Vendredi 17 avril 2020
Une tripartite aux couleurs du coronavirus !
La crise est avant tout, sanitaire ; pour autant le choc majeur que la propagation du Covid-19 vient de créer sur les économies mondiales, personne ne l’a vécu.
Et, ils sont peu nombreux voire majoritaires, ceux qui l’avaient anticipé. Des gouvernements dans le feu de l’action tentent de mettre en place des politiques économiques inédites, un appui sans précédent aux entreprises, des entorses au droit du travail, des primes exceptionnelles sont allouées notamment aux soignants.
En Algérie aussi, des mesures exceptionnelles sont prises :
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les pénalités de retard ne sont pas appliquées aux entreprises « défaillantes »
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un différé d’un mois leur est accordé pour le versement des cotisations et des charges sociales.
A ce propos, il est utile de rappeler que :
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le rythme de création d’entreprises qui a enregistré un net recul durant le premier semestre 2019 par rapport au premier semestre 2018 avec une contraction de l’ordre de 5,69%, selon l’ONS
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quelque 1.730 personnes morales (entreprises NDLR) qui ont fait l’objet d’une cessation d’activité au cours du premier semestre 2019, dont 33,93% seulement à Alger.
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le taux de radiation des entreprises au registre du commerce a connu une nette augmentation au cours de ce semestre, avec 81 entreprises radiées, soit 4,91 % par rapport au premier semestre 2018.
Quant à l’obligation du service civil obligatoire pour les médecins spécialistes, il a été abrogé par décision du Président de la République. De ce qui précède, tous les pays y compris le notre, donnent l’impression qu’en s’occupant de l’économie, on relègue au second plan la crise sanitaire.
En fait, ce sont deux batailles à mener de front. Dès lors, à quoi faut-il s’attendre pour les mois à venir ?
Comment l’Algérie pourrait-elle faire face à cette crise qui impacte son économie et surtout les entreprises qui la font tourner ?
Les éléments de réponses sont attendus des propositions que ne manqueront pas de faire les principaux acteurs conviés par le premier ministre, Abdelaziz Djerrad.
Il a instruit les membres de son gouvernement à l’effet de lancer des concertations sectorielles avec les organisations patronales et les syndicats pour «évaluer et contenir l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’entreprise et la vie économique» ; en tenant compte des différentes mesures déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics dans les domaines bancaire, fiscal, parafiscal et des marchés publics, «l’effort commun devra d’abord s’orienter d’abord sur l’évaluation, par secteur d’activité, des impacts de la crise sanitaire sur la situation financière et de l’emploi des entreprises ».
La concertation permettra enfin d’identifier les modalités de mobilisation et de gestion de la sphère économique « afin de sauvegarder l’emploi et préparer la reprise de la croissance».
Et aux observateurs de s’interroger ?
Les propositions issues de la large concertation seront-elles «examinées » et conséquemment « adoptées » comme par le passé par la tripartite ? Et l’inévitable show télévisé qui s’en suivra ? Et les «bousboussettes » des participants ravis d’exhiber leur «ventripotence» qui seront diffusées en boucle?
Ses acteurs traditionnels l’UGTA et le FCE ? Une tripartite aux couleurs du Coronavirus, et c’est peu de le dire !!!
Avec l’UGTA dont la représentativité est tout à fait contestable, même si elle continue à bénéficier du statut exorbitant «d’interlocuteur exclusif » du gouvernement, alors que ses dirigeants ont définitivement renoncé à l’arsenal de la contestation pour se doter d’une doctrine « collaborationniste », présentée sous l’intitulé de « force de proposition ».
L’UGTA ravalée au rang de faire-valoir. s’est toujours contentée d’observer les grèves, à partir du banc de touche, pendant que les syndicats, autonomes agissaient et gagnaient en crédibilité, même si, faut-il l’admettre l’action de certains d’entre eux n’était pas dénuée d’arrière-pensée… politicienne. Et conséquemment, le salariat est déçu par une « centrale » si proche du pouvoir politique et si loin des « cols bleus » !
