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Un nouveau monde et, en même temps,… retour à l’ancien !

Emmanuel Macron

Un nouveau monde et, en même temps,… retour à l’ancien !

Il avait promis un nouveau monde, une nouvelle ère de la politique, rajeunie, rafraîchie et qui tourne le dos aux anciennes pratiques, vieillissantes et moribondes. Oui, « mais en même temps », puisque c’est son expression habituelle, il n’est pas assez fou pour tenter l’aventure de la révolution. Emmanuel Macron veut le pouvoir, le garder et utilise, plus que jamais, les méthodes de l’ancien monde.

Les « premiers de la classe » qui accèdent à la politique par le haut, immédiatement et par le fait du prince, ont parfois des velléités de transformer le monde en se moquant des tristes mesquineries des anciens et de leur échec.

Le lecteur doit immédiatement être averti d’un contresens à éviter dans la compréhension de l’article. Être doué, être jeune, s’être enrichi par ses talents et bénéficier d’une solide expérience dans le privé comme dans le public est tout ce qu’il y a de plus honorable.

Être désigné par le Prince qui donne aux méritants de la république la chance de parvenir rapidement à la lumière n’est pas choquant, au contraire. Une fois en place, se saisir de l’opportunité de proposer au peuple une candidature en grillant la politesse à son mentor n’est pas une faute. La candidature républicaine n’est pas soumise à des parrains de la politique, fussent-ils ceux qui vous ont tendu la main.

Promettre un pacte politique au peuple sans avoir été élu une seule fois dans sa vie ni même milité dans un parti politique une seule heure, n’est pas incompatible avec la démocratie puisque c’est le peuple qui décide.

Réussir en quelques mois une prise du pouvoir, alors qu’on était un inconnu, à peine deux années auparavant n’est pas non plus un scandale. Personne n’a priorité sur la décision du suffrage populaire, quels que soient la dureté du chemin, le mérite du travail acharné et le don de soi des anciens briscards de la politique qui ont milité, parfois pendant des décennies.

Tout cela est incontestable et personne ne peut enlever à Emmanuel Macron le mérite d’avoir bouleversé le champ politique, fracassé les anciens partis et réussi là où l’histoire n’arrivait pas à avancer pour promettre la rencontre avec une modernité que des pratiques anciennes s’acharnaient à bloquer.

Mais une fois que l’hommage est rendu à l’extraordinaire épopée de ce jeune homme qui bouleverse les habitudes de la vielle France, il faut maintenant constater sa capacité à créer ce « nouveau monde » qui avait fasciné l’électorat et grâce auquel il fut brillamment élu. Et là, ce n’est plus le même constat car la réalité rattrape les plus téméraires à promettre et séduire.

Premier acte de modernité : retour du général de Gaulle !

Les Français ont vécu ces dernières années un sentiment général de dévalorisation de la fonction présidentielle. « Il ne fait pas  Président », « il ne porte pas l’habit présidentiel », etc. Une critique qui a commencé avec le Président Sarkozy et qui ne s’est pas arrangée pour son successeur.

Emmanuel Macron avait promis de remettre de la hauteur à la fonction présidentielle. Fini les unes des magazines à scandales, terminé avec les confidences permanentes aux journalistes, rupture avec la familiarité des expressions et des amitiés douteuses.

Il avait placé si haut la barre qu’il a voulu, selon ses propres paroles, rétablir une « présidence jupitérienne ». Dès son arrivée au pouvoir, le jeune Président a souhaité montrer au monde la force et la détermination gaullienne du premier magistrat de France.

Descente des Champs Elysées en voiture blindée, accompagné de son chef d’état major pour bien montrer le retour du véritable chef des armées. Il limogera d’ailleurs celui-ci pour affirmer qu’il ne peut souffrir d’aucun manquement au respect de la fonction. Il marche au pas ralenti en inspectant les troupes, accompagné de la musique militaire. Il montre au monde que, lui, le bambin, sait avoir une poigne ferme lorsqu’il serre la main au Président Trump, une image stupide relayée pourtant avec tapage dans le monde entier.

Comme entrée dans un nouveau monde, c’est étrangement un retour vers un passé lointain.  Quant au retour à une communication moderne, la gestion des médias n’a jamais été aussi « contrôlée et conservatrice » depuis le général de Gaulle et même, bien avant. Mais, au moins, le général De Gaulle ne se prêtait pas au ridicule d’une photo en pilote « top gun », se baladant sur la plage avec son épouse et provoquer des images souhaitées. Il y a manifestement un mélange étrange entre la communication « poeple » et celle des papiers jaunis de Paris Match, du temps du général.

Le souci est que la reculade n’est pas seulement le maintien des anciennes pratiques mais le réveil de celles qu’on avait oubliées, depuis des temps très anciens.

