Site icon Le Matin d'Algérie

Une histoire vraie de vrai… mais romancée (I)

Kabylie

Première partie : Kabyle et prof de langues

Nous allons l’appeler M. ou B. ou, plutôt, nous n’allons pas l’appeler du tout. Du coup, ceux qui l’ont connu  le reconnaîtront, peut-être. Les autres iront à la chasse aux indices, entre les lignes ou auprès de leurs connaissances parmi les « anciens » du village cité, pour y voir plus clair.

Disons que c’était un jeune homme de la Haute-Kabylie, un prof de langues comme un autre, à ceci près qu’il lui arrivait des choses qui méritent d’être écrites afin qu’elles soient lues, sues et partagées car elles sont poignantes (souvent), drôles (parfois) et surtout pas banales (toujours).

Prof de langues juste parce qu’il était amoureux des Beatles, de Cat Stevens, de Bob Dylan, de Joan Baez, de Leonard Cohen, de Graeme Allwright…Tellement amoureux de ces chanteurs anglo-saxons des années 1970, qu’il s’était promis, très jeune, de devenir prof d’anglais. Il s’était aussi, à la même époque, et ce n’est pas innocent, lancé dans la chanson moderne kabyle en créant un groupe avec ses camarades de lycée, sur les hauteurs de Fort National.

Ce groupe, baptisé « Les Aigles » (Igoudar), avait d’ailleurs commencé à chanter en anglais avant d’être emporté par la déferlante de la « protest song » en moderne kabyle, dans le sillage des Idir, Djamel Allam, Imazighen Imoula,… Poète hors-pair, il fut l’auteur de bon nombre des textes chantés par ce groupe dont « agwni n tayri », une pure merveille sentimentale.

Le hasard faisant parfois bien les choses, il eut sa première affectation dans un ancien pensionnat des Pères Blancs, toujours dans les villages reculés de la Haute-Kabylie (At-Yani). C’était un petit collège de quatre classes seulement, de la 6ème à la 3ème qui venait juste d’être rattaché au secteur public et qui, jusque-là, n’avait pour enseignants que des jeunes professeurs français, en service civil, et les Pères Blancs eux-mêmes. Seul le directeur, un géant hollandais de plus de deux mètres et qui avait un cœur gros comme ça, fort sympathique au demeurant, fut maintenu en poste cette année-là  afin d’assurer la transition du privé vers le public.

Le jour de sa prise de fonctions, notre jeune pédagogue arriva par l’unique autocar de la journée, en milieu d’après-midi. Il en descendit à l’arrêt des  Ath Larbaa, devant la boutique de Dda Hmed, non pas encombré d’un cartable comme tout enseignant qui se respecte mais avec une guitare en bandoulière.

Cela remonte au milieu des années 1970 et tous les élèves qu’il avait eus étaient capables de vous entonner et de vous traduire, sans faute aucune, les œuvres des artistes cités supra. Pour tout dire, ses supports académiques étaient tout trouvés et il en faisait bon usage. C’est sans doute pour cela que, grâce à lui, toute une génération d’enfants avait appris à merveille et avec plaisir, au fin fond de ces pitons reculés, les fondements de la langue de Shakespeare et les contenus de textes engagés. Certains d’entre eux s’en inspirèrent sans doute, alors qu’ils étaient jeunes étudiants, lors des événements de mai 81.

De mémoire, « Blowin’ in the wind » de Bob Dylan fût le tout premier titre étudié. Cette chanson avait d’ailleurs franchi les murs du pensionnat et s’était répandue comme une trainée de poudre chez les jeunes de tous villages environnants.  C’est dans cet élan qu’un des membres du groupe l’avait reprise en kabyle et adaptée au contexte local dans : « A wid yetfen amkan ddi l’hukuma » (traduction : « A ceux qui tiennent les rênes du pouvoir»).

Il s’y sentait bien dans ces sommets escarpés car s’était un peu comme dans son village natal où tout le monde connaissait tout le monde et il avait vite fait d’être considéré comme un enfant du pays. Cependant, à vingt ans et quelques poussières, on résiste difficilement à l’appel de la ville et de ses lumières. Il prit donc le chemin de la grande ville du coin (Tizi-Ouzou) et y débarqua avec, comme toujours, sa guitare en bandoulière et les chansons des mêmes icônes.

Dans cette vie citadine, les choses allaient bon train mais il en avait vite fait le tour et, pour tout dire, il ne s’y sentait pas aussi bien que dans les villages perchés sur les hauteurs. Dès les premières vacances scolaires d’été, il décida d’aller découvrir le pays des Beatles pour toucher son idéal de plus près : Abbey Road, à nous deux !

À son retour, il fit escale dans une petite ville du nord de la France où l’immigration kabyle avait de longue date élu domicile. Et, devinez quoi, il tomba amoureux d’une jolie jeune fille, enseignante elle aussi et dont les parents étaient,  comme lui, originaires des sommets de la Kabylie. Ils se marièrent et décidèrent de s’établir chez lui, en Algérie, ce qui permettrait à sa dulcinée de faire l’exercice d’immersion dans sa culture d’origine, ce dont elle avait fortement envie.

Ils s’installèrent donc à Tizi-Ouzou et y enseignèrent pendant quelques années. Et puis vint leur premier enfant, une fille. En bon fils de « chahid » et issu d’un village qui avait payé un très lourd tribut à la guerre de libération, comme tous les villages de la région, ils décidèrent de l’appeler Horia.

Tout se passait pour le mieux dans un climat d’insouciance attendrissant. Les deux enseignants aimaient leur métier. La petite faisait ses premiers pas dans la vie et les années passèrent vite jusqu’à ce qu’elle fût en âge d’aller à l’école primaire du quartier. Là, dès le tout premier jour, ils furent confrontés à la dure réalité du terrain puisque la petite eut droit aux réprimandes de la maîtresse parce qu’elle ne connaissait pas ne serait-ce que le début du commencement d’un  verset du Coran.

Les parents se présentèrent dès le lendemain pour s’entretenir avec cette maitresse et lui expliquer que leur fille était scolarisée justement pour apprendre et que c’était peut-être un peu tôt pour commencer les punitions. À l’issue de l’échange, constatant l’ampleur du décalage entre leur conception de l’école et celle qui allait être proposée à leur gamine, leur sang ne fit qu’un tour.

Sur le chemin du retour ils décidèrent irrémédiablement de prendre l’attache des beaux-parents afin de leur demander s’ils pourraient les accueillir rapidement en France, dans le but de s’y installer.

Ils rejoignirent définitivement le nord de la France dans les mois qui suivirent. (À suivre…)

Mouloud Cherfi

Quitter la version mobile