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Universitaires : traitements, salaires et inégalités en Algérie

TRIBUNE

Universitaires : traitements, salaires et inégalités en Algérie

Je ne fais partie ni ne suis membre d’aucune organisation et d’aucun syndicat, universitaires ou/et extérieures à l’Université. Je ne voudrais, pour tout l’or du monde, en faire partie ni aujourd’hui ni demain. Étant depuis toujours indépendant, je tiens plus que tout à l’indépendance de ma réflexion, guidée uniquement par ce que je considère comme « l’intérêt général » dans un cadre « objectif », insoumis à toute autre considération, de quelque nature que ce soit.

Des centaines sinon des milliers de voix s’expriment à tous instants et par différents canaux et moyens, sur l’évolution de l’Algérie, depuis le « Mouvement Populaire de Rejet du Système », apparu en Février 2019.

Chacune de ces voix présente, ressasse et insiste sur sa vision du changement qui devrait émerger et bâtir un nouveau système sociopolitique dont l’objectif serait la construction d’un État moderne, Social, basé sur l’application des Lois de manière équitable.

Par exemple, les ressources publiques sont celles qui appartiennent à la collectivité nationale : c’est le cas des ressources naturelles du sous-sol, du sol, les ressources marines et sous-marines qui peuvent être exploitées.

Leurs exploitations et les revenus (rentes) qui en résultent doivent être réparties de manière équitable entre les composantes sociales de la collectivité nationale. Or, cela n’a jamais été le cas jusqu’à ce jour.

Les preuves chiffrées et crédibles du moment, calculées et émises par les institutions spécialisées de l’État, tel que l’Office Nationale des Statistiques, et d’autres institutions similaires, le montrent.

Pour prendre un exemple dont la fiabilité ne fait pas l’ombre d’un doute, puisque j’exerce moi-même depuis trois décennies une des professions utilisées ici comme un exemple illustrateur, considérons les salaires et traitements des plus hauts gradés des universitaires enseignants chercheurs et ceux de la panoplie, toute la panoplie s’entend, des salaires et traitements qu’accordent les professions d’encadrement des institutions de l’État.

Si on essaie d’analyser les différentes fonctions ou professions dans l’État, on comprendra aisément que celle d’Universitaire, enseignant-chercheur, est la profession par excellence chargée de comprendre les problèmes que vit la société, ceux qui bloquent son évolution et freine l’efficience de l’exploitation de ses ressources, l’efficacité de ses modèles à tous les niveaux (société, économie, représentation politique, savoirs).

C’est la profession dont les missions sont celles de transmettre le savoir en vue de former les compétences qui peuvent le capter ensuite le diffuser et le créer, pour pouvoir étudier et proposer les voies les plus à même de moderniser dans le sens large du terme, la société et l’État.

Or, à quel niveau sont rétribués ces universitaires enseignants-chercheurs dont la mission de formation et de recherche est de comprendre les problèmes et les blocages du pays, de sa population et de l’usage de ses ressources pour évoluer vers une société, un État basés sur l’usage du savoir dans le cadre que fixe la Loi ?

Le but visé par l’équité devant la Loi est celui de pouvoir mobiliser la société, par le savoir, pour construire un État moderne où chacun est protégé, aussi équitablement que n’importe quel autre citoyen, sans aucune autre distinction ou différence. Le salaire et plus généralement le traitement accordé aux différentes catégories socioprofessionnelles, est le critère par excellence, de protection des citoyens de manière équitable, en fonction d’une échelle de valeurs classant leurs fonctions et leurs mérites en fonction de leurs contributions, par leur travail, à la vie sociale.

Or comparons le salaire des universitaires enseignants-chercheurs, celui des plus hauts gradés d’entre eux, avec toutes les autres professions d’encadrement dans les institutions du pays (haute administration, direction d’entreprise nationale publique, autres institutions diverses dans tous les autres domaines des fonctions de l’État).

Nous découvrirons aisément des différences fondamentales qui entraînent que l’État n’a jamais réussi depuis son indépendance à ce jour en 2021, quel que soit le gouvernement en place, à mobiliser pour son évolution moderniste et équitable, la majorité écrasante de ses universitaires enseignants et chercheurs.

Beaucoup d’entre eux, sinon tous, se désintéressent presque entièrement de réfléchir aux problèmes de leur pays et à innover des propositions de solutions pour dépasser et résoudre ses problèmes, qu’elles que soient leurs natures (conceptuelles, philosophiques, culturelles, technologiques, économiques, sociales, politiques, ….).

Depuis au moins les années 1970 et 1980, un filet d’émigration des universitaires émerge et devient de plus en plus important.

Il prend dès les années 1990 et plus encore les années 2000-2005 une importance grave de par le saignement des savoirs que portent ces élites choisissant d’émigrer, saignement d’Algérie vers différents pays étrangers sur les cinq continents, contribuant à l’essor de ces derniers, parfois en supportant des déchirures familiales et sociales définitives.

Aujourd’hui en 2021, la plupart des institutions internationales spécialisées dans les questions de migrations, estiment que la proportion d’Algériens considérés comme issus des courants intarissables de la migration internationale, approche près de 20 % de la population locale.

