Villar Luc Rafaël, l’Algérien, le combattant de l’indépendance, repose enfin chez lui, dans sa terre d’adoption à At Aggouacha, au cœur des montagnes d’At Yiraten. Ce jeudi, il a été accompagné vers sa dernière demeure, lui, l’Algérien de cœur, né en Andalousie, dont la vie s’est teintée des couleurs de la liberté et de l’amour d’une terre à jamais sienne.
Né le 15 décembre 1938 à Torredonjimeno, fils d’une famille de Républicains espagnols qui a fui les griffes de la dictature franquiste, il a d’abord fui vers la Catalogne avant de se réfugier en Algérie, l’Algérie qui était alors accablée par le joug colonial. D’abord égaré dans les rangs de la Légion étrangère, il est affecté en Indochine avant d’être rapatrié en Algérie où il se retrouve chef de l’armurerie à Skikda. Il a refusé de rester spectateur de la violence coloniale.
Petit à petit, Villar Luc Rafael a vidé l’armurerie de ses armes, pour les mettre au service des maquis de l’ALN. Sa révolte était silencieuse mais retentissante, jusqu’au jour où il lui a fallu déserter la caserne, abandonner l’uniforme de la Légion étrangère pour revêtir celui de l’insoumission. Il a assumé jusqu’au bout le choix de se battre du côté de l’histoire que dicte la justice. Intégré aux effectifs de la Wilaya II, sous le commandement du colonel Boubnider, il est devenu instructeur au sein de l’ALN.
En 1962, après avoir accompli ce qu’il estimait être son devoir, il s’apprêtait à regagner son Andalousie natale. Mais l’Algérie l’avait adopté, et ses compagnons de lutte, notamment le moudjahid Belaïd Grib dit « Japan », l’ont convaincu de rester, lui qui était déjà des leurs. C
‘est à Larbaâ Nath Irathen qu’il s’est établi dans ce qu’il appelait « le plus beau pays d’Afrique ». Il a fondé une famille avec Saliha Demou, moudjahida originaire de Lakhdaria (Palestro).
Villar Luc Rafaël fit des études pour devenir architecte et établit son cabinet à Larbaâ Nath Irathen, dédiant son savoir-faire à la reconstruction d’un pays meurtri, dévasté par la guerre.
Partout où il y avait un besoin, partout où la société demandait à se remettre en mouvement, Villar Luc Rafaël était là : sur les chantiers de la reconstruction, dans les équipes sportives naissantes, au côté de ceux qui, comme lui, étaient prêts à bâtir, pierre après pierre, cette Algérie naissante.
Homme libre, sa religion était celle d’aimer l’humanité. Son amour transcendait les différences, et c’est cette même abnégation qui l’a guidé tout au long de sa vie. Convoqué dans le cadre de la procédure de naturalisation, il était accompagné de son ami Mustapha Lounis.
À la question de savoir s’il s’était converti à l’islam, il eut une réponse décapante, sincère, à l’image de l’homme qu’il était : « Si c’est être musulman comme Mustapha, oui, je suis musulman ». Il devait algérianiser son nom. Il choisit Takfarinas comme prénom et Khemisti comme nom.
Son corps est revenu vers cette terre qui l’a tant aimé, et c’est entouré des siens qu’il a été mis en terre. Comme il se doit, les moudjahidates l’ont salué de leurs youyous, alors que les honneurs militaires ont été rendus à minima à ce combattant. Il repose chez lui, à Larbaâ Nat Iraten.
Il a été un cadeau rare, Villar Luc Rafaël, présent pour nous, avec nous. Alors que certaines plumes, par ignorance ou peut-être même par une certaine imbécillité, le qualifient d' »ami de l’Algérie » ; si Ouali Aït Ahmed a cette sentence sans appel : « Nous enterrons un frère de combat. Un frère de combat, c’est plus qu’un frère de lait et plus qu’un frère de sang.« . C’est une fraternité au-delà de tout
Qu’il repose en paix, cet homme qui a tant donné sans jamais rien attendre en retour, qui a choisi l’Algérie comme sa patrie, et qui l’a servie avec tant de passion et de grandeur. Repose en paix, l’Algérien, Villar Luc Rafaël – Takfarinas Khemisti.
Mohand Bakir