La démocratie participative, la vieille arnaque  

Emmanuel Macron, en voulant faire du neuf, a utilisé les plus vieilles méthodes politiques pour prendre et sécuriser son pouvoir. Il a d’abord utilisé un mot aussi vieux que l’ère des sans-culottes en 1789, des rebelles du colonel Zapata, de Mao ou de Lénine, celui de « Révolution », titre de son livre programme lors de la campagne électorale.

« Il faut arrêter avec les décisions qui arrivent d’en haut et les remplacer par des propositions qui émergent d’en bas, du peuple ». On n’a jamais recréer de plus comparable aux populismes les plus anciens de la politique. Et si cette proposition ressemble à celle de beaucoup d’hommes politiques, on reconnaît dans cette démarche plus particulièrement celle de Ségolène Royale, la seule femme parvenue au second tour d’une présidentielle.

La démocratie participative, personne ne sait véritablement ce que c’est car la démocratie est, par nature et définition, « participative ». Qu’est-ce qu’une participation du peuple si ce n’est le débat permanent, l’élection des représentants et la formation des partis politiques qui « concourent à l’expression du suffrage populaire », selon la constitution ?

Nous savons que cette vieille rengaine est toujours un paravent pour créer un culte du chef, un mythe de l’homme providentiel. Écarter les partis politiques pour les remplacer par un pouvoir populaire « participatif », cela a toujours été le meilleur moyen de n’avoir qu’un seul chef, une seule figure, une seule parole.

Les partis politiques, on peut les améliorer, mettre à l’écart certains par une défaveur  électorale ou les forcer à changer de pratique par la pression populaire mais la démocratie n’a jamais réussi à trouver un autre moyen plus crédible de « concourir à l’expression du suffrage populaire ».

Le grand mouvement « En marche », qui refuse d’être un parti politique, va voter pour un chef, rédiger des statuts et organiser un congrès pour capitaliser sa force à l’intérieur du jeu politique. Si cela n’est pas un parti politique, alors nous n’avons rien compris au droit public et à l’histoire. Continuons dans la voie de ce nouveau monde promis.

La moralisation de la vie publique, on verra plus tard !

L’un des thèmes les plus forts de la campagne électorale d’Emmanuel Macron fut la moralisation de la vie publique. Concédé à François Bayrou pour contrepartie de son soutien, ce fut la première loi votée par la nouvelle assemblée.

Le point central de cette moralisation était d’éviter que les hommes politiques s’éternisent aux fonctions électives mais, surtout, qu’ils arrêtent un cumul de mandats et de fonctions qui bloquent le renouvellement de la vie politique.

Et c’est bien une entorse caractérisée de cette morale publique qu’il vient d’infliger à la démocratie. Son poulain choisi par lui-même (en toute démocratie, bien entendu) pour diriger le parti majoritaire favorable au président n’abandonnera pas son poste ministériel mais seulement sa fonction de porte-parole du gouvernement.

Plus grave encore, si on considère son rôle au gouvernement, celui d’être le secrétaire d’État chargé des relations avec le parlement. L’homme « désigné » par le Président aurait en charge cette relation alors qu’il serait, en même temps, un chef de parti politique. C’est une pratique sidérante dont on arrive pas à déceler la modernité profonde.

A cette double casquette choquante pour la démocratie se rajoute, en amont, la scandaleuse procédure de nomination par le Président de la république. Et là, nous dépassons toutes les limites du supportable.

Depuis le Parti communiste, on n’avait jamais vu ça !

La démocratie interne dans les partis politiques est un très vaste sujet car on atteint souvent les sommets de l’hypocrisie. Mais en ce qui concerne la « nomination » du leader par le Président Macron, nous n’avons jamais vu cela depuis l’organisation stalinienne du parti communiste dans les années soixante-dix. Que le lecteur mesure l’énormité de la situation avec ce qui suit.

Tout d’abord, c’est le Président de la république qui a imposé son poulain. Pire encore, il est le seul candidat. Mais continuons dans la stupéfaction car seuls les « barons du mouvement » (on ne dit pas « parti ») ont le droit de vote.

On a donc déterré le droit de vote « censitaire », c’est à dire celui de l’ancien régime consistant à ne faire participer au vote que les électeurs qui versaient une somme d’argent. Dans cette opération, le critère est celui de l’appartenance précédente aux autres partis politiques, dont principalement le parti socialiste.

Comme si nous n’avions suffisamment rétrogradé dans les pires républiques bananières et dans l’ancien régime, il restait à infliger le vote à main levée. On connaît tous cela dans l’histoire algérienne, faites voter à main levée et vous aurez la majorité absolue. Qui oserait, devant ses petits camarades, ne pas lever la main ?

Mais comme la barque commençait à être lourdement chargée et qu’une certaine fronde se manifestait, notamment par le départ d’une centaine de militants, il a été proposé un accord. On votera « à main levée » pour savoir si on doit voter « à bulletin secret ». Le burlesque rejoindra donc le nouveau monde, nous en sommes rassurés.

