Le discours des autorités de fait à Damas, tel qu’il apparaît à travers leurs déclarations, semble centré sur des considérations strictement techniques : rétablir l’eau et l’électricité, fournir du pain, augmenter les revenus et garantir la stabilité économique minimale.
Si ces objectifs répondent à des besoins fondamentaux du quotidien des citoyens, leur mise en avant exclusive soulève des interrogations. Cette focalisation sur des problématiques pratiques semble occulter des questions plus fondamentales, comme le processus politique et la redéfinition du contrat social en Syrie. En ce sens, le choix des priorités et le ton du discours pourraient révéler des dynamiques politiques et stratégiques plus complexes.
- Une démarche biaisée pour contourner la transition démocratique ?
La première hypothèse qui se dégage est celle d’une stratégie délibérée visant à éluder la question d’une véritable transition politique. En se concentrant sur des sujets tels que l’eau, l’électricité et le pain, le discours des autorités fait abstraction de l’exigence démocratique portée par des années de lutte et de souffrances du peuple syrien.
La révolution syrienne, à ses origines, revendiquait avant tout un droit à l’autodétermination, une libération de la dictature et l’instauration d’un État de droit. Or, ces aspirations semblent évacuées du débat par la mise en avant de priorités techniques qui, bien qu’essentielles, ne peuvent constituer une réponse suffisante aux aspirations politiques d’un peuple.
Cette démarche pourrait donc être interprétée comme une tentative de contourner les revendications populaires, en neutralisant l’exigence d’une période de transition transparente et légitime.
Le discours technique serait alors un moyen d’éviter les discussions sur des sujets politiquement sensibles, tels que les mécanismes pour organiser des élections libres, la réconciliation nationale ou la réforme institutionnelle. En d’autres termes, en dépolitisant délibérément les enjeux, ce discours empêche toute reconfiguration en profondeur du système de gouvernance.
Un pouvoir mandataire sous influence extérieure ?
Une autre lecture possible repose sur l’idée que les autorités de Damas ne seraient que des mandataires de puissances extérieures, qui fixeraient elles-mêmes les priorités et les lignes directrices. Le discours technique pourrait alors refléter une feuille de route définie en coulisses par ces puissances, mais non encore finalisée.
La Syrie, théâtre d’un conflit multilatéral où interviennent des acteurs internationaux comme le Qatar, les EAU, les USA ou encore la Turquie, est profondément dépendante de ces influences extérieures.
Il est possible que les autorités locales se trouvent dans une position de dépendance vis-à-vis de leurs soutiens, incapables de prendre des décisions indépendantes sur le long terme.
Cette hypothèse expliquerait le flou qui entoure les ambitions politiques des autorités en place. Si la priorité est donnée à la gestion quotidienne et à la stabilisation économique, c’est peut-être parce que les enjeux de souveraineté et de gouvernance sont actuellement négociés ailleurs, dans des sphères diplomatiques ou géopolitiques étrangères. Cela mettrait en lumière l’absence de légitimité réelle des autorités locales, réduites au rôle de simples exécutants d’un agenda imposé de l’extérieur.
Une situation particulière : entre reconstruction et blocage politique
Ce contexte met en évidence une situation paradoxale. D’une part, les besoins immédiats de la population sont immenses : des années de guerre ont détruit les infrastructures de base, réduit à néant les revenus, et plongé des millions de Syriens dans une pauvreté extrême.
Les autorités doivent donc répondre à ces urgences vitales pour assurer un minimum de stabilité. D’autre part, cette gestion des urgences ne peut occulter la nécessité d’une solution politique durable, qui passe par une transition inclusive et un dialogue national.
L’incapacité ou le refus des autorités de fait à aborder frontalement les questions de légitimité et d’autodétermination pourrait accentuer la fracture entre elles et la population syrienne. L’histoire récente montre que la reconstruction technique sans réforme politique ne suffit pas à pacifier une société marquée par des conflits internes.
En l’absence de transparence et de participation démocratique, les initiatives techniques risquent de consolider un système autoritaire, plutôt que de jeter les bases d’un futur durable et équitable.
Un avenir incertain
En somme, le discours des autorités de Damas est révélateur d’une double ambiguïté : une volonté apparente de répondre aux besoins fondamentaux tout en évitant les questions politiques cruciales, et une dépendance probable à des puissances extérieures qui déterminent l’agenda réel.
La situation actuelle, bien que particulière, appelle à une vigilance accrue de la part de la communauté internationale et de la société syrienne elle-même, afin que la gestion technique des urgences ne devienne pas un prétexte pour ajourner indéfiniment les aspirations légitimes à la justice et à la démocratie.
Mohand Bakir