Pourquoi une dictature habillée d’oripeaux démocratiques organise-t-elle des élections présidentielles et pourquoi les citoyens votent-ils en masse ?
La question semble à priori saugrenue car la réponse instinctive est le maquillage d’un régime répressif en un Etat de droit, avec une constitution et des représentations populaires légitimées par des élections.
Mais lorsque le maquillage est aussi grossier qu’un éléphant voulant paraître une gazelle, comment cela se peut-il que les citoyens continuent à se présenter massivement dans les bureaux de vote ?
Après tout, le régime militaro-civil pourrait se passer d’élections. Pourquoi y en a-t-il au Cameroun puisque le Président Paul Biya est en poste depuis…1982. Ne devrait-on pas lui accorder un mandat à vie en évitant les dépenses considérables pour la tenue des élections ?
Jamais le régime militaro-civil algérien n’a été aussi liberticide, violent et cynique. Il s’acharne à vouloir dépasser les records d’autrefois où pourtant pas une mouche n’osait voler face à des sinistres officiers de la sécurité militaire.
Le régime algérien remplit en ce moment des charrettes entières de journalistes, d’opposants ou de personnes qui ont osé prononcer un seul mot qui sort du texte de la propagande d’Etat. On se demande même pourquoi il existe encore des médias, il suffirait de lire les communiqués de l’agence officielle de presse.
Alors pourquoi vont-ils voter ? Une balade du vendredi, un instinct depuis 1962 ou un plaisir de retrouver l’école de son enfance lorsqu’elle est un bureau de vote ?
Entre plusieurs causes, j’en sélectionnerai quatre qui s’additionnent, se complètent et concourent à une explication du comportement irrationnel des citoyens pour valider un régime politique violent.
La première, la plus évidente, est la terreur instituée en dogme de gouvernance. Il n’y a pourtant pas de vote obligatoire. On penserait même que pour beaucoup, la peur de ne pas avoir sa signature sur le registre des bureaux de vote suffit à les dissuader de ne pas voter.
C’est vrai qu’en Algérie les citoyens ont peur de transgresser une obligation d’Etat comme ils ont peur d’être suspectés lorsqu’ils ne font pas ce qui est pourtant autorisé à faire. Alors, dans le doute, les Algériens s’abstiennent de prendre le risque.
Quant à la seconde cause, elle est autant connue et évidente. L’école algérienne, par la volonté du régime militaro-civil, a produit des millions de jeunes sans aucune capacité de discernement par une éducation indigente et dogmatisée. De vrais soldats au service d’une dictature, aveuglés et embrigadés par un discours et dans une pensée au service de la voix si bien décrite dans le célèbre roman de George Orwell, 1984.
Puis il y a la cause de l’achat des consciences par une corruption généralisée. Elle est massive et beaucoup y trouvent leur compte par une richesse ostentatoire et insultante. Pourquoi voulez-vous qu’ils souhaitent le départ du régime militaire ? Ils sont avides et corrompus mais pas imbéciles. Alors ils votent et le font savoir en fustigeant les mauvais citoyens qui n’aimeraient pas la patrie, la trahiraient et lui tourneraient le dos.
Pourtant des millions d’Algériens triment et souffrent pour s’assurer des moyens de subsistance décents. Mais comme les deux causes précédentes s’enchevêtrent, ils iront voter par peur, par endoctrinement ou par le rêve d’une perspective d’enrichissement facile.
Examinons la quatrième, celle de la démarche militante d’opposition. Dispersée, peu crédible et orientée vers l’attrait d’une compromission, il n’y a aucune chance de la voir appeler au boycott.
L’opposition a prouvé au moment du Hirak qu’elle faisait tout pour se tirer une balle dans le pied. Après avoir elle-même convenu que la désobéissance civile était un moyen puissant de faire vaciller le pouvoir militaire (idée que je partage), elle s’est ensuite lancée dans une mascarade qui a duré plus que le temps de la lassitude humaine. Son spectacle inefficace, presque ridicule, a fait renforcer le régime militaire qui en a encore au moins pour deux décennies.
Et enfin, nous en venons à celle qui est le corollaire de la précédente mais à mon avis la plus impardonnable. La candidature de deux « potiches» à l’élection présidentielle est le comble de la honte et de l’indignité.
Légitimer une mascarade d’élection présidentielle dans un régime qui a bénéficié de toutes les causes précédemment énoncées est une traîtrise à la moralité par ceux qui se disent être des militants de la démocratie.
Ils savent que leur geste est une forte caution au régime militaire, un habillage grossier. Ils ont autant de chance de gagner cette élection présidentielle que moi de ne pas être inquiété lors d’un éventuel retour en Algérie.
Il y a toujours des hommes politiques qui, par ambition ou compromission, légitiment un régime par leur participation à la mascarade. L’ambition et la cupidité ne sont pas nouvelles dans l’histoire de l’humanité.
Les deux candidats de façade sont des marchepieds pour faire accéder le président sortant Tebboune à la plus haute marche du podium. Ont-ils une perception des conséquences de leur acte ?
Tebboune aurait été élu, avec eux comme sans eux, ils n’auront été que la caution. Des serviteurs qui attendront leurs gages.
Boumediene Sid Lakhdar