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Vivre n’est pas survivre

REGARD

Vivre n’est pas survivre

“Vivre à même l’éternité, c’est vivre au jour le jour.” Cioran

Il y a donc comme un antagonisme entre l’instantané captivant que nous vivons, seconde après seconde, et les moments imperceptibles qui coulent sans que nous nous en rendions compte. La pandémie que nous traversons nous donne encore plus d’acuité pour saisir le quotidien face à la mort qui rôde autour de chacun de nous.

Des êtres chers nous quittent de l’autre côté de la mer sans que nous ayons la possibilité de leur rendre une dernière visite et d’assister à leur départ définitif. J’ai eu moi-même à déplorer, en l’espace de quelques mois, les adieux lointains d’un beau-frère et d’une belle-sœur sans aucun moyen de prendre l’avion pour aller assister à leurs funérailles. En ce moment même, le frère qui me suit se trouve sous oxygène avec des problèmes qui perdurent.

C’est dans ces circonstances, lorsque nous sommes touchés dans notre propre proximité, par la mort, et que nous touchons du doigt le fait que l’instant, dans son illumination, constitue le passe-partout de la perpétuité. Tout se passe dans un moment qui ne se chasse pas lui-même.

Dans ce moment précisément, la mort elle-même est discréditée de son insolence et de sa prétention. Elle se rend compte que sa faux peut être aussi de pacotille. Elle se dit qu’elle n’a, à perte de vue, qu’un champ d’orties à faucher. Tout est dans l’ordre éternel des choses.

Les souvenirs, quant à eux, ne disparaissent pas. Ils s’installent en nous pour longtemps, pour toujours, et colorent les jours du passé. Ils valorisent aussi les jours qui nous sont offerts. Les défunts sont toujours présents, nous retournons vers les beaux jours vécus en leur compagnie, la fragrance de l’herbe coupée depuis peu, le soleil au zénith, le vent qui vous fouette le visage, les vagues qui viennent chatouiller vos pieds, l’aube soudaine qui fait vaciller le paysage avec son soleil frais levé, tous ces ressentis vous font absorber par tous les pores de votre peau combien la présence de ceux que nous aimons est plus forte que la séparation.

Les pépites de nos vies, qui ont été profondément vécues, ne peuvent jamais être absorbées par l’oubli.

J’ai l’âge de savoir intensément que vivre n’est pas survivre. Je fais tout pour ne pas mourir de chagrin alors que j’ai passé toute ma vie à tenter de recueillir des flamboiements de lumière comme une exubérance de pérennité. Faire semblant de vivre, voilà la faute impardonnable, l’offense inexpiable, la souillure irrémissible. La vie est un galop sur les rives d’un aujourd’hui qui ne se chasse pas lui-même.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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