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Un hirak sous influence (2e partie)

OPINION

Un hirak sous influence (2e partie)

Prétendument issus des courants intellectuels modernistes, patriotiques et démocratiques, les charlatans Bouhamidi et Bensaada qui accusent le hirak de servir la cause impérialiste contre l’ANP et l’Algérie sont vite démasqués. Il suffit de mettre leurs propos en parallèle avec ceux de Saadani, le nationaliste aux biens immobiliers et aux comptes en banque … à Paris. 

Rappelons-nous comme lui aussi reprochait «  aux infiltrés du hirak de cibler la présidence, le Ministère de la défense et le FLN. » Rappelons-nous comment il fustigeait ceux qui «  veulent orienter la rue contre le premier responsable de l’état-major pour pouvoir pénétrer à l’intérieur de l’institution militaire » expliquant que  « de grands pays y sont intéressés car le commandement ne va pas dans leur direction. ». Saadani ne disait-il pas :  « Ils voulaient le petit-lait et cachaient le récipient. Le petit-lait c’est l’institution militaire… C’est ce qui est voulu à l’étranger et par leurs relais à l’intérieur … A l’étranger on veut changer l’orientation de l’institution militaire, ses convictions, ses achats d’armes, ses alliances. » Oui, Saadani affirmait avec vigueur qu’il ne voulait pas voir l’ANP changer d’orientation mais nous expliquait, en même temps, que le Sahara est marocain. Est-ce de l’anti-impérialisme que de bafouer les droits du peuple sahraoui ? Est-ce conforme aux orientations de la diplomatie algérienne et de l’ANP ? Est-ce l’héritage des martyrs de la guerre de libération ?

Lire : Un hirak sous influence (I) 

On ne peut pas exclure que les convictions de Bouhamidi et Bensaada soient aussi sujettes à variation que celles de Saadani avec lequel ils partagent tant de choses. L’anti-impérialisme de Saadani est tellement fragile que lorsqu’il était président de l’APN il développait la coopération parlementaire avec l’UE, recevant le Président du parlement européen pour discuter de la libéralisation des échanges commerciaux, c’est-à-dire pour déterminer quels privilèges néocoloniaux allaient être encore accordés à des partenaires si accueillants.

Il organisait même des sessions de formation au profit des membres, fonctionnaires et assistants techniques du parlement avec les parlementaires  américains et britanniques.« Une aubaine aussi bien pour l’Algérie que pour les USA » s’enthousiasmait-il, lui si prompt à se saisir des opportunités.

Naturellement les ONG dénoncées par Bensaada et Bouhamidi étaient là pour assurer le service après-vente de ces formations. Les pratiques et les propos de Saadani ainsi que le silence complice des intellectuels organiques du nouveau pouvoir nous montrent toute la vacuité de leurs arguments et ne réussiront pas à faire confondre aux algériens fidélité à la mémoire des martyrs et avilissement auprès du pouvoir politique.

La proximité idéologique de Saadani encombre Bensaada et Bouhamidi. Mais ils doivent en rendre compte jusqu’au bout. Partagent-ils aussi l’idée qu’il y aurait une lutte au sein de l’ANP ? Après tout Saadani avait dénoncé les manœuvres de ceux qui « dépendent de l’état profond parce qu’ils ont été écartés ». 

Ces luttes, réelles ou supposées, entre Gaïd Salah et Médiène ainsi que les propos de Saadani ne portent-ils pas des risques d’ingérence bien plus concrets que ceux qu’ils prêtent au hirak ?  Pourquoi n’avaient-ils pas dénoncé depuis des années ceux qu’Amar Saadani désigne comme les tenants d’une récupération du hirak, voire ses initiateurs ? Les luttes remontent pourtant à 2013 explique le général Médiène qui rappelle qu’il avait été évincé parce qu’il  voulait lancer des poursuites dans le cadre de l’affaire Sonatrach.

N’a-t-il pas aussi été condamné, en plus de ses réunions ou rencontres avec le conseiller du Président encore en exercice et le Président Zeroual, pour avoir échangé avec des responsables des services de sécurité français et américains à l’école de tourisme de Aïn Bénian ? Chose qu’il a formellement démenti durant son procès, ce qui signifie que ces très graves accusations ont été inventées par le tribunal militaire.

Est-ce que ces faits, la rencontre ou les fausses accusations, ne sont pas le véritable révélateur de l’état dans lequel est plongé le pays depuis longtemps et qui favorise l’ingérence étrangère contre laquelle avertissent Bensaada et Bouhamidi bien tardivement ? En vérité l’arrivée de Bouteflika à la Présidence constitue le véritable chaos constructif si cher aux USA dans leur stratégie de nation Building. Tout le reste n’est que la conséquence de ce choix qui remonte à bien avant le 22 février 2019. Choix imposé aux algériens par ceux qui avaient porté leur préférence sur « le moins mauvais ».

