Site icon Le Matin d'Algérie

Un hirak sous influence (I)

OPINION

Un hirak sous influence (I)

A l’approche de l’été un nouveau feuilleton politique s’annonce, précédé par l’habituelle offensive médiatique qui sert de brouillard de guerre. Cette fois-ci l’attaque vise le hirak  au titre de la dénonciation des manipulations par les « usuals suspects » : les islamistes, l’impérialisme et la 5ème colonne.

Le professeur Mohamed Lakhdar Maougal, dont le passage éclair dans les rangs du MDS n’a laissé pour trace qu’une sorte d’effarouchement à la seule prononciation du mot islamisme,  a lancé l’opération avec une révélation tonitruante : « le hirak a démarré un 22 février après une réunion à Paris plus ou moins commanditée par al-Maghribia». Evidemment les accointances de la chaîne avec les tenants de l’état théocratique dans un paysage audiovisuel largement contrôlé par le pouvoir algérien laissent toujours dubitatif.

Pourtant, il n’en fallait pas plus pour crier au loup islamiste, comme on l’avait déjà fait depuis que les marches ont démarré un vendredi après la grande prière. Néanmoins le fracas causé par Maougal n’a pas été bien considérable, vu que la paternité islamiste du mouvement n’avait pas été établie une première fois, malgré des indices qui se voulaient bien plus accablants.

Le chercheur-enseignant Ahmed Bensaada n’aura pas été découragé par ce flop puisqu’il viendra à son tour nous rappeler le rôle joué par Larbi Zitout, la nouvelle star de l’islamisme revu et corrigé façon Rachad. L’auteur d’Arabesque – enquête sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes arabes – dévoile le financement de l’organisation supposée crypto-islamiste par les ONG spécialisées dans le changement de régime. Il ne met pourtant pas en lumière un autre aspect de la vie trépidante du larbin Zitout qui fût membre des services de renseignements algériens en Libye où se trouvait l’historique base Didouche Mourad du Malg.

Voulant peut-être éviter de tomber dans le qui-tue-qui, Bensaada nous conforte cependant dans l’idée que non seulement les milieux islamistes sont depuis longtemps infiltrés par les services algériens dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais que le milieu intellectuel et des maisons d’édition le sont aussi car il faut bien que les enfants de la nomenklatura travaillent. Mis à part ces maigres confirmations, les révélations de l’auteur d’Arabesque sont néanmoins aussi peu convaincantes que la comédie d’espionnage qui porte le même titre mais dont le glamour de Sophia Loren nous tire de l’ennui.

Ce film aurait pu s’intituler « la charge de la brigade légère, très légère ». Nous aurons donc eu droit à une troisième salve. Et c’est Mohamed Bouhamidi, le pétard mouillé comme l’appelait Hachemi Chérif, qui s’est livré à l’exercice pour faire pschitt comme il en a l’accoutumée. Prétendant alerter sur les manœuvres islamistes au sein du hirak qui serait selon lui en difficulté depuis l’élection de Tebboune, il déclare que « pour se dégager de cette impasse du vendredi ces organisations renforcées par des combinaisons avec le youtuber Zitout ont projeté la solution du samedi avec l’obstination à jeter l’Algérie dans le cycle de la stratégie USA-OTAN-Israël et de créer le chaos sans fin sur toutes les lignes de fractures possibles».Terrifiant si ce n’est ce paradoxe que Zitout, Bouhamidi et même Saad Djaffar qui les dénonce sur radio « virus » Corona ont eu et semblent toujours avoir une cible commune : El Hachemi Chérif. Voilà qui recentre sur ce qui apparaît aux yeux  ces compères comme une menace plus concrète et plus proche de nous, c’est-à-dire les démocrates et progressistes algériens. Tout cela relativise finalement la gravité du péril otanesque qui menace en réalité plus l’Iran et la Palestine. Quoique l’Algérie ne soit pas immunisée contre les turpitudes occidentales.

