À la veille d’appels anonymes à des rassemblements ce vendredi 8 août, l’organisation Shoaa for Human Rights, une ligue islamiste des droits de l’homme basée à Londres et proche de la mouvance Rachad, a publié un communiqué dans lequel elle dénonce une vague d’arrestations et de convocations opérées ces derniers jours en Algérie.
L’ONG affirme que plusieurs dizaines de citoyens, pour la plupart d’anciens détenus d’opinion et militants civils, ont été interpellés par les services de sécurité dans la capitale et d’autres grandes villes du pays.
Selon cette organisation fondée par d’anciens militants du Front islamique du salut (FIS) dissout, ces arrestations ont été motivées par des appels diffusés sur les réseaux sociaux en faveur de marches pacifiques ce vendredi. La majorité des personnes interpellées auraient été relâchées après avoir été contraintes de signer des engagements écrits à ne pas participer aux manifestations, une pratique que l’ONG qualifie de « violation flagrante » de l’article 52 de la Constitution algérienne, garantissant le droit à la manifestation pacifique.
Dans son communiqué, Shoaa for Human Rights fustige également le refus opposé par le ministère de l’Intérieur à une demande de partis politiques d’organiser une marche en soutien à la cause palestinienne. Le département ministériel aurait rejeté la requête en suggérant que les activités se déroulent dans des espaces fermés, au mépris, selon l’ONG, du caractère public des manifestations et de leur reconnaissance constitutionnelle.
« L’arrestation ou la convocation de citoyens, ou les pressions exercées pour les dissuader d’exercer leur droit à manifester pacifiquement, portent atteinte aux libertés publiques fondamentales », déplore l’organisation, qui voit dans ces pratiques un facteur aggravant du climat de tension et de méfiance entre les citoyens et les institutions étatiques.
L’ONG conclut son communiqué en appelant les autorités algériennes à « cesser immédiatement toutes les formes d’intimidation et de persécution » liées à l’expression d’opinions pacifiques, et à « garantir l’exercice effectif des droits fondamentaux, dont la liberté de manifestation et d’expression, sans représailles ni restrictions ».
Un climat sous surveillance
Ces alertes surviennent alors que les autorités algériennes adoptent une posture de plus en plus restrictive vis-à-vis des initiatives citoyennes perçues comme potentiellement subversives. Depuis le Hirak, les rassemblements non autorisés sont systématiquement interdits, et les appels à manifester sont souvent suivis d’arrestations préventives.
La tension est à son comble et une lame de colère sourde traverse en silence la société depuis de nombreux mois. Si les appels à descendre dans la rue ce vendredi restent pour l’instant non revendiqués par des acteurs politiques ou associatifs identifiés, leur diffusion sur les réseaux sociaux semble avoir suffi à provoquer une réaction sécuritaire anticipée.
Reste une question essentielle : pourquoi ces appels à manifester émergent-ils précisément maintenant, et à qui profitent-ils ? Qui a intérêt à les relayer dans ce contexte particulier ?
Ces appels anonymes à manifester interviennent quelques jours seulement après le discours offensif du général d’armée Saïd Chanegriha, chef d’état-major de l’ANP et ministre délégué à la Défense nationale (80 ans). Dimanche dernier, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale de l’Armée nationale populaire, le haut gradé s’est exprimé devant des militaires et les familles de victimes du terrorisme. Dans une allocution à forte charge symbolique, il a réaffirmé l’engagement indéfectible de l’ANP en faveur de l’unité nationale et de la lutte contre le terrorisme, rendant un hommage appuyé aux anciens moudjahidines ainsi qu’aux « enfants fidèles de la patrie » ayant affronté, selon ses termes, « le terrorisme barbare » avec « vigueur et bravoure ».
Le général-major Saïd Chanegriha a souligné que ces sacrifices ont permis de déjouer les plans de « destruction du pays » et insisté sur le rôle central de l’ANP, héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), dans la défense de l’État républicain et de ses institutions.
Dès lors, une question s’impose : ces appels à manifester, relayés sur les réseaux sociaux sans porteur officiel identifié, sont-ils une réaction à ce discours martial ? Ont-ils pour objectif de tester la capacité de mobilisation citoyenne ou, au contraire, de provoquer une réponse sécuritaire prévisible ? Le flou autour de leurs origines ne fait qu’accentuer les interrogations sur les intentions réelles et les enjeux politiques sous-jacents.
Samia Naït Iqbal