Cet accord fait suite aux accords d’Evian de 1962 et en est le prolongement par renégociation de la partie concernant la libre-circulation entre les deux pays pour les algériens.
Le débat houleux actuel sur la loi portant sur l’immigration ne pouvait éviter de poser la question, à un moment ou à un autre, de l’accord franco-algérien de 1968. Ce n’est pas la première fois que l’intention est évoquée.
Le souhait d’une dénonciation de l’accord a toujours été le fait de la droite française qui ne souhaite plus un système dérogatoire au droit commun jugé trop favorable pour les ressortissants algériens.
Voilà la question remise à nouveau sur le devant de l’actualité. Le premier à s’en être emparé est l’ancien Premier ministre Edouard Philippe au mois de juin qui préconise la remise en cause de l’accord. La proposition s’appuie sur une analyse politique et juridique d’un ancien ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt dans une note de mai 2023 pour Fondapol (Fondation pour l’innovation politique, un Think Tank aux idées libérales).
Le président du Sénat, Gérard Larcher avait renchéri en déclarant le 7 juin « Cinquante-cinq ans après, les conditions ont changé. Je pense que ce traité, il faut le réexaminer ». Les sénateurs avaient déposé une résolution qui n’a pas encore eu de suite.
Le 7 décembre les députés LR ont à leur tour déposé une proposition de dénonciation de l’accord. Elle a été rejetée.
La Première ministre avait tranché en affirmant qu’il n’était pas question de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 mais qu’il était envisageable d’y apporter des aménagements. Aucune précision à ce jour n’a été donnée ni sur un calendrier ni sur le fond.
Reste que la petite musique est enclenchée et risque d’être sérieusement suivie par une initiative de dénonciation. L’examen de la loi sur l’immigration la provoquera-t-elle ?
Le développement qui suit n’est pas une étude sur les points détaillés de l’accord. Le but est de proposer des clés de lecture, simples et pédagogiques, à ceux qui ne sont pas au fait de la question.
Le statut juridique de l’accord
Comme la demande émane d’une partie de la classe politique française et non de l’Algérie, c’est bien évidemment du droit français et international qu’il faut examiner les possibilités juridiques.
En l’état actuel du droit, la différence entre l’accord et le traité n’est qu’une question d’usage et n’en porte pas une définition juridique qui les distingue.
Le traité étant en général un accord plus vaste dans son contenu et dont le nombre des signataires est plus important. Cependant l’usage tend à utiliser le mot accord comme terme générique mais tout cela n’est pas une règle fixe.
Les accords et traités sont intégrés dans la constitution française du 4 octobre 1958 par son article 54 :
Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.
Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés.
L’article 55 précise la hiérarchie de l’accord dans le dispositif des textes français :
Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.
Par extension nul avenant à l’accord ne peut être légal sans l’intervention du Parlement. L’avenant étant une modification ou un rajout au texte initial, l’accord en a connu quatre depuis 1968. .
La conclusion est que l’accord de 1968 est forcément de l’ordre du débat politique par l’intervention obligatoire du Parlement, ce qui nous mène vers la première difficulté pour la France. Elle est inhérente à tout texte législatif mais dans les conditions actuelles d’une absence de majorité le débat prendra inévitablement un tournant des plus chaotiques pour une issue incertaine.
Reste à convenir de l’action proposée, dénonciation de l’accord ou modification ? Et là, après la question du débat politique, commencent les difficultés juridiques.
Dénonciation unilatérale ou renégociation, quels conditions et risques ?
Il est une évidence première que le traité du 27 décembre 1968 ainsi que tous les avenants qui suivirent ne comportent pas expressément (dans le texte) une clause de dénonciation.
L’article 56 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités nous dit qu’en l’absence d’une telle clause un traité ne peut faire l’objet d’une dénonciation unilatérale qu’à la condition de l’intention des parties d’admettre la possibilité.
Or cette condition de « l’intention » n’apparait ni dans le texte ni dans les circonstances de son adoption. Au contraire, le Préambule de l’accord nous permet de conclure à une intention contraire en stipulant que les deux gouvernements sont « soucieux d’apporter une solution globale et durable aux problèmes relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens sur le territoire français ».
La dénonciation unilatérale de l’accord peut donc légitimer la saisine par l’Algérie de la Cour internationale de justice de La Haye. Il s’agit là d’un risque, la dénonciation unilatérale vaut-elle la peine pour la France de le tenter ?
Reste la solution de la renégociation mais elle est soumise aux deux conditions que sont l’acceptation par l’Algérie de renégocier les termes de l’accord puis ensuite, cela a déjà été précisé, celle d’affronter le débat politique très compliqué en ces temps de clivage fort et d’absence de majorité stable.
Malgré tout certains estiment qu’il ne faut pas hésiter à choisir l’option de la dénonciation. C’est le cas de la proposition de l’ambassadeur dans sa note pour Fondapol qui affirme que ce ne serait non pas « l’arme atomique » mais plutôt « l’ultime avertissement pour obliger Alger à renégocier, ce qu’il s’est toujours refusé à faire ».
En quelque sorte mettre une forte pression afin de pousser les autorités algériennes à négocier puisque la dénonciation s’avère en réalité peu probable juridiquement.
