent une Algérie contemporaine, jeune et hirakiste, à travers des récits photographiques.

Depuis le début de la crise sanitaire actuelle, cette importante exposition est la première manifestation suisse à honorer l’Algérie. Ainsi, elle reste pour les Algériens que le satané coronavirus prive de se rendre au pays l’unique petite consolation de leur nostalgie du bled. Difficile donc de résister à cette tentation. Alors une visite s’impose.

Dès la sortie de Genève, on déduit des routes vides que la ville est en vacances. Pour agrémenter le voyage, avec les 160 kilomètres à avaler, on s’est offert une pause-café à Lausanne, juste en face du château d’Ouchy. Quelques instants après, deux couples sortent de leur voiture mettent leurs masques, devenue obligatoire presque partout dans le canton de Vaud, dernière trouvaille de lutte contre le Covid-19 qui a repris du poil de la bête, viennent s’attabler à deux mètres de nous. « Tu as vu, nous sommes face à Evian où notre indépendance que l’on vient de célébrer a été négociée ! », a lancé l’un deux aux autres, à peine installés. 

En effet, au loin, depuis le quai d’Ouchy où Ait Ahmed a l’habitude de recevoir les cadres de son parti, Evian que l’on peut rejoindre par bateau en moins de 60 minutes, s’impose et baigne dans un soleil, agacé parfois par quelques nuages récalcitrants, pendant qu’elle plonge ses pieds dans l’eau tel un géant au repos.

L’auteur, Tahar Houchi.

Nous n’avons eu aucun mal à deviner qu’ils sont Algériens. Pour entamer un dialogue, nous avons ajouté avec une voix forte « Et nous sommes à quelques mètres du lieu où Nils Andersson a imprimé La Question de Henri Alleg !» Et c’est à une des dames, portant un magnifique bijou targui, qui semble guider le groupe, de répliquer : «Vous êtes peut-être aussi assis sur la chaise utilisée par Ferhat Abbas, président du GPRA, pour donner sa première interview en 1956 à Charles-Favrod qui travaillait pour la Gazette de Lausanne »

Le dialogue qui a suivi a été fluide, drôle et riche en enseignement. L’inévitable situation sanitaire et l’avenir du Hirak ont été au cœur de notre échange. Alors que nous pensions qu’ils voulaient faire la traversée vers Evian, ils nous informent qu’ils se dirigent aussi vers Bienne.

Après avoir pris congé d’eux, nous commençâmes à avaler des kilomètres. La voix de Matoub qui épousait le défilement des décors verdoyants voile le vrombissement du moteur avide. Comme l’autoroute est fluide, nous avons voulu profiter du peu de temps gagné pour voir la ville d’Yverdon.

Lors de notre flânerie au centre-ville, nous tombâmes nez à nez sur les deux couples qui visiblement sont aussi sur les traces de la révolution algérienne. En effet, cette ville a joué un rôle déterminant dans l’indépendance de l’Algérie.

Dans l’esprit des Algériens, elle est associée à Henri Cornaz (1920-2008) que la police suisse a qualifié d’imprimeur du FLN. Et pour cause, c’est lui qui a imprimé la plateforme de la Soummam.  Le texte lui a été remis par le Vaudois Charles Henri Favrod, selon son témoignage dans la presse suisse, qui l’a reçu à son tour de Lakhdar Bentobbal. Malgré les tracas policiers, le Vaudois a continué à soutenir la cause algérienne et à imprimer aussi les journaux La Résistance algérienne et El Moudjahid. 

Nos compatriotes fureteurs ont beau tourner dans la ville pour trouver les traces de cette petite imprimerie familiale, mais c’est sans succès. Ils voulaient savoir ce que sont devenus les archives de ce monsieur. Nous les avons informés que selon le journal suisse La Liberté du 2 mars 2012, monsieur Cornaz qui a voulu transmettre son trésor, dont la plaquette de la plateforme de la Soummam, aux générations futures algériennes, a reçu en 2006 la médaille du Mérite de l’Algérie. « Après sa mort en 2008, son imprimerie a été vendue. Et personne ne sait aujourd’hui où se trouvent ses archives de la guerre d’indépendance», selon le même média. Mais nous croyons savoir que ces documents sont aux archives cantonales vaudoises.