Bouhamidi ajoute : «cette situation a mis en crise l’arc de la révolution démocratique » qui serait «revenue au schéma de 2011, celui de l’alliance des courants religieux et des courants modernistes sur le modèle Ghannouchi – Mazouki en Tunisie ou Bradaï et les frères musulmans en Egypte, du Conseil de Transition en Libye et en Syrie» et il feint d’ignorer que nous ne sommes pas dans le même rapport de force, puisque l’Algérie a vaincu le terrorisme islamiste et que même le chef du parti des assassins se tait sur le documentaire de France 5 qui avait failli causer la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France, pour une scène où on évoquait les frustrations sexuelles de la jeunesse algérienne.

Il le fait certainement pour des raisons tactiques mais il doit surtout sentir quel est le poids des aspirations démocratiques et progressistes dans la société, toute la société, y compris les couches dont il a prétendu incarner les aspirations. Ce qui n’est pas sans troubler le prétendu communiste Bouhamidi.

Deuxième suspect évident : l’impérialisme. Celui que nous présente Ahmed Bensaada dans son livre-enquête semble un mauvais élève incurable, très facilement démasqué et définitivement un tigre en papier. On se demande encore comment il a pu venir à bout de l’URSS. Dans  « qui sont ces ténors autoproclamés du hirak algérien ? » Bensaada évoque les liens avec des « puissances étrangères et organisations américaines, dont le NED (National  Endowoment for Democracy) qui finance des organisations activant en Algérie ». Et c’est très facilement grâce à internet, depuis sa cabane au Canada, qu’il a pu prouver que « des groupes qui se trouvent actuellement à la tête du mouvement populaire algérien sont manipulés et financés, depuis des années, par des organisations internationales, comme la Freedom House et NDI » qui sont autant «d’organismes américains d’exportation de la démocratie et impliqués dans les révolutions colorées  des années 2000.»

Les pouvoirs serbe, géorgien et ukrainien n’ont pas eu la chance d’avoir pour conseillers des Bensaada aussi perspicaces que Robert Redford dans « les trois jours du Condor » qui aura su mettre à jour un réseau d’espions. Mais complot pour complot pourquoi ne pas imaginer que toutes ces preuves ont été laissées là pour désigner un coupable que même un esprit aussi fainéant que celui de Bensaada pourrait désigner et dont la culpabilité pourrait être approuvée par nos esprits « embrumés » par les pseudo rodomontades anti-impérialistes  ?

Toutes ces histoires de complots impérialistes ont fini par embrouiller même le pauvre Lahouari Addi qui déclarait : «  les services secrets des monarchies du Golfe et d’Israël ont certainement tenté d’intervenir dans le hirak, mais ils ont échoué. Ils n’ont pas trouvé d’agents locaux en nombre suffisant pour dérailler la protestation.  Ceci est à mettre au compte des services de sécurité et de la maturité des algériens.»  Il faut toujours se méfier d’interprétations qui feraient exclusivement dépendre l’évolution politique de pressions externes (saoudiennes, émiraties ou françaises pour l’essentiel des commentateurs) déjouée ou pas et dont le rôle est loin d’être toujours décisif.

La démonstration de l’autonomie des évolutions politiques locales a été faîtes à plusieurs reprises (arrêt du processus électoral malgré Mitterrand, intervention militaire à Tiguentourine malgré les pressions américaines…). Et surtout il ne faut pas systématiquement penser que ces évolutions, mêmes autonomes, sont mécaniquement opposées au jeu politique des grandes puissances, en particulier la France et les USA.

Une approche aussi nuancée ne peut pas être assumée par Bouhamidi. Pour lui « certaines ONG internationales tentent d’opposer cette légitimité présumée du hirak à toute solution politique » afin « d’aboutir à une situation de chaos en Algérie ».  Et il se drape dans le manteau du dialecticien qui utilise les propos de son adversaire en retournant le Financial Times contre les intérêts impérialistes et le hirak. On ne théorise jamais trop disait souvent El Hachemi Chérif, on théorise bien ou mal. Et Bouhamidi théorise mal. Il n’utilise la dialectique que pour faire un effet de manche sans rien prouver. Il explique ainsi qu’« après les élections de décembre, des leaders du hirak désignaient leur échec à réussir un boycott massivement indiscutable des élections présidentielles. Il ajoute ensuite qu’un enseignant universitaire avait même pointé du doigt l’erreur principale qui était d’avoir attaqué l’ANP de façon si agressive qu’elle ne pouvait que les contrarier. Et comme les impérialistes volent en groupe, il relève que « cette remarque est la même que le reproche fait par Crisis Group aux ONG qui cherchaient à encadrer le mouvement. »