Quelle peut en être la cause, si celle des inégalités persistantes en matière salariale n’en est pas la plus claire et la plus compréhensible ?

Si on prend pour illustration les plus hauts gradés des universitaires enseignants chercheurs en activité, il est aisé d’observer que leur traitement mensuel (salaire net + prime de rendement) est égale théoriquement à seulement : 7 à 8 fois le salaire minimum.

Or, l’État, à travers ses institutions, accorde à ses personnels d’encadrement dans les autres secteurs, des traitements mensuels tellement élevés et souvent garantis à vie (salaire + prime + prises en charge des nécessités diverses comme le logement, le transport, les moyens de travail tels que micro-ordinateurs, téléphone, Internet), par comparaison à ceux accordés aux universitaires enseignants-chercheurs, qu’aucune compréhension de cet écart abyssal ne peut ni être justifié ni être logique, ni surtout être mobilisateur des compétences parmi les universitaires.

Ce fait, prouvé par les données les plus officielles, se renforce et s’enracine.

L’écart qu’il révèle entre personnel d’encadrement universitaire et tous les autres types de personnels d’encadrement, est encore plus abyssal et flagrant, lorsqu’on analyse plus finement sa réalité quotidienne.

Ainsi le revenu réel (montant net) à la disposition de l’Universitaire du plus haut grade et après plus d’une décennie de carrière, est encore très significativement plus faible.

Il est de loin inférieur au niveau de 7 à 8 fois le Salaire minimum que garantie théoriquement la loi.

Tous les autres personnels d’encadrement des institutions voient depuis le premier jour de leurs prises de fonctions, l’État, à travers leurs institutions de rattachement, mettre à leur disposition les moyens matériels leur permettant d’assurer leurs fonctions et de faire le travail dont ils sont chargés.

Sauf dans le cas de l’Universitaire, enseignant et chercheur.

Ce dernier doit acheter lui-même, en y consacrant une part de son revenu, ses instruments de travail que sont le livre récent, l’abonnement et l’achat de la revue scientifique récente, souvent publiés à l’étranger, son microordinateur portable, ses logiciels spécialisés, sa connexion Internet, son bureau personnel souvent chez lui dans son logement exiguë, situé dans une zone urbaine bruyante.

Son salaire net réel serait alors :

Salaire minimum X 4 à 5.

Par contre, certains de ces traitements qu’accordent à leurs cadres les institutions publiques sont équivalentes à :

Salaire minimum X 50 à 80. Quoi de commun, de logique ou de mobilisateur entre :

Un traitement de «professeur» = salaire minimum X 4 à 5 après plus d’une décennie de carrière.

et un traitement d’un cadre dirigeant de Sonatrach, de Sonelgaz, de Ministère, etc, très souvent égal ou supérieur à : Salaire minimum X 50 à 80 et plus, beaucoup plus ?

Pour prendre un exemple encore plus simple et plus terre à terre : le logement décent.

Ainsi, aucun des milliers des universitaires du plus haut grade, celui de professeur des universités, ne peut accéder aujourd’hui, avec son salaire universitaire, à un logement décent lui offrant un minimum d’espace et de confort de vie, pour pouvoir assurer, dans des conditions décentes, son travail d’enseignant-chercheur.

Tous, à l’exclusion des universitaires issus des familles riches et ceux exerçant d’autres fonctions rémunérées en parallèle, vivent dans des logements insalubres, exigus, inconfortables, sans aucun espoir d’amélioration à partir de leur salaire net.

Alors que, si les pouvoirs publics, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, voulaient réellement mobiliser les élites universitaires de ce pays, des mesures simples de rattrapage par exemple en matière de salaire (qui n’a pas évoluer pour les universitaires depuis 2008) sont faisables immédiatement.

Des mesures simples en matière d’acquisition de logement décent, comme celles de prêts universitaires pour acquérir des logements dignes dans les promotions immobilières privées, financées par les commissions sociales des universités, sont simples à prendre et à appliquer.

D’autres mesures simples à appliquer et à décider peuvent rendre la location-vente obligatoire à respecter pour les promotions immobilières privées.

Cela n’a jamais été le souci des pouvoirs publics, ni des différents Ministres ayant chapeauter depuis plus de trois décennies l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, ni les différents Walis gérant les régions où existent des Universités, ni la panoplie des Recteurs se succédant en ne sait selon quelles modalités de choix ni par qui processus de décision, à la tête des Universités, parfois pendant plus d’une décennie et même plus de deux décennies, inamovibles « statues de Toutankhamon », multipliées durablement ici où là, dominants des universités où aucune voix critique ne s’entend ni ne veut s’exprimer.

Dans ce cas, ne sommes-nous pas en droit de poser ces trois graves questions :

Pourquoi les pouvoirs publics ignorent royalement leurs universitaires enseignants chercheurs ?

Où sont les Institutions ? Où est l’État ?

 

Auteur
Pr Nadji Khaoua, enseignant, chercheur, Annaba

 




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