Avec un brin de déception, nous avons repris la route vers Bienne. Nous longeâmes le lac de Neuchâtel qui offre un magnifique décor. Le bleu du lac se confond avec celui des eaux qui ne cessent de scintiller sous l’effet des rayons solaires. Faute de temps, nous passâmes outre notre désir de visiter la ville de Neuchâtel qui a vu naître le Conseiller fédéral Max Petitpierre (1899 – 1994). Ce dernier a favorisé la tenue de la conférence d’Évian et facilité le séjour de la délégation du FLN venue négocier avec les ministres Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie.

En entrant dans Bienne, l’ambiance estivale est très perceptible. Malgré la communication contradictoire et complexe, à la fois fédérale et cantonale, au sujet du Covid-19, la ville a déployé des efforts pour aménager le bord du lac afin de rendre l’été des citoyens agréable. Sur le bâtiment vitré du Photoforum Pasquart, l’exposition photos a été annoncée d’une manière très visible. Notre étonnement de ne pas voir de monde s’est vite dissipé quand la réceptionniste nous a informés que le centre est fermé ce jour-là. Nous avons eu un zeste de chagrin pour nos compatriotes venus de si loin pour ne rien voir !

Nous concernant, nous avons eu droit à une visite presse, guidée et commentée par Danaé Panchaud, une des curatrices de l’exposition. D’emblée, elle nous précise que « L’exposition a pour ambition de présenter un aperçu de la photographie contemporaine algérienne dans sa pluralité, sa richesse et sa diversité, alors qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, d’une diffusion internationale limitée. »

Elle nous informe que la cérémonie d’inauguration a attiré plus de 150 personnes tout en respectant les consignes sanitaires dictées à la fois par la Confédération et le canton. L’expo se tient sur 2 salles, une petite et une grande. La première situe le contexte. A travers des cartes postales de l’époque, anciennes photos et livres sur la photographie algérienne, les curateurs (Danaé Panchaud, Abdo Shanan et Miriam Edmunds) ont voulu retracer des moments importants de l’histoire de la photographie en Algérie. Cette dernière « est marquée par le passé colonial, et par des images produites presque exclusivement par des photographes européens durant plus d’un siècle, puis par un profond déséquilibre dans la production et la circulation des photographies réalisées par les Algériens ou les Européens. Cette section de l’exposition problématise ces questions et contextualise des images. », explique Danaé.

Dans la deuxième salle, c’est plutôt l’Algérie contemporaine qui est exposée. Plus de 300 photos, prises par 30 photographes, choisis parmi une centaine de candidats, sont diffusées en grand formats sur deux murs et un gigantesque écran construit pour la circonstance. Les projets choisis « livrent collectivement un récit multiforme de l’Algérie, de son présent complexe à la lumière de son passé difficile, et abordent des questions telles que l’identité collective et individuelle, l’engagement politique ou certaines facettes de la vie quotidienne dans le plus grand pays du continent africain. », commente Danaé. 

Et elle ajoute : «Les projets sont regroupés en trois thèmes, définis de manière large et ouverte, et présentés sous forme de trois projections. Le premier thème, identités, comprend une série de travaux conceptuels, plasticiens ou documentaires offrant des réflexions sur l’identité algérienne contemporaine, aussi bien collective qu’individuelle. Un tiers environ des projets sont proposés par des photographes issus de la diaspora et explorant leurs origines et leur identité algériennes. Le second thème, politiques, présente de multiples points de vue sur des problématiques actuelles, en particulier le hirak. D’autres sujets importants incluent la migration et les migrants traversant l’Algérie, les réfugiés Sahraoui, ou l’histoire franco-algérienne. Le troisième thème, quotidiens, regroupes des projets, pour la plupart documentaires, centrés sur la vie quotidienne dans différentes régions de l’Algérie. » 

A la fin, le visiteur aura fait un voyage à travers l’Algérie, mais il en ressort avec des images fortes et impressionnantes qui restent dans sa mémoire : celles des jeunes en plein processus de reconquête pacifique de l’espace public. Il repartira aussi avec un brin de frustration de ne pas avoir vu, notamment dans la partie de contextualisation, un lien avec la Suisse aussi bien durant la révolution que durant la décennie noire qui a été beaucoup photographiée par le photographe bernois Michael von Graffenried.