Le fait qu’un universitaire, le Financial Times et l’International Crisis Group partagent la même opinion n’en fait nullement une vérité et ceci n’exempte Bouhamidi d’aucune tare. Lui comme l’universitaire, le Financial Times et l’ICG ne prouvent ni que le boycott a été un échec politique, ni que l’ANP veut contrarier le hirak, ni même que l’impérialisme vise l’ANP. Après tout le Washington Post considère que la composition sociale de l’ANP a permis d’éviter une répression des manifestants et Sharan Grewal  de la Brookings Institution appelle « islamistes » et « kabyles » à ne pas se diviser pour éviter la répression. Mais peut-être que ces partisans du chaos et de la diabolisation de l’ANP manquent  d’enthousiasme à la tâche, même s’ils considèrent comme le Financial Times que « les leaders militaires au Soudan et en Algérie ralentissent le passage vers une démocratie dans ces pays » ?

Bouhamidi semble trouver dans le Financial Times une source inépuisable d’arguments contre le hirak. Ainsi il brandit, à nouveau, le journal de référence de l’impérialisme : «  si les organisations qui portent ces revendications ne sont pas entachées de soupçon de proximité avec le régime, elles semblent représenter principalement la classe moyenne urbaine éduquée» y est-il écrit. Notre professeur se livre alors aux commentaires suivants : « le développement des couches moyennes au sein de notre société devait poser problème à un moment ou un autre », puis il indique que des organisations « vont tout mettre au crédit de ces couches qui continuent à manifester en leur empruntant beaucoup de leurs slogans mais sans jamais leur servir de troupes ni leur transférer leur énergie» avant de se commenter lui-même et d’ajouter «  en réalité elles ne leur empruntent pas leurs slogans mais les empruntent à l’air du temps, aux représentations et au langage des médias mondialement dominants » puis de poursuivre sa digression par « c’est parce qu’elles empruntent ces formulations et ces idées qu’elles n’arrivent pas à élaborer leurs propres programmes politiques » et du coup il peut conclure se commentant lui-même : « Parler de hirak aujourd’hui est bien un abus de langage envers ces couches moyennes et ces organisations colorées… les deux ont besoin du hirak pour se réclamer en fait du hirak, c’est-à-dire d’une légitimité populaire qu’ils peuvent opposer à la légalité de l’élection présidentielle.»

Avec Bouhamidi nous sommes loin d’Ibn Rochd commentant Aristote. Quelques mots suffiront à faire la critique de sa critique des classes moyennes assimilées à la 5ème colonne comme d’autres les comparaient aux éperviers du colonialisme. Avec son commentaire du Financial Times nous  découvrons un lecteur très éloigné de toute conception universelle de la démocratie. Il semble opposer cette conception universelle de la démocratie à la démocratie produite dans un cadre historique national, comme si l’une et l’autre ne pouvaient pas s’enrichir. Peut-être même que notre pseudo-communiste inclut-il « prolétaires de tous les pays unissez-vous »  parmi les slogans qui empruntent à l’air du temps ?  Au passage il élude un facteur contrariant dans l’élaboration des programmes politiques en Algérie : la répression qui frappe le hirak et avant lui les forces qui essayaient de produire une alternative démocratique.

Enfin puisqu’il parle d’abus de langage, il doit admettre qu’il est très facile de lui retourner l’argument à propos de ce qu’il appelle « la légalité de l’élection présidentielle ». Mais peut-être parle-t-il de la légalité qui a permis au fils d’Abdelmadjid Tebboune d’être libéré dans l’affaire de la cocaïne comme lui-même avait pu échapper au procès Khalifa ?

En réalité tous les commentaires de Bouhamidi, de Bensaada et de Maougal sur les manipulations de l’islamisme, de l’impérialisme et du hizb frança ne sont pas sans rappeler le film « usuals suspects ». Celui qui dénonce le complot de Keyzer Söze s’avère être le véritable comploteur à la fin.

Yacine Teguia

Membre du bureau national du MDS

 

Auteur
Yacine Teguia, membre du bureau national du MDS

 




Quitter la version mobile