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Un novice en école d’art : Vélasquez, la lumière éclatante du sombre

ART

Un novice en école d’art : Vélasquez, la lumière éclatante du sombre

Nous nous sommes certainement instruits depuis l’école oranaise, avec mes camarades, mais il y a un domaine qui m’a totalement échappé, l’art. Muté en fin de carrière en école supérieure d’arts appliqués pour enseigner le droit, dans la prestigieuse école Estienne, me voilà comme un illettré devant une page de lecture, apprenant chaque jour avec modestie et humilité. Comme tous les nouveaux « éclairés » d’un champ de savoirs, j’ai le désir de partager mes découvertes avec le jeune lectorat. Elles seront, en trois volets, le reflet d’une naïveté, de beaucoup d’interrogations mais certainement d’une passion.

Dès ma nomination, il y a huit ans, je m’étais aussitôt aperçu que mes étudiants étaient d’un autre monde et qu’ils passaient leur temps à visiter des expositions. Cela n’est pas extraordinaire en soi, c’est aussi le cas de tout universitaire de formation, mais c’est la fréquence de ces sorties culturelles qui m’a remis à ma juste place, un boudjadi de l’art.

Un jour, une étudiante me dit « Monsieur Sid Lakhdar, vous avez été voir l’exposition sur Vélasquez ? ». Je me suis à peine remis de ma gêne avec une pirouette classique du menteur « Je vais aller la voir » qu’un collègue m’avait aussitôt confié qu’il avait été la visiter avec des étudiants et, m’avait-il dit « Nous nous sommes régalés ».

Il m’aurait dit « c’était super, c’était instructif » ou toute autre expression convenue, cela ne m’aurait pas interpellé. Mais « nous nous sommes régalés » m’a paru être d’une autre dimension. Nous, nous nous régalons d’une pâtisserie, eux se régalent d’une exposition d’un peintre. Nous savions que le niveau supérieur de l’émotion fait appel à l’image de certaines réactions physiques du corps, mais je sentais là que l’art était leur vie, leur raison d’être intellectuelle.

Mes chers lecteurs, j’ai finalement eu honte d’aller visiter l’exposition du célèbre peintre, moi qui pourtant en avait vu d’autres, y compris de nombreuses fois au Louvre. Je me serais senti comme ce « bourricot de la classe » qui s’endimanche pour aller s’instruire et faire « comme les gens avertis », une sorte de monsieur Jourdain de Molière.

Alors, j’ai ravalé ma fierté, oublié mes diplômes et mon parcours académique et me suis plongé   corps et âme dans la documentation sur ce fameux Vélasquez dont je connaissais le nom, un ou deux tableaux célèbres et, finalement, dont j’étais totalement ignorant.

Vélasquez n’a pas été seulement une découverte mais un coup de poing à l’estomac (me voilà à exprimer une sensation corporelle, moi aussi). Le peintre est éblouissant, ses œuvres sont magnifiques et ce qui m’a ému le plus, c’est la lumière des tableaux alors qu’ils sont peints d’une majorité de noir. Mais avant de revenir sur ce point majeur de mon sentiment, expliquons aux jeunes lecteurs qui est Vélasquez.

Diego Rodriguez de Silva y Vélasquez, dit Diego Vélasquez, est né en 1599 à Séville, en Andalousie, d’une petite noblesse locale. Il faut rappeler que Séville était, à cette époque, la cité la plus riche d’Espagne car au centre du commerce avec l’Amérique, nouvellement propriété de l’Empire espagnol. De ce fait, l’art y a trouvé son compte car le mécénat est toujours la cause de son expansion.

Le jeune Diego montra immédiatement ses talents d’artiste et fut successivement placé en apprentissage dans l’atelier de deux maîtres. Le second, Pacheco, auteur d’un ouvrage intitulé « L’art de la peinture », fut réellement son mentor et finit même par devenir son beau-père.

Le peintre s’était orienté dans un premier temps vers la reproduction de natures mortes et de scènes de genre. Très rapidement ce sont les sujets religieux qui furent essentiellement ses productions car les principaux commanditaires étaient des ecclésiastiques.

 

Mais la véritable rencontre qui propulsa le peintre vers un avenir plus prometteur est celle de la capitale, Madrid, où son beau-père l’emmena pour le présenter à ses puissantes connaissances. C’est à ce moment que Gaspar Guzman, Comte-Duc d’Olivares, Premier ministre du jeune roi Philippe IV, lui demanda de peindre le souverain.

 

L’admiration fut totale devant l’exécution du tableau et Vélasquez devint officiellement le peintre de la Cour. C’est incontestablement une entrée dans le monde qui lui était promise, dans le sens de la noblesse espagnole comme de l’étendue territoriale de l’Empire.

Il faut savoir qu’à cette époque les portraits des souverains étaient un moyen de diffuser dans de vastes régions lointaines l’image de la puissance du roi et de la famille royale. Ces portraits, du roi comme de ses enfants, servaient à nourrir le prestige du monarque mais également la diplomatie et, donc, favoriser les négociations de mariages puisqu’elles étaient l’un des instruments à sceller des alliances politiques.

La notoriété du peintre ne cessa de grandir et c’est au cours d’un second voyage, en Italie cette fois-ci, qu’il se nourrit d’une vaste culture picturale car c’est dans la péninsule italienne qu’apparut les racines de la grande Renaissance, berceau d’une explosion artistique sans équivalent dans l’histoire.