Nous pouvons retrouver dans plusieurs écrits de commentateurs que la procédure est curieuse, soit intimider pour négocier. Il est certain que cela ne peut amener à susciter de sérieuses discussions d’autant que l’Algérie est parfaitement au courant de l’impasse de la dénonciation unilatérale.
Pourquoi le contrat avait-il été signé puisqu’il est si controversé ?
L’accord de 1968 et les sous-entendus
Un contrat est la rencontre de deux consentements nous dit le droit. Mais les consentements sont toujours pour les parties la conséquence d’une balance avantages-inconvénients. C’est aussi et surtout un pari sur l’avenir car rien n’est aussi changeant que les circonstances futures.
Les accords d’Evian prévoyaient la simple présentation d’une carte d’identité pour une entrée et circulation qui bénéfice des droits internes à l’exception des droits politiques. En réalité la France n’imaginait pas un retour aussi massif des Pieds-noirs et la venue de cinq cent mille immigrés pour une installation de longue durée. L’intention de maîtriser les flux la poussera même à créer un centre de rétention clandestin à Arenc sous l’excuse d’une raison sanitaire.
Entre autres litiges les deux parties seront ainsi amenées à négocier un premier accord le 10 avril 1964. Et c’est ainsi que l’accord de 1968 fut signé par la suite. Il vise effectivement à maitriser les flux en contrepartie notamment d’une installation par un certificat de résidence.
L’intention de la France est ambivalente dès le départ en voulant en même temps réguler les flux et bénéficier d’une main-d’œuvre à bon compte pour ses besoins dans la période de grande expansion économique des « trente glorieuses ». Il lui fallait donc manœuvrer entre les deux côtés de la balance.
Nous savons ce qui est advenu pour la suite de l’histoire. La droite voulant perpétuellement affirmer que les accords de 1968 et de ses avenants annulaient les dispositions de libre circulation prévues par les accords d’Evian de 1962.
On pourrait penser que cela n’a aucun sens car ce qui est applicable est le texte de 1962 et ses avenants. Il y a pourtant un point de droit qu’il faut comprendre. Si le texte de 1968 annulait celui de 1962 cela voudrait dire que la libre circulation n’est plus le principe de base sur lesquels vont se joindre les limites. Cela voudrait dire qu’il n’y a plus une base élargie que suppose la libre circulation pour négocier les limitations.
Les tentatives n’ont jamais pu avoir une concrétisation juridique et le Conseil d’Etat a reconnu que l’accord faisait expressément le lien avec les accords de 1962.
La France n’a donc aucune possibilité juridique pour légitimer la dénonciation unilatérale de l’accord pour les raisons présentées précédemment. Il ne reste que l’accord mutuel de rupture ou la négociation. Ce qui dans les deux cas suppose l’accord de l’Algérie.
Et c’est là, comme pour toute négociation d’un accord, que s’impose de nouveau l’examen de la balance avantage-inconvénient pour l’Algérie.
Annulation ou renégociation ?
Jusqu’à ce stade du développement nous n’avons uniquement examiné que les faits, essentiellement dans leurs aspects juridiques.
Il nous faut maintenant trancher et cela ne peut se faire qu’à travers l’avis du rédacteur de cet article sinon pourquoi l’avoir rédigé ?
Il serait difficile d’affirmer que l’accord franco-algérien dérogatoire au droit commun ne soit pas favorable aux ressortissants algériens. Cela étant légitime vu le besoin d’immigration de la France et leur travail qui, malgré l’avis contraire d’une grande partie de le droite, reste nécessaire à la croissance économique du pays d’accueil.
L’intention de régulariser les travailleurs sans papiers dans les métiers « sous tension » dans la proposition de loi sur l’immigration est la preuve du besoin économique y compris pour le futur vu le déclin démographique inéluctable.
Inutile de comparer les avantages et inconvénients point par point comme nous l’avions précisé au départ de l’article. C’est inutile car dans ces affaires très politiques c’est le sentiment global qui prévaut.
L’Algérie a des atouts et elle ne devrait pas craindre une renégociation. Il n’y a aucun intérêt pour elle si la dénonciation unilatérale condamne la France à un lourd dédommagement. Elle ferait perdre aux ressortissants algériens l’avantage acquis de la dérogation au droit commun.
Les avantages à rejoindre le droit commun existent mais ils restent très marginaux par rapport à ce qui serait perdu.
Pour le moment, les deux États n’ont rien demandé et on pourrait me rétorquer que je pose un faux problème. Gouverner c’est prévoir, il faut donc toujours se préparer « en cas où ».
L’argument de la droite française du temps par des décennies d’existence de l’accord n’emporte aucune conséquence juridique. Mais il faut bien se rendre compte de deux éléments. Le premier est la « droitisation » de plus en plus forte en France. Plus menaçant encore, la très impressionnante montée de l’extrême droite dans tous les pays européens et même son installation dans certains exécutifs gouvernementaux.
Le second argument est la leçon historique sur les traités. Ils ne sont jamais éternels entre les pays et les circonstances peuvent les rendre caducs et mener à des ruptures violentes.
Pour le moment il ne faut pas se plier aux menaces de la droite et de l’extrême droite françaises. Mais, rappelons-le, ne pas préparer l’avenir est risqué pour le statut dérogatoire des ressortissants algériens en France.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité