Dimanche 15 avril 2018
Votons Bouteflika !
LES SIMPSON. Mais pourquoi, diable, l’ambassadeur de France en Algérie, a-t-il cru bon de jeter ce pavé dans la mare – vaseuse, on vous le concède – du régime algérien, en révélant la décision de Paris d’annuler les visas de certains responsables de l’État qui auraient « oublié » de régler leurs factures auprès des hôpitaux français ? M. Xavier Driencourt, a trop d’expérience pour ignorer qu’un bon diplomate est un homme qui réfléchit à deux fois avant de ne rien dire. Suggérer que l’État algérien est dirigé par des personnages indélicats est une charge plutôt brutale qui tranche avec l’aménité dont la France a fait preuve, jusqu’ici vis-à-vis des dirigeants algériens. Du reste, le gouvernement, estomaqué, n’a répliqué que mollement par une déclaration aussi inutile qu’indigeste et dans laquelle le porte-parole du ministère des Affaires étrangères s’est dit surpris par « la propension [de l’ambassadeur] à étaler publiquement devant les médias des appréciations inopportunes, peu amènes et donc inacceptables».
Le fonctionnaire algérien se garde toutefois de démentir les faits, se bornant, dans un baragouinage remarquable, à affirmer que «les relations algéro-françaises imposent à tous, surtout à ceux qui en ont la charge dans la quotidienneté, un devoir de responsabilité et une obligation d’objectivité qui n’autorisent ni des commentaires déplacés ni des déclarations se situant en porte à faux avec la volonté clairement affirmée des plus hauts responsables des deux pays». Autrement dit, ce qui est reproché à M. Driencourt, ce n’est pas d’avoir donné une information inexacte mais de l’avoir étalée sur la place publique. Le pouvoir algérien a ceci de particulier qu’il s’offusque facilement des reproches qu’on lui fait pour des délits avérés. Coopération, chez lui, signifie complicité. Pour le pire comme pour le meilleur.
À quel respect pourraient s’attendre des dirigeants qui, plus d’un demi-siècle après l’indépendance, vont se soigner en Europe, fuyant les hôpitaux de leur pays qu’ils auront laissés devenir de véritables mouroirs, et livrant leurs médecins aux troupes policières ?
La sortie de M. Driencourt sonne comme une fin d’un cycle. Paris a-t-il enfin décidé de regarder différemment un régime à la fois grabataire, illégitime, véreux et disqualifié, qu’elle aura soutenu contre l’intérêt de tout un peuple et dont elle aura assuré la promotion avec les résultats que l’on sait. Trop tôt pour le dire. L’ambassadeur français ne pouvait, cependant, pas prendre l’initiative de brouiller un État voisin sans avoir au préalable obtenu l’aval pour le faire. C’est que la respectabilité se mérite.
Et le régime algérien n’a, visiblement, ni le goût ni l’envie ni de revendiquer la considération. Il apparaît comme une Famille, mais une Famille qui tient à la fois des Simpson et de la « famiglia » sicilienne. Une Famille unie autour du magot, ou ce qui en reste : l’argent du pétrole. Il y a le parrain, les capos, les hommes de main, les bannis, et même les pitres ! Une joyeuse bande illégitime, disqualifiée qui a conduit le pays, en 19 ans, à la faillite et à l’exode de ses fils.…
BILAN. À ce propos, on lit de bien remarquables articles sur le bilan économique de Bouteflika, avec plein de chiffres, de références et de termes savants. Le bilan est pourtant d’une clarté remarquable : après 19 ans de règne de Bouteflika, l’Algérie se retrouve dans la position la plus critique qu’elle ait connue depuis l’indépendance. Le futur est largement compromis. Le président algérien n’a pas seulement tourné en rond pendant 19 ans ; il a échoué dans une épreuve décisive : réduire, sinon éliminer la forte dépendance aux hydrocarbures.
On le savait : le pétrole n’était pas éternel et il allait commencer à se raréfier dès 2010. La seule parade était d’industrialiser le pays, d’opter pour une économie de production, développer l’agriculture, assurer une autosuffisance alimentaire, encourager la recherche… en dépit de tous les coups qu’il a reçus, en dépit des années du terrorisme, de la corruption, de la saignée des cadres partis en exil forcé, le pays avait encore les hommes et les femmes qu’il fallait pour redresser la barre. Il aurait fallu, pour cela, un projet, des choix clairs, une ambition algérienne. Bouteflika n’avait rien de tout cela.
En 1999, à sa prise de pouvoir, l’économie algérienne dépendait à 97 pour cent du pétrole et du gaz. Nous étions alors 30 millions d’Algériens. Dix-neuf ans plus tard, en 2018, l’économie algérienne dépend toujours à 97 % du pétrole, mais nous sommes 42 millions d’Algériens qui seront 50 millions à l’horizon 2025, et nous ne savons rien faire d’autre que de vendre du pétrole lequel, entre-temps, a perdu la moitié de sa valeur sur le marché et qui ne tardera pas à s’épuiser.
Comment nourrir, éduquer, vêtir et accompagner 42 millions d’Algériens, bientôt 50 millions, quand le pétrole ne rapporte qu’à peine la moitié des recettes des années 2001-2013 ?
Le propre de la science économique est de n’être réductible ni aux humeurs, ni aux approximations ni aux bavardages, et l’on a beau user de concepts creux et de métaphores, on n’échappera pas à implacable vérité qui s’impose à nous : du point de vue strictement économique, le futur est bel et bien compromis. L’argent du pétrole a été dilapidé dans des dépenses irréfléchies et dans des pratiques coupables et le contexte mondial offre rarement une seconde chance.
Les jours de l’Algérie sont comptés. Sauf miracle, bien entendu. Mais en économie, les miracles se construisent. Chez nous, en dix-neuf ans, il ne s’est rien construit de solide. Sauf, peut-être une Grande mosquée conçue par des Allemands et bâtie par des Chinois, et à chaque prière, du haut du minaret de 300 mètres, une voix viendra nous rappeler que les peuples sont toujours trahis par ceux-là même qui parlent en leur nom.
Pour en finir au plus vite avec l’Algérien, votons Bouteflika au cinquième mandat !