Nous quittâmes la fraîcheur du centre pour nous livrer à une chaleur généreuse. Nous avons recherché un peu de fraîcheur au bord de l’eau. A peine entré dans la plage aux allures de Miami Beach, nous nous retrouvâmes une fois de plus face à face avec les couples algériens qui noyaient leurs déceptions de ne pas avoir vu l’exposition dans des sorbets bien glacés. Nous prime place à leurs côtés et nous racontâmes l’exposition. «Nous sommes en train de suivre les traces de la révolution algérienne qui ne cessent de nous échapper », nous dit un de nos interlocuteurs avec une voix qui mélange la tristesse et le sarcasme. C’est là que nous lui avons suggéré l’idée de visiter Berne qui est juste à 50 kilomètres. Etonné de notre proposition, nous lui expliquâmes que, selon l’historien suisse Marc Perrenoud, la décision de déclencher le conflit armé le 1 er novembre 1954, a été prise à Berne. « Profitant du débordement de la police prise dans le tourbillon de la Coupe du monde de football, cinq des neuf chefs historiques du FLN avaient pu se réunir dans la capitale fédérale. Au nez et à la barbe également des services français… », rapporte le journal La Liberté.

Réflexion faite, ils décidèrent de rentrer alors que nous décidâmes de profiter de la ville qui semble grouillante de monde, fraîcheur aidante, vers la fin de la journée. Au retour, toujours via la route du lac, le soleil rougeoyant nous accompagna pendant un moment avant de se laisser tomber, comme on laisse tomber les touches de notre clavier afin d’arrêter ce récit. Le lecteur aura certainement l’occasion de faire son propre récit qui sera certainement complété par une projection de film suivi d’un débat qui est en préparation pour le début de septembre. La projection sera montée, en collaboration le 15ème festival International du film Oriental de Genève qui clôturera son édition le 26 septembre avec une soirée qui s’annonce explosive.

Lausanne, Tahar Houchi

Orientalisme et érotisation

De même, dès le développement industriel de la photographie, au milieu du XIXe siècle, ce sont les colons et voyageurs étrangers qui photographieront l’Algérie, avec une approche souvent ethnographique, une propension à l’orientalisme et à l’érotisation de la femme arabe. 

Au passage, on apprend que la Biennoise Henriette Grindat (1923-1986), une photographe à l’approche plus artistique que documentaire, publia en 1956 à la fameuse Guilde du livre de Lausanne un recueil d’images prises peu avant le début de la guerre d’Algérie. Dédié aux victimes du colonialisme, il fit polémique, poussant son distributeur à remplacer sur une 

« Narratives from Algeria » rassemble les œuvres de plus de 30 photographes internationaux aux liens étroits avec l’Algérie, dont une majorité y réside actuellement. Ils n’ont pour la plupart encore jamais exposé en Suisse. «L’idée est de montrer le travail de photographes vivant en Algérie, mais aussi ceux installés ailleurs, afin de parler des problématiques de l’identité, du rapport au pays d’origine, à la famille… Mais aussi montrer le travail d’étrangers qui sont passés par l’Algérie, ou y ont travaillé, comme Tytus Grodzicki », poursuit Abdo Shanan. Tytus Grodzicki, un Polonais qui a passé une partie de son enfance en Algérie, y est revenu en 2015 a réalisé un ouvrage photographique d’une rare beauté, Degulet Nour (2018), du nom de la qualité supérieure des dattes algériennes.

« Algérie objectif politique révolution pacifique », 2019 © Belkaid Samir

 

Auteur
Tahar Houchi

 




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