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Vrai et faux moudjahid : anecdotes authentiques

À l’heure où le troisième âge grignote, sans vergogne, vos années de lucidité, il est peut-être temps de livrer quelques témoignages qui subsistent encore dans le bloc mémoire qui survit au assauts du temps qui passe. Je vous livre donc de petits souvenirs concernant un vrai et un faux moudjahid.

Pendant la Révolution, un homme de notre village, que l’on surnommait « Uhrich » (le futé) avait une réputation de « bon et généreux » qui s’étalait de la Grande Kabylie aux moindres recoins de Paris et des grandes villes de France, comme Nancy, sa ville de résidence, dans laquelle il possédait des biens (brasseries et hôtels) multiples. Nancy était devenue, au fil des années 1950 et début des années 1960, le lieu de ralliement des gens du bled qui voulaient tenter une petite chance dans cette « ghorba » (exil) que l’on disait fort accueillante atour d’Uhrich.

Il faut dire que ce Monsieur constituait une sorte de bienfaiteur qui tenait un langage simple aux nouveaux débarqués du bled : « Voici la clé de ta chambre, tu peux dormir et manger chez moi sans te soucier de quoi que ce soit ! tu me rembourseras quand tu auras trouvé du travail ! » disait-il à chaque nouveau arrivé. Des dizaines, des centaines, peut-être bien des milliers de compatriotes (venus des quatre coins d’Algérie, et pas seulement de Kabylie) avaient ainsi bénéficié des largesses de cet homme que l’on associait à un mécène dont le Ciel ne pouvait être que garant de sa bénédiction.

Quand la guerre éclatât, notre ami Uhrich ne se posa pas trop de questions quant à la légitimité du combat des Algériens pour retrouver leur liberté. Le voilà donc engagé dès les premières heures aux côtés de l’OCFLN (Organisation clandestine du FLN). Il se conte que l’une de ses brasseries, située au 40, rue de la Hache à Nancy était devenue en quelques mois le lieu de ralliement de tous les « khaouas » (frères) du FLN et aussi l’endroit où les représentants du combat de terrain venaient récupérer l’argent des quêtes récoltées auprès des concitoyens émigrés.

Il se disait même que parmi ces représentants, un certain Abelaziz Bouteflika serait passé par là pour une petite récolte (là, je parle au conditionnel, car je n’ai aucune preuve de ce que j’avance sinon les récits de gens de bonne foi.

En 1957-1958, notre ami Uhrich est arrêté et condamné pour association de malfaiteurs. La peine prononcée au terme d’un procès expéditif fût une condamnation à mort pure et simple, l’accusation portant sur l’entretien de tout un réseau de malfaiteurs à Nancy dont il était l’un des cerveaux.

En attendant l’exécution de ladite sentence, le voilà ballotté de prison en prison, parmi lesquelles El-Harrach et Berrouaghia. Dans ces geôles, il y rencontra de nombreux « cadres » (anciens et actuels) du FLN et surtout Hocine Aït Ahmed, envers qui il faisait montre d’un respect admiratif, du fait que Monsieur Aït-Ahmed, semble-t-il, s’adonnait à un véritable travail pédagogique auprès des détenus pour leur apprendre aussi bien l’arabe que le français, dans cette promiscuité des cellules où l’on entassait ces valeureux combattants de l’ombre.

Par miracle, notre ami Uhrich échappe à la sentence. Il fût libéré peu avant l’indépendance. Il rejoignit rapidement son quartier général de Nancy où des luttes intestines entre les vrais et les faux membres de l’OCFLN avaient déjà commencé. Je me souviens qu’un jour (de mon regard d’enfant terrorisé par cet emballement de règlement de comptes), arme à la main, il s’était mis en route pour éliminer la personne que l’on désignait comme le traître qui avait dénoncé le réseau de Nancy avant son démantèlement. Les personnes au bar ont néanmoins réussi à le calmer en lui disant : « Ecoutes Dda-Uhrich c’est fini maintenant, il faut savoir pardonner ! » Cette personne (sortie indemne, aux noms de la fraternité et du pardon) se retrouva, on ne sait trop comment, parmi les dirigeants de la cellule FLN de Nancy après 1962.

Un jour de 1965, Uhrich revint à Alger. À son retour, son frère le poussait à réclamer – c’était dans l’air du temps à l’époque – sa part de récompense. Uhrich eut cette réplique, gravée à jamais dans ma mémoire : tu sais à « H’çen » (Ahçen, le prénom de son frère) « Ur liɣara d-amestajar i Ldzayer! » signifiant « l’Algérie ne m’a pas recruté comme ouvrier pour que je me permette de demander une paie ». Pour lui, c’eut été une honte de réclamer quoique ce soit à ce niveau, ça serait se diminuer et ramener tout son combat à quelque chose d’indigne, d’autant qu’il n’était nullement dans le besoin.

Uhrich est mort en 1967, à Nancy, après avoir continué son œuvre de bienfaisance envers les enfants du bled qui continuaient à débarquer, la tête remplie de rêves et d’espoirs de cumuls de fortunes pour rentrer au plus vite avec un front de vainqueurs et de nantis auprès des leurs.

À sa disparition, son frère, qui n’a jamais été mêlé, ni de près ni de loin, à la lutte contre la France se fait établir une carte d’ancien moudjahid (avec des témoins fantoches) pour faire du trafic de ciment avec des gradés de l’armée, en plus d’avoir spolié ses neveux (tous mineurs à l’époque) de tous les biens qu’Uhrich avait laissé en héritage.

Au vu de cette anecdote qui ressemble, à bien des égards, à l’histoire de toute l’Algérie confisquée par des héritiers latéraux, que faire pour réhabiliter l’Histoire et chasser ces charognards qui s’acharnent sur la destinée de nos peuples depuis bien avant 1962 ? D’autant que d’élections en élections les membres de la petite « famille révolutionnaire » nous imposent toujours le moins mauvais de leurs canassons ?

Ne voyez rien d’autre en ce pessimisme affiché de ma part qu’une jauge de ma rage et de mon désespoir de voir ainsi tant d’énergies dispersées comme autant de gouttes de bonnes intentions diluées dans cet océan d’imposture. Surtout que cette imposture semble être bien relayée par ceux qui considèrent qu’Ali Belhadj est le Nelson Mandela Algérien. C’est à se tirer une balle dans la tête pour ne plus accepter l’idée de n’être qu’un simple spectateur impuissant devant tant de bêtises que des chenapans, Kalachnikovs à l’épaule, ont semé et sèment encore sur la terre et les racines de sagesse de nos ancêtres.

Il reste à espérer que les années de sacrifices et d’injustices porteront un jour l’Algérie aux firmaments des espérances de cette majorité écrasante à laquelle on n’a donné guère d’autre choix que celui de jeter l’éponge en attendant de démêler le vrai du faux…

Kacem Madani

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