Non, mes chers lecteurs, il ne s’agit pas du parti politique de Mugabe ni de ceux qui sont plus « locaux » mais bien d’une grande puissance démocratique. On peut se réjouir que tout cela soit le fait de manipulations d’un parti politique nouveau et non des institutions qui restent, malgré tout, très solides.

De nouveau, une précision s’impose, les critiques sans détours de cet article ne sauraient comparer Emmanuel Macron à un despote. Il n’est pas question d’en arriver à cette extrémité car il est l’enfant d’une république démocratique et le système a encore des verrous puissants pour empêcher toutes velléités à quiconque de tenter un régime autocratique

C’est tout simplement le décalage entre le discours sur le « nouveau monde » et la réalité de ce qui se passe qui nous donne cette impression négative qu’il faut toujours relever et critiquer car la démocratie n’est jamais un fait acquis définitivement. Il y a donc dans les propos certaines exagérations de tonalité qui ne sont là que pour marquer la vigilance des démocrates, pas de qualifier la nouvelle donne gouvernementale de dictature. Ce nouveau point de précision fait, continuons notre constat.

Un parti godillot, des députés aux ordres, pire qu’avant !

Ce n’est pas nouveau dans l’histoire politique française que le parti du Président de la république soit godillot, la main sur la couture du pantalon. C’est un fait étudié depuis longtemps par les étudiants en sciences politiques à qui on fait triturer l’esprit par cette question « A quoi sert un parti politique majoritaire lorsque ses représentants détiennent l’exécutif ?.

La réponse personnelle est simple, à voter unanimement et à promouvoir ce que propose l’exécutif, beaucoup plus puissant dans la cinquième république que jamais dans l’histoire depuis l’ancien régime.

Dans ans cette histoire chaque point chasse l’autre dans la course au retour vers le bon vieux monde. Un point est particulièrement à relever car l’opération d’Emmanuel Macron pour parvenir à la charge  suprême a consisté à dénoncer la sclérose des anciens partis politiques, ceux de l’ancien monde. Alors, une vaste campagne de recrutement d’hommes et de femmes « nouveaux », de la société civile, avait été lancée sur Internet.

De toute la France, des milliers de candidatures ont surgi pour adhérer au mouvement « La France en marche », aussi bien pour adhérer que proposer une candidature à la députation. Et ce fut la Grande marche de Mao à travers tout le pays.

Un mouvement de masse est apparu et a pris le pouvoir. Mais on n’a surtout pas structuré ce mouvement en parti politique, une horreur du passé décadent qu’on voulait chasser de l’histoire politique française . Bref, une révolution en marche vers le pouvoir.

Résultat, on a vu arriver à l’assemblée nationale des novices, inexpérimentés mais surtout, aux ordres de Jupiter, car qui oserait prendre l’initiative ? Tous ces députés n’étaient connus par personne et ont été élus sur la seule figure du phénomène Macron, celui qui voulait créer le nouveau monde.

Et lorsque vous n’êtes « rien » , politiquement et médiatiquement, comment faire pour ne pas se mettre à genoux devant la figure tutélaire qui est tout, votre présent et votre avenir ?

Voilà le triste destin d’un mouvement politique qui a cru reléguer l’ancien monde par une démarche des plus populistes. Pour revenir à notre propos du début, Emmanuel Macron a juste oublié un aspect historique incontournable lorsqu’on veut être le leader d’une révolution. Rappelons ces conditions.

La première est qu’il y ait une guerre, une révolution ou des circonstances exceptionnelles. Elles portent au premier rang de l’histoire des hommes providentiels qui en prennent la mesure et font basculer cette histoire. Actuellement, il n’y a eu en France aucun événement de ce type et on en est loin.

La seconde, à peu près du même genre, est une crise durable et profonde qui paralyse les institutions. Là encore, il n’en est rien. En quelque sorte, il faudrait une rupture de société ou de civilisation qui brise l’ancien monde pour recréer un nouveau. On avait cru, un court instant en 1968 que ce serait le cas, il n’en avait rien été, le mouvement conservateur avait rapidement repris la main avec une force encore plus vigoureuse.

Alors, sans ces conditions, il aurait fallu à Emmanuel Macron prendre la voie plus modeste des anciens partis politiques, ceux du vieux monde qu’il a cru terrasser aussi facilement. On commençait sa carrière politique très jeune, en collant des affiches ou en participant aux manifestations de masse. Puis, petit à petit, on gravissait les échelons du parti et des élections, du niveau local jusqu’au niveau national. Et si l’homme politique finissait par avoir des cicatrices de ses   combats et de ses échec pendant des décennies, s’entrouvrait un jour pour lui l’espoir de briguer la première place.

En conclusion, si on veut quitter l’ancien monde, la première manière de le faire est de ne pas reproduire celui-ci jusqu’à la caricature. Ou alors, il faut savoir créer les ruptures profondes et aller jusqu’au bout du chemin de la révolution promise.

Jusque-là, nous n’avons vu ni de révolution ni même la fin de l’ancien monde mais son retour avec force.

Auteur
Sid Lakhdar Boumédiene, enseignant

 




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