Le Forum des chefs d’entreprise (FCE) a été l’allié des Bouteflika pour leur maintien au pouvoir et nombre de ses dirigeants grands prédateurs devant l’Eternel, présentement pensionnaires des prisons de Koléa et El Harrach, ont contribué à la faillite économique et financière de l’Algérie.
Aujourd’hui, que la «Fce…phobie» est à son comble, qui voudrait de cette organisation patronale prédatrice souillée par Ali Haddad et consorts ? Patron du FCE, il a fait l’objet d’une violente campagne engagée par le Premier ministre d’alors, Abdelmadjid Tebboune qui avait affiché son intention de s’attaquer aux forces de l’argent, affirmant sa volonté de séparer l’argent de la politique. Deux semaines plus tard, il a été renvoyé après moins de trois mois à la tête du gouvernement. L’opinion a été choquée. L’image de ce qui s’est passé au cimetière d’El Alia s’est imposée à tous : le frère du président et l’oligarque le plus en vue plaisantaient dans un moment aussi solennel ; la complicité qu’ils affichaient a été perçue comme un défi au gouvernement et à son chef ; l’arrogance perçue dans leur attitude a provoquée une véritable onde de choc mais aussi, ironie du sort, une vague de sympathie pour Abdelmadjid Tebboune, ce qui a contribué, en partie, selon les observateurs à son élection le 12 décembre 2019.
Quel regard porte aujourd’hui le Président de la République au FCE ? Et partant à la tripartite ou « les noceurs » se sont partagés la rente? Comme des mafieux de la Camorra !
Certes, aujourd’hui, Mohamed Samy Agli et le nouveau président de l’organisation patronale ; il a affirmé au lendemain de son élection, que pour lui « la ligne rouge » à ne pas dépasser est la politique et que les seuls interlocuteurs du FCE sont « les représentants de l’État, à leur tête le Premier ministre ». Ce qui doit rassurer en haut lieu. Quoique.
Pourtant, force est de constater que 58 années après l’indépendance et moult tripartites plus tard, on en est encore et toujours aux vœux pieux. Aux constats !
A défaut d’une tripartite même élargie, Abdelaziz Djerrad pourrait s’appuyer sur le Conseil National Economique et Social (CNES) pour dévoiler ses propositions de sortie de crise et peut-être aussi « la nouvelle politique économique de l’Algérie » découlant des 54 engagements d’Abdelmadjid Tebboune.
Pour ce faire, il doit :
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Convier à la concertation qu’il envisage de lancer toutes les organisations syndicales en relation avec les ministères du travail, l’enseignement supérieur, l’éducation nationale et la santé
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Convier à la concertation toutes les organisations patronales agrées.
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Eviter que la concertation qu’il envisage de lancer ne soit, comme par le passé, un lieu de distribution de la rente
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Mettre en œuvre les engagements de Tebboune à savoir engager une politique de développement indépendante de la rente pétrolière
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Poursuivre et accélérer le programme des réformes. Les retarder ne peut que conduire à la désintégration, à l’appauvrissement et à la perte de confiance en l’avenir. Et avec la fin de la rente, le pays n’aura pas les moyens de préparer lesdites réformes. Il vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Il est temps a rappelé encore une fois Abderrahmane Mebtoul de mettre en place une véritable économie de la connaissance, faciliter la concurrence, revoir le code du travail, privilégier l’épanouissement du numérique et de la biotechnologie. Sans oublier les industries de l’environnement qui ne semblent pas plus que ça susciter l’intérêt du ministre du secteur, préoccupé beaucoup plus par les fuites d’eau, certes préjudiciables du fait du vieillissement des canalisations datant en partie de l’ère coloniale, que des déchets industriels et ménagers dont on peut retirer d’immenses bénéfices et d’innombrables emplois directs et indirects !
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Faire des efforts en matière d’emploi qui doit être le credo du gouvernement qui doit se « décarcasser » pour en créer. Ailleurs, on parle « d’emplois d’avenir » et même « d’emplois générationnels » !
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Dire, enfin toute la vérité au peuple algérien et non pas insulter son intelligence par des discours totalement négatifs, pour des raisons politiques et idéologiques, en prétendant que « l’Algérie n’est pas en faillite » tout en reconnaissant « qu’elle traverse une situation difficile » !