Avez-vous entendu parler du « Sahara tunisien » comme dossier revendiqué par une Tunisie fraîchement et formellement indépendante ? Un « Sahara » qui aurait été annexé sous le nez de Bourguiba. Certainement pas, puisqu’un ex-ministre des Affaires étrangères tunisien et ancien apparatchik du RCD, parti du général Z. A. Ben-Ali, la évoqué sur une radio tunisienne le 3 octobre passé.
Il s’agit de M. Ahmed Ounass, surnommé le « ministre des 25 jours » dans le gouvernement Ghannouchi-II entre le 27/1/2011 et le 21/2/2011 qui, en consultant la cartographie coloniale de la Tunisie des beys, s’est rappelé qu’il y avait une dune ou deux qui ne font plus partie de la République.
Après le passage des grandes canicules et des gigantesques vents de sables qui ont envahi le nord du Royaume-Uni, le membre de l’Association des études bourguibiennes, lance son appel pour la restauration du « Sahara tunisien » que le président Bourguiba « avait cédé à l’Algérie ». En marquant son mécontentement vis-à-vis de l’ex-avocat nationaliste à la barbe marxiste du temps de son emprisonnement à Fort-Saint (Bordj El-Khadra), l’ex-ministre lance son souhait qu’un « jour la Tunisie retrouve ses droits sur ce désert ».
Si le Maroc de la féodalité, et travers son parti ultraféodal, Istiqlal, revendique toujours les trois grandes wilayas de la Saoura algérienne, le « Sahara tunisien » sont une toute autre affaire. La Tunisie a cherché à « reprendre son désert à l’Algérie depuis l’occupation française » mais le général de Gaulle a refusé de le faire, selon M. Ounass. Un accord a été signé avec le gouvernement algérien après l’indépendance « afin de récupérer le Sahara, comme ce fut le cas dans l’accord algéro-marocain », mais le coup d’Etat du 19 juin 1965 a remis en cause ledit accord.
Mieux encore, entre le passage de Ferhat Abbas comme président du GPRA et Houari Boumediene aux commandes du pays, Ben Bella aurait accepté de restituer le « Sahara » qui comprendrait une grande partie des régions orientales algériennes et que cette promesse s’est faite devant et en présence du colonel Nasser d’Egypte.
Que vaut ce bout de dunes dans la réalité ? L’ex-diplomate tunisien ne le détermine pas clairement, mais à l’étude des cartes coloniales du sud tunisien entre 1929 et 1945, nous observons que la topographie militaire française a bien charcuté une masse bien immense d’ergs et hassis, pour en faire le Territoire de Touggourt. Est-ce bien ce que revendique le notable bourguibien ?
Il ne dira aucun mot là-dessus et laisse aux événements régionaux qui s’accélèrent le soin de décider du découpage de la « tarte Algérie », puisqu’à l’extrême sud algérien rien de bon ne s’annonce. Mais, l’histoire entre les deux pays avait inscrit une toute petite revendication tunisienne qui a fait sourire plus d’un dirigeant algérien à cette époque. Il était question de deux bornes frontalières qu’avait déplacé la mer de sable blanc du Erg Oriental et que la France d’avant le débarquement de novembre 1942, avait tracé et que nous retrouvons sur une carte bien détaillée de l’armée américaine datant de 1943.
De Tabarka à la frontière avec le Fezzan, il y avait 220 bornes en arrivant à l’actuelle Bordj El-Khadra. Si le Tunisien revendique la borne 233, il se trouverait aux confins d’une dune partageant les limites des trois pays voisins au lieu dit Garet el-Hamel algéro-libyenne. L’affaire du fameux « Sahara tunisien » se limiterait-elle à quelques dizaines de kilomètres carrés ? Il faudrait être dupe pour ne pas saisir les contours du dossier du désert revendiqué par la bourgeoisie compradore tunisienne.
C’est autour du gisement pétrolifère d’Edjeleh (sud d’In-Amenas), mis en exploitation dès 1956 et renfermant une mer d’or noir que se partagent la Libye et l’Algérie. En se positionnant sur la borne 233, la Tunisie de Bourguiba pouvait ouvrir un large chemin vers le gisement et le partager avec la France qui exploitait déjà son pipeline Edjeleh- port de Skhira, sur le Golfe de Gabès.
Lorsque MM. Dahleb et Krim ont négocié pour une intégration totale du grand Sahara algérien, la Tunisie de Bourguiba touchait ses 1,5 milliard de francs pour les 7 millions de tonnes de pétrole qui transitaient sur son territoire du « petit sud ». Une Tunisie, qui percevait aussi ses 10 % d’armes et de munitions sur les lots d’aides militaires qui venaient de la Chine populaire et de la Corée populaire malgré qu’elle était en guerre contre les armées de « l’ONU yankee ». Une Tunisie qui emprisonna 2 officiers et 15 membres de l’ALN, le 15/7/1958, lors d’émeutes entre la police tunisienne et des membres du FLN. Une histoire qui ne dit toujours pas son nom.
Avant même cet incident, El-Moudjahid du 4 juillet 1958 écrivait avec ardeur que le champ pétrolifère d’Edjeleh « sera nord-africain après l’indépendance. L’exploitation du Sahara sera une entreprise essentiellement maghrébine » et que l’Algérie libre, le Maroc et la Tunisie pourront, si leurs intérêts communs le commandent, « proposer à la France de coopérer à cette entreprise ». Une naïveté bien panarabiste qui sera vite mis à l’épreuve.
Le 17 juillet 1961, Bourguiba tente d’engager une négociation avec le GPRA sur cette lamelle désertique, mais devra patienter jusqu’à l’après-juin 1965 où le 16 avril 1968, un procès-verbal d’abornement algéro-tunisien sera signé sur le tracé de la frontière allant de Bir Romane (aujourd’hui, totalement ensablé) en direction de Bordj El-Khadra (ex- Fort-Saint). De janvier 1970 à 1995, en passant par le 19 mars 1983, il ne sera question que de bornage des frontières entre la Méditerranée et Bir Romane et qui sera enregistrés auprès de l’ONU le 30/12/1993.
Trente ans après cette histoire de la borne 233, que retenir de ce gros grain de sable que lançait ce ministre de 600 heures. Il y a une pression dans l’air géopolitique qui se prépare quelque part sur un pays que l’on affaibli diplomatiquement et ce depuis les événements du printemps de 2011 et c’est bien le cas de le dire et de l’apprécier avec détails et précisions.
Remettre en cause des accords frontaliers, c’est plus que facile pour un pays qui cautionne l’incompétence comme une valeur sociale. Etre en face d’un découpage à la soudanaise, n’en déplaise à l’islamo-fascisme qui montra récemment son hydre à sept têtes, en est une autre, notamment si on miroitait de vieux projets telle que la mer intérieure saharienne du Français capitaine Roudaire ou de l’Américain Dwight Braman.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.