S’il y a complot contre l’Algérie on devrait le faire remonter, au moins, à ce moment. Mais Bouhamidi considère que l’action des ONG et la mutation du hirak datent de la confirmation « des arrestations de plusieurs dirigeants de l’état (premiers ministres, ministres, généraux, oligarques) » où selon lui «  la mobilisation populaire a connu une très forte décrue » Après les présidentielles «  la crise venait de se résoudre » et « émergeaient alors toutes les autre crises : culturelles, économiques, sociales, linguistiques, voire ethniques.»

Exit les manifestations des familles des victimes du terrorisme islamiste dès 1999, le printemps noir en 2001, l’émergence des syndicats autonomes à partir de 2003, le mouvement des chômeurs, les harragas, les pères de famille qui s’immolent par le feu, les réformes de la Constitution pour y inscrire tamazight en tant que langue nationale, puis « officielle elle aussi », l’ascension du boycott électoral années après années. Rien de tout cela n’existait avant le 29 avril 2019 ! Car Bouhamidi est très précis même si il semble avoir un grave problème avec l’histoire des luttes démocratiques. Et les baltaguias envoyés très tôt contre les manifestants démocrates et progressistes aux cris de Harrachia islamiya, anticipation de Badissia Novembria semblent plus perturber sa chronologie que le hirak. Est-ce que ce sont les ONG favorables au changement de régime qui les ont envoyé contre les classes moyennes de la 5ème colonne ? Ou est-ce qu’ils n’étaient pas plutôt les habituels hommes de main du pouvoir ?

Bouhamidi ne peut pas parler d’une solution politique et affirmer que la question du pouvoir a été réglée le 12/12. L’élection de Tebboune, à l’évidence, n’a apporté aucune solution aux différentes attentes, même pas celles de ceux qui ont voté pour lui, dans l’espoir d’un changement en bon ordre. Ils n’ont ni le changement, ni l’ordre. Et si la question du pouvoir est toujours au coeur même de la crise, c’est qu’avec elle se pose la question de l’arbitraire. L’arbitraire par lequel a été imposé Tebboune mais aussi l’arbitraire avec lequel le pouvoir répond aux différentes crises sectorielles ou ponctuelles.

Cet arbitraire est national, même s’il est aussi le reflet d’un arbitraire au plan international.  Du coup ni la crise du pouvoir ni la crise nationale ne sont réglées, ce qui laisse ouverte la question de la place du militaire dans le champs politique national. Car c’est là que se situe l’arbitraire. Et tant que cette question n’est pas formellement réglée le hirak devra se battre.

Hadj Nacer a raison quand il proclame  que : « le hirak fonctionne comme un ordinateur quantique, il a sa logique à lui qui n’a rien à voir avec celle de ceux qui ont voulu le lancer ». Mais il est hâtif de conclure comme l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie qu’« au départ il pouvait apparaître comme une énième manipulation. Mais au lieu d’être utilisé, ou de légitimer un arbitrage entre les clans, considérant que les instances d’arbitrage ont été détruites au sommet de l’état, le hirak s’est émancipé et il est devenu un lieu d’expression de différents intervenants politiques mais surtout le lieu d’expression d’une population qui a retrouvé la parole politique, faisant montre dans ce domaine d’une maturité qu’on ne lui soupçonnait pas, c’est-à-dire qu’au lieu d’être manipulée, la population est devenue un acteur. » C’est certes la volonté du hirak, elle reste encore à concrétiser en mettant fin à l’arbitraire qu’on tente toujours de lui imposer.

L’agression contre le hirak perpétrée par Bouhamidi et Bensaada, justifie et prolonge la répression du hirak par le pouvoir. Elle souligne ainsi ce qui reste à accomplir. Mais elle pose aussi une question. Pourquoi relancer des attaques déjà opérées au début du hirak, entre autre à travers l’article de notre professeur installé au Canada qui s’interrogeait sur « Bellaloufi, le RAJ et l’importation de la démocratie » ? Contrairement à ce qu’écrit Bouhamidi le pouvoir de Tebboune n’est pas si conforté. Et c’est bien à chaque fois que le pouvoir chancelle que ces nervis intellectuels tentent de culpabiliser et de diviser le hirak en lui reprochant de faire le jeu des uns ou des autres. Et on peut penser, qu’une fois encore, ils obtiendront non pas la division du hirak mais sa remobilisation. 

A l’issue d’une crise nationale et internationale à l’occasion de laquelle pour la première fois l’ANP n’a pas joué de rôle essentiel, les algériens ont su faire la part entre leurs engagements dans le hirak et les risques sanitaires aussi bien qu’entre leur pratique religieuse et les exigences de lutte contre le covid-19, se mobilisant contre la pandémie de façon citoyenne. Au premier rang se situaient le corps soignant mais aussi les commerçants, qui ont affronté un risque sanitaire considérable pour assurer leurs missions. Ces citoyens sont largement constitutifs des classes moyennes, dont la radicalisation aux côtés des couches populaires les plus défavorisées fait trembler le pouvoir.

Yacine Teguia

Membre du bureau national du MDS

 

 




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