Cette semaine, l’ensemble du monde amazigh a célébré un moment que beaucoup d’entre nous attendaient depuis des décennies : l’émission du premier billet de 100 dirhams portant fièrement l’écriture amazighe tifinagh.
Je tiens à adresser mes chaleureuses félicitations à la Banque du Maroc pour cette décision historique, symbole d’un pays qui avance vers la justice linguistique et la reconnaissance de toutes ses composantes. Pour moi, cette nouvelle a une résonance toute particulière.
En octobre 1995, dans l’hebdomadaire Tidmi dirigé par le grand homme d’État marocain feu Mahdjoubi Ahardan, je publiais mon « Plaidoyer pour l’usage du tifinagh ». J’y défendais déjà la nécessité d’intégrer notre alphabet millénaire dans la carte d’identité, le passeport, la monnaie et l’ensemble des documents officiels.
Voir aujourd’hui le tifinagh imprimé sur un billet de banque, c’est voir une idée portée hier devenir réalité aujourd’hui.
Le tifinagh : un alphabet de dignité, pas un folklore
L’amazigh n’a jamais été une langue en quête d’alphabet. Il possède le sien, millénaire, symbole de continuité historique, de dignité culturelle et de résistance identitaire.
Dans mon plaidoyer, je rappelais que vouloir imposer des transcriptions étrangères API, caractères latins ou graphie arabe au nom d’une prétendue modernité, c’était nier notre histoire et affaiblir notre identité. Abandonner son écriture, c’est perdre une part de soi.
Un combat collectif, une renaissance irréversible
Si le tifinagh est aujourd’hui visible sur un billet de banque, c’est grâce à des décennies d’engagement :
– l’Académie Berbère de Paris et de Roubaix, l’association Afus Deg Wfus
– les revues Imazighen, Ittij, Afus Deg Wfus, Assaghen
– la revue Amazigh au Maroc,
– les associations et militants du Maroc, d’Algérie, de Libye et de toute la diaspora.
Le Maroc a ouvert la voie en adoptant officiellement le tifinagh en 2003, puis en l’inscrivant dans la Constitution de 2011. La Libye l’a réhabilité après 2011. En Algérie, il s’impose dans la société civile et bénéficie d’une reconnaissance numérique internationale grâce à son intégration dans Unicode.
Un alphabet modernisé pour l’ère numérique
Le Tifinagh modernisé par l’association Afus Deg Wfus en 1989 et 1993 travail auquel j’ai eu l’honneur de contribuer a servi de base au modèle adopté par l’IRCAM puis reconnu dans Unicode.
Ce travail a permis de faire du tifinagh un outil moderne, lisible, utilisable et adapté au numérique, sans trahir son âme.
Écrire en tifinagh : un acte de souveraineté Choisir le tifinagh, ce n’est pas un choix technique. C’est un choix identitaire, culturel et politique.
C’est affirmer que la langue amazighe (tamazight) possède sa propre écriture, qu’elle n’a pas besoin d’être travestie dans d’autres graphies, et que son avenir dépend de la volonté de ses enfants.
Aujourd’hui, avec ce billet de 100 dirhams, le Maroc envoie un message fort : la renaissance amazighe est en marche, et elle est irréversible.
Conclusion
Je suis profondément heureux de voir, trente ans après mon plaidoyer de 1995, une partie de ce rêve se concrétiser. Le tifinagh sur la monnaie nationale n’est pas un simple symbole : c’est un acte de dignité, de reconnaissance et de souveraineté culturelle.
Med Ouramdane Khacer
Président de l’association Afus Deg Wfus
Ancien dirigeant fondateur de l’Académie Berbère du Nord à Roubaix
Auteur du Plaidoyer pour l’usage du Tifinagh (Tidmi, 1995)

