Lundi 16 novembre 2020
Vaccin contre le Covid-19 : pourquoi la bataille est loin d’être gagnée !
Les laboratoires Pfizer et BioNTech assurent que leur candidat vaccin est « efficace à 90% » contre le Covid-19. Bien que réjouissante, cette annonce ne signifie pourtant pas que l’épidémie disparaîtra dès demain.
Il va falloir « vivre avec le virus sur le temps long ». Alors que les laboratoires américain Pfizer et allemand BioNTech ont affirmé, lundi 9 novembre, que leur candidat vaccin était « efficace à 90% » contre le Covid-19, le Premier ministre français se montre « prudent ». Jean Castex a indiqué, samedi 14 novembre auprès du Monde, travailler à des « règles » pour le pays jusqu’à l’arrivée d’un vaccin et plancher sur une période allant possiblement jusqu’à l’été prochain. Franceinfo vous explique pourquoi l’annonce prometteuse de Pfizer et BioNTech ne signifie pas pour autant que la bataille contre le Covid-19 est proche de son terme.
Parce qu’aucun vaccin n’est encore totalement prêt
Plus de 200 projets de vaccins contre le Covid-19 sont en cours à travers le monde, d’après une note de l’Organisation mondiale de la santé (en anglais) publiée en novembre. Parmi les 47 projets les plus avancés, actuellement testés sur des êtres humains, on retrouve le projet de vaccin de Pfizer et BioNTech, mais aussi celui du laboratoire chinois Sinovac, celui des laboratoires Novavax (Etats-Unis), celui d’AstraZeneca et de l’université d’Oxford (Royaume-Uni) ou encore le candidat vaccin issu de l’alliance franco-britannique entre Sanofi et GSK.
Mais ces projets étant toujours en cours, la prudence est de mise. Les recherches sur le vaccin de Pfizer et BioNTech, qui suscitent une vague d’espoir à travers le monde, n’ont ainsi pas encore été examinées par des pairs ni publiées dans une revue scientifique. Les auteurs de l’essai clinique expliquent attendre pour cela les résultats de l’ensemble des tests. Le groupe a également prévenu qu’il voulait poursuivre l’essai clinique jusqu’à ce que 164 cas positifs au Covid-19 soient identifiés parmi les participants. Ce nombre pourrait être atteint début décembre, selon Bill Gruber, l’un des scientifiques de Pfizer.
Parce qu’il faudra ensuite obtenir une autorisation de mise sur le marché
Avant d’être mis sur le marché, les vaccins doivent, comme le reste des médicaments, obtenir une autorisation des autorités sanitaires des pays dans lesquels ils sont déployés. A condition que l’efficacité de son vaccin soit confirmée, le groupe Pfizer a prévu de déposer une demande d’autorisation à l’Agence américaine des médicaments fin novembre.
En Europe, l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui a pour mission d’autoriser et contrôler les médicaments dans l’Union européenne, prévoit, « si les données sont solides », de donner son avis favorable à un vaccin « d’ici la fin de l’année », a indiqué samedi 14 novembre son directeur, Guido Rasi, dans un entretien au journal italien Il Sole 24 Ore. L’EMA, qui table sur une distribution « à partir de janvier » et sur « six ou sept » vaccins différents à disposition en 2021, indique avoir reçu « les premières données cliniques » du projet de vaccin Pfizer, mais aussi « les données précliniques, celles des essais sur les animaux qui sont déjà en cours d’évaluation » d’AstraZeneca et avoir « eu plusieurs discussions avec Moderna ». Le feu vert final sera ensuite donné par la Commission européenne, afin que les laboratoires puissent commercialiser leur vaccin dans toute l’UE.
Parce que la production d’un vaccin en quantité suffisante prendra du temps
Mais une fois ces autorisations obtenues, encore faut-il pouvoir produire suffisamment de doses pour pouvoir distribuer le vaccin à un gigantesque marché. L’alliance Pfizer-BioNTech assure être en mesure de produire 50 millions de doses d’ici la fin de l’année et 1,3 milliard en 2021. L’entreprise de biotechnologie américaine Moderna prévoit, elle, de fournir un milliard de doses en 2021.
Comment est-ce possible ? « La production [du vaccin] a été lancée en parallèle [des essais], sans certitude qu’il serait approuvé par les autorités de santé », explique au Figaro David Lepoittevin, directeur de l’activité vaccins chez Pfizer France. Et les groupes pharmaceutiques ont mobilisé beaucoup plus de sites de production qu’ils ne le font habituellement, détaille Le Monde.
La lutte contre le Covid-19 a aussi bénéficié d’un énorme coup d’accélérateur, en particulier grâce à des financements publics. Les gouvernements ont voulu s’assurer, par des accords financiers, la livraison des doses de vaccins. Le gouvernement américain a par exemple signé un contrat de 1,95 milliard de dollars avec Pfizer, et de 2,5 milliards de dollars avec Moderna. La Commission européenne a, de son côté, conclu quatre contrats de ce type, avec Pfizer-BioNTech, AstraZenaca, Johnson & Johnson, et Sanofi-GSK. Des accords préliminaires ont aussi été conclus avec CureVac et Moderna.
