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Un pays en flammes, une solidarité exceptionnelle et un crime inqualifiable

DECRYPTAGE

Un pays en flammes, une solidarité exceptionnelle et un crime inqualifiable

Des jeunes Chaouis venus prêter main forte aux jeunes de Kabylie pour lutter contre le feu.

Une action noble transformée en drame. Le lynchage affreux le 11 août 2021 à Larbâa Nath Irathen, épicentre des incendies, de Djamel Bensmail (35 ans) livré à une foule déchaînée, roué de coups jusqu’à ce que mort s’ensuive, est un acte abominable qui a choqué tous les Algériens et au premier rang les habitants des Ath Irathen.

Un jeune artiste peintre, un poète du hirak qui a fait un déplacement de 250 km de sa ville Miliana, wilaya d’Aïn Defla, jusqu’en Kabylie pour participer à l’élan exceptionnel de solidarité des Algériens venus de toutes les régions du pays soutenir leurs frères en proie à des incendies provoquant plus de 70 morts morts. Les auteurs de cet acte barbare doivent répondre de leur homicide devant la justice.

Nul n’a le droit de se faire justice soi-même, et ce quelles que soient les circonstances. Mais les juges sont-ils indépendants pour enquêter et juger les auteurs de ce crime ? Combien de crimes commis depuis 1962 dont les circonstances sont à présent non élucidées et les auteurs impunis ? 

Remarquable est l’attitude du père de la victime, d’une grande dignité, qui a su trouver les mots justes, malgré son immense peine, qui ont apaisé la colère des Algériens et éteint les feux de la discorde allumés par des irresponsables.

En écho aux propos dignes et réconfortants du père Bensmaïl et dans un esprit d’apaisement, il est fort souhaitable que le maire d’Ath Irathen et des personnalités respectées de cette localité présentent publiquement des excuses, même s’ils ne sont en rien responsables, à la famille de la victime, aux habitants de Khemis Miliana et à l’ensemble des Algériens y compris l’immigration offusqués par cet acte ignoble.

Depuis le 9 août, la Kabylie et une douzaine de wilayas du nord du pays sont en proie à près d’une centaine d’incendies de forêts et les autorités évoquent une origine criminelle. Attisés par des températures caniculaires et des vents forts, ces feux ont ravagé plusieurs régions et provoqué la mort de plus de soixante-dix personnes, 9 000 villageois ont dû quitter précipitamment leurs foyers et près de 40 000 hectares réduits en cendres.

Jamais l’Algérie n’a eu à affronter un pareil enfer et rarement la solidarité n’a été aussi agissante. Déjà en 2017 plus de 32 000 ha de forêts, broussailles, récoltes agricoles, arbres fruitiers, fourrages, ruches… ont été ravagés par les feux, en 2020 près de 44 000 hectares de taillis partis en fumée. Notons aussi que de 1985 à 2010, l’Algérie a enregistré pas moins de 42 555 feux de forêts qui ont endommagé une superficie forestière de 910 640 ha. 

Le problème de la déforestation se pose avec d’autant plus d’acuité que l’Algérie ne possède que 4,1 de millions de forêts concentrés dans les départements du nord du pays, avec un très faible taux de reboisement annuel de 1,76 %. Un Indien septuagénaire de l’ethnie Bishnoi a planté, à lui seul, 30 000 arbres dans le sud de l’Inde.

À quand justement les grands projets de reboisement dont le pays a tant besoin ? La rareté des forêts et les menaces de désertification font que ces incendies ont un impact particulièrement désastreux sur l’écologie. C’est là un phénomène récurrent dévastant fréquemment les forêts méditerranéennes (France, Espagne, Grèce, Turquie, Italie, Tunisie…), les forêts en Algérie n’y échappent pas ; elles sont le siège d’incendies itératifs qui aggravent leur fragilité.

Les causes sont souvent dues aux effets conjugués de la sécheresse et à la baisse des précipitations, de l’assèchement des produits ligneux et non ligneux, des températures atteignant ce mois-ci 46 degrés, des vents qui agissent comme facteur déclencheur des foyers d’incendies et leur extension rapide.

Parfois, l’origine est anthropique, c’est-à-dire du fait l’homme ; certains incendies sont classés sous l’acronyme « INA » (Intervention non autorisée) parce que les autorités considèrent que c’est là un moyen de lutte contre le terrorisme. Et ces incendies volontaires ou sécuritaires ne sont pas des cas isolés ; les services de la conservation des forêts de Tizi Ouzou, à titre d’exemple, ont enregistré 50 incendies de ce genre de 1994 à 2012. Environ la moitié des wilayas du nord du pays où le terrorisme a sévi est concernée par ces incendies classés INA.

Ce sont donc autant de causes qui favorisent chaque année l’éclosion d’incendies sans que les pouvoirs publics ne dotent la protection civile de moyens de lutte adéquats, alors qu’ils avaient promis la mise en service dès 2013 de 6 hélicoptères bombardiers d’eau. Les récents et graves incendies de l’été 2017 et de 2021 ont bien montré qu’il n’en est rien. La France, dont la superficie est cinq fois moindre de l’étendue du territoire algérien, dispose de 35 hélicoptères bombardiers d’eau et 23 avions, tous dédiés à la lutte contre les incendies de forêts.

Le Maroc compte la plus importante flotte aéroterrestre de lutte contre les feux de forêts en Afrique du nord avec cinq Canadairs, la Tunisie en possède un et l’Algérie ne dispose d’aucun. Les trois pays voisins ont d’ailleurs proposé leurs aides aux autorités algériennes.

Les pouvoirs publics ne peuvent s’affranchir de leur responsabilité, ne serait-ce que pour négligence coupable. Les services concernés de l’État sont quasiment absents et les habitants de la région ainsi que les militaires du contingent, sans préparation ni formation et livrés aux flammes, ont payé un lourd tribut, plus de 70 morts. La protection civile n’est guère dotée de moyens humains et matériels appropriés pour affronter de tels feux qui se déclenchent souvent dans les massifs montagneux escarpés et inaccessibles.

Seuls les avions bombardiers d’eau constituent le moyen le plus adapté pour les éteindre d’autant que l’Algérie dispose bien de moyens financiers pour acquérir au moins cinq canadairs, voire plus, comme le Maroc voisin. Un Canadair coûte entre 20 à 30 millions de dollars, alors que l’Algérie a acheté au cours de l’année 2020-2021 pour un total de 7 milliards de dollars d’armements, selon l’organisme suédois SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute).

À quoi serviront-ils ? N’aurait-il pas mieux valu affecter ce budget à l’équipement des hôpitaux en manque de moyens, à la recherche, à la relance de l’économie, à la création des entreprises et l’emploi de la jeunesse… bref au bien être des Algériens. 

T. Khalfoune

Renvois

– Ouahiba Meddour, Eddour-Sahar et Christine Bouisset, Les grands incendies de forêt en Algérie : problèmes humains et politiques publiques dans la gestion des risques, Revue géographique des pays Méditerranéens, 2013. 

– Tahar Khalfoune, La forêt d’Akfadou ou l’urgence d’un projet de développement durable, le quotidien le Matin du 18 septembre 2017. 

– Le quotidien El Watan du 27 juillet 2017.

Auteur
Tahar Khelfoune

 




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