Il serait fastidieux de citer toutes les œuvres devenues célèbres mais l’une d’entre elles, certainement la plus connue, « Les Ménines » (1656), est incontournable car c’est justement celle que connaissent    tous les incultes en art, comme l’auteur de cet article avant qu’il ne se ressaisisse. Le tableau est exposé au Musée du Prado à Madrid et porte un autre nom, plus identifiant du sujet traité, « La Famille de Philippe IV ».

Reconnue comme l’une des plus prestigieuses toiles du monde occidental, on y perçoit la jeune infante Marguerite-Thérèse avec ses servantes. Un tableau qui avait justement été mis en avant dans les annonces de la grande exposition parisienne. On devine, par reflet sur un miroir, la présence du peintre dans son action. Des écrits, des débats et des thèses furent, et sont encore, l’objet d’une exégèse de ce tableau. Je ne m’y aventurerai certainement pas au-delà de mon ressenti, déjà assez fort.

Cependant, je dois vous avouer que mon préféré est « Le porteur d’eau », reproduisant l’un des métiers des rues de Séville. En plus de ce qui va être précisé dans la suite de l’article, justifiant la beauté du tableau, il s’agit là, à propos du sujet, de l’une de mes madeleines de Proust. Qui de ma génération ne se souvient pas de cet homme reconnaissable à sa gandoura et chéchia, en toutes villes d’Algérie, faisant sonner une clochette assourdissante et hurlant son offre d’eau ? Elle était stockée dans une espèce d’outre qui, à mon souvenir, était une panse d’animal. Un robinet terminait le dispositif par lequel l’eau était versée dans une écuelle en métal.

Normalement, tout lecteur ayant une connaissance, même moyenne, de Vélasquez s’attend à ce que je développe la qualification principale de ce peintre en précisant qu’il est l’un des maîtres, sinon le plus grand, de la peinture baroque. Cela ne m’a pas échappé mais j’ai délibérément choisi un angle d’approche plus propice au discours dirigé vers les jeunes lecteurs, d’autant que c’est celui qui m’a mené vers une plus grande curiosité de l’art de la peinture.

Pour le baroque, j’ai deux remarques à formuler. Je n’ai pas attendu le sursaut qui fut le mien tardivement en art car la notion de baroque est largement étudiée en histoire. Et de ce côté, petite vengeance mesquine de ma part, beaucoup de mes collègues en ont à apprendre de nous. La seconde raison est que quiconque s’aventure dans une documentation sur ce sujet risque d’être noyé par des explications péremptoires, faussement érudites et, au final, donner toutes les chances au lecteur de ne rien y comprendre. Or, l’histoire nous apprend la définition du baroque sans qu’il soit utile d’écouter les élucubrations des historiens de l’art qui veulent préserver l’opacité de leurs savoirs.

Par conséquent, revenons à ce qui m’a ébloui, soit l’extraordinaire luminosité des parties sombres des toiles du peintre. Cette luminosité paradoxale m’avait déjà intrigué de longue date, bien avant mon soudain intérêt pour le peintre espagnol, lorsque je visitais la salle des peintures de l’école hollandaise au Louvre. L’éclat des tableaux était à chaque fois ce qui contribuait à mon plaisir tout autant qu’à mon questionnement « Mais comment font-ils pour obtenir cet effet ?».

L’ignorance suggère à l’esprit beaucoup de supputations et l’une d’entre elles, longtemps présente, fut la croyance que ces peintres appliquaient une couche de vernis sur la peinture. Il n’en est rien car, l’explication, je l’ai enfin eu avec Vélasquez.

Cette technique miracle dont je n’arrivais pas à comprendre l’origine est ce que tous les étudiants en arts doivent connaître, soit le « clair-obsur ». Si je ne retranscris pas correctement l’explication, voilà l’occasion pour un lecteur averti de nous en écrire un article. Mais je pense que l’essentiel est compréhensible par n’importe quel novice.

Le procédé n’est pas nouveau car il fut utilisé dès la Grèce antique. Vélasquez n’est pas à l’origine de sa revitalisation en cette époque de Renaissance dont l’une des bases est de revenir justement aux grands auteurs, penseurs et artistes de l’Antiquité pour s’en inspirer. Mais Vélasquez est passé, lui-aussi, maître de cette technique du clair-obscur qui consiste en une application de dégradés dans la couleur afin de créer un contraste très perceptible et une impression de volume. L’opposition entre les couleurs claires et les plus foncées fait naître une impression générale de force et de douceur en même temps. Le résultat est éblouissant. Et voilà mon mystère de plusieurs décennies résolu, cette fameuse lumière éclatante obtenue même avec un noir et du sombre persistants.

Il est un point sur lequel je voudrais terminer. Lorsque je me suis mis en quête de découvrir Velasquez, quelques collègues s’en sont aperçus, soit par mes lectures, soit par mes questionnements. L’une des professeurs d’art m’a dit « Ah, Vélasquez, le peintre du soleil, c’est pour cette raison peut-être que tu es attiré !».

Je vous avoue que cette remarque, certes d’une professeur compétente en arts, ne m’a pas convaincu. Je n’ai en effet jamais trouvé, en tout cas d’une manière significative pour le qualifier ainsi, la trace dominante du soleil ou de ce qui le symbolise. J’ai du voir autre chose mais n’est-ce pas là la marque de l’art, soit permettre une vison personnalisée de chacun.

Même les boudjadis de l’art ont droit à leur interprétation propre devant l’œuvre des grands peintres. L’art qui voudrait nous enfermer dans une pensée unique serait seulement une tentative de domination des esprits, comme les religions.

Les jeunes lecteurs doivent toujours être vigilants d’apprendre mais de ne jamais se soumettre en matière de connaissances et de ressentis.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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