Parce que la conservation d’un vaccin pourrait être soumise à des contraintes importantes
L’accès au vaccin dépendra aussi de la capacité à transporter et stocker les doses, parfois en les maintenant congelées à de très basses températures. Basés sur une nouvelle technologie, dite de l’ARN messager, les vaccins sur lesquels travaillent Pfizer-BioNTech ou Moderna sont en effet fragiles : ils doivent être stockés à -70 °C, alors que « la plupart des congélateurs dans la plupart des hôpitaux du monde sont à -20 °C », relève Trudie Lang, professeur de recherche en santé mondiale à l’université d’Oxford. « L’approvisionnement ne pourra pas se faire dans les pharmacies qui ne sont pas équipées » de congélateurs spécifiques, souligne donc Bruno Pitard, directeur de recherche au CNRS à l’université de Nantes, alors que ceux-ci coûtent, à l’unité, environ 10 000 euros, indique Le Monde.
Le groupe Pfizer et certains gouvernements préparent un protocole de livraison depuis plusieurs mois à partir des centres de distribution de la société pharmaceutique aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Belgique. Mais « rien de tout cela n’a eu lieu dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », note aussi auprès de l’AFP Rachel Silverman, chargée de mission au Center for Global Development. Partout, il faudra aussi trouver le personnel suffisant pour injecter les doses de vaccin, alors que les soignants sont déjà très accaparés par l’épidémie.
Parce que tout le monde ne pourra pas être vacciné immédiatement
Compte tenu des capacités de production limitées des groupes pharmaceutiques, il ne sera pas possible de vacciner tout le monde immédiatement. « L’objectif est que chaque pays soit en mesure de vacciner 20% de sa population d’ici à la fin 2021« , a recommandé vendredi Katherine O’Brien, la responsable de la division immunisation de l’Organisation mondiale de la santé. Les données épidémiologiques soulignent en effet la nécessité d’une distribution équitable du vaccin pour une efficacité maximale.
Une étude (en anglais) réalisée par des chercheurs de l’université Northeastern (Etats-Unis) met en évidence que si 50 pays riches monopolisent les deux premiers milliards de doses du vaccin, les décès du Covid-19 seront réduits d’un tiers dans le monde, contre près du double si le vaccin est distribué en fonction de la population d’un pays plutôt que de sa capacité à le payer. Pour contrer les intérêts égoïstes de chaque pays, l’OMS a donc lancé la plateforme Covax, qui regroupe des gouvernements, des scientifiques, des membres de la société civile et du secteur privé, visant à s’assurer une répartition juste et équitable du vaccin.
Dans chaque pays, qui recevra les premières doses ? « Nous commencerons par les catégories les plus exposées, comme les personnes âgées et les travailleurs de la santé », indique Guido Rasi, directeur de l’Agence européenne des médicaments, qui juge qu’il faut vacciner « plus de la moitié » de la population européenne pour « pouvoir assister à un déclin de la pandémie » sur le territoire européen.
Dans l’hypothèse d’une mise sur le marché du vaccin en janvier, ses premiers effets sur la propagation du virus « seront visibles dans cinq à six mois, essentiellement l’été prochain », estime-t-il. Pour vacciner tout le monde, « cela prendra au moins un an » et « si tout se passe bien à la fin de 2021, nous aurons une immunisation suffisante », ajoute Guido Rasi.
En France, la direction générale de la santé a chargé la Haute autorité de santé de plancher sur les scénarios de vaccination possibles. Cette dernière estime que « les professionnels de santé et du médico-social de première ligne constitueront les cibles prioritaires », tout comme les « personnes âgées de plus de 65 ans et celles présentant une comorbidité ». Mais elle considère que le vaccin ne devra pas être obligatoire, au moins dans un premier temps.
Parce que la réticence de la population au vaccin pourrait freiner la couverture vaccinale
Malgré le caractère meurtrier de l’épidémie, une partie de la population hésite à se faire vacciner, voire y est franchement hostile. En France, seul un peu plus d’un habitant sur deux interrogé se dit prêt à se faire vacciner (60%), selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour franceinfo et Le Figaro, contre 74% au niveau mondial.
Pourquoi ? L’arrêt momentané, puis la reprise, de plusieurs essais cliniques sur des candidats vaccins, en raison de problèmes de santé détectés chez certains participants, ont peut-être fait craindre une trop grande précipitation dans la conception du médicament. Les théories complotistes – alléguant par exemple qu’un vaccin contre le Covid servira à implanter une puce électronique – sont également particulièrement présentes sur les réseaux sociaux dans le monde francophone, a relevé First Draft, une ONG spécialisée dans la lutte contre les fausses informations, comme le rapporte Ouest-France.
Or, « un vaccin très efficace, sûr et pouvant être fabriqué n’a de valeur pour la santé publique que s’il parvient effectivement aux personnes qu’il doit protéger et s’il est largement utilisé par les populations », a rappelé vendredi Katherine O’Brien, la responsable de la division immunisation de l’OMS. Si une minorité de la population est vaccinée, alors la protection générale ne sera pas suffisante pour que le virus arrête de se répandre.
Parce qu’on ne sait pas encore quelle sera l’efficacité à long terme du vaccin
Enfin, le ou les vaccins pourraient ne pas protéger à vie contre le Covid-19, rendant ainsi les populations vaccinées susceptibles d’être contaminées lors d’une vague suivante. « Est-ce que la durée de l’immunité, c’est seulement six mois, un an, deux ans, plus ? Il n’y a que le recul qui permette de le dire », explique à franceinfo Jean-Paul Stahl, professeur de médecine infectieuse au CHU de Grenoble.
On ignore aussi, pour l’instant, quelle sera l’efficacité d’un vaccin sur les personnes âgées, ou ses effets sur les personnes déjà infectées par le coronavirus, seules les personnes négatives au Covid-19 ayant par exemple été intégrées aux essais cliniques du vaccin Pfizer-BioNTech.