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XVIIème marche du 14 juin : Certitudes et incertitudes

DISSIDENCE CITOYENNE

XVIIème marche du 14 juin : Certitudes et incertitudes

Alger, le 14 juin 2019. Reportage photos de Zinedine Zebar

Les Algérois descendent nombreux en cette dix-septième manifestation afin de marquer leur présence, réaffirmer leur engagement. Malgré les états d’âme du mercure, ils tiennent à venir en masse par hommage à leurs 128  frères décimés un certain 14 juin 2001, lors du printemps noir.

Beaucoup d’entre eux portent un brassard noir autour du bras afin de marquer leur deuil. Ils scandent Zerhouni assassin, Benflis assassin, qui étaient respectivement premier ministre et ministre de l’intérieur à cette date. Pouvoir assassin, ulash smah ulash (pas de pardon), « noukni Imazighen na3ia dilvatal tafsut taverkanet idjrah oulaoune » (nous les berbères, nous en avons assez de l’arbitraire, le printemps noir nous a blessé). « Kaylie echouhada Kabylie Kabylie » (Kabylie terre de martyrs) est répété sans cesse pour rappeler le tribut payé pour la liberté et la démocratie par la population de toute une région. Un chanteur interprète une chanson en arabe dialectal dans laquelle l’auteur tranquillise une maman en lui disant : ne t’inquiète pas la révolution pacifique est arrivée afin de libérer l’Algérie.

On  chante à tue-tête y en a marre des généraux, y en a marre de ce pouvoir. « Bensalah dégage », « Bedoui dégage », « Gaïd Salah dégage » le long du cortège. Le slogan le plus populaire à l’encontre du chef d’état-major est remanié pour devenir les Algériens : « khawa khawa Gaïd Salah m3a lkhawana » (les Algériens frère frère, Gaïd Salah avec les traîtres), on y remplace « el djeich  (l’armée) par les Algériens comme pour marquer la fin d’un l’idylle utopique entre l’armée et le peuple. « Gaïd Salah 3amil el Imarat » (larbin des émirats) ; « Gaïd Salah ya Baba houa rais el 3isaba » (Gaid Salah ya baba le chef du gang) ; djibou el gaid (présentez à la justice Gaïd Salah).Transition démocratique, pacifique pacifique ; transition obligatoire la hiwar la shiwar (pas de dialogue, pas de concertation) ; « daoula madania machi 3askaria (état civil pas militaire) scandent les marcheurs sans interruption. Par allusion aux arrestations opérées cette semaine on crie : « Echab la yourid masrahia misria » (le peuple ne veut pas d’une pièce de théâtre à l’égyptienne).

 

Le commandant Bouregaa ancien chef militaire de la wilaya 4 pendant la révolution, interrogé durant la marche, raconte avoir répondu lors de son dernier voyage au Liban, aux plus grands médias du Moyen-Orient qui l’ont questionné sur cette curiosité mondiale, l’incroyable et l’étonnante protesta algérienne : c’est là le génie du peuple algérien et il mérite que vous preniez la peine de l’étudier. Pour l’ancien moudjahid, la protesta inquiète les dirigeants du Golfe et arabes par le pacifisme et le civisme des manifestants ainsi que par la qualité, la pertinence et la diversité des slogans. Ils n’en dorment pas. Ils suivent les évènements de plus près que les algériens. Ils attendent de voir le dénouement de la protesta explique le commandant.  

Pour ce qui est des arrestations l’ancien moudjahid adhère totalement à la démarche entamée par les autorités. Pourquoi alors sommes-nous en train de marcher : pour dénoncer vingt ou trente années de gabegie dit-il. Il signale qu’aucun inculpé n’a osé remettre en cause les motifs de sa mise en accusation devant le juge.

 

Alger, des centaines de milliers de manifestants en ce 14 juin 2019. Crédit Photo Zinedine Zebar.

Pour le vieux commandant le slogan unique des marcheurs est l’élimination de la corruption, des corrompus, l’élection libre et démocratique d’un président, et l’approbation d’une constitution. Le slogan principal est la protesta en elle-même. Les manifestants qui n’ont pas de leader et qui n’en auront pas rentreront chez eux après avoir atteint leur objectif et observeront les évènements à travers leur poste de télévision conclut-il.

Ya Ouyahia ya lihoudi hadou d3awi rabi (Ouyahia, le juif ça c’est dieu) crient les Algérois. « Djibouh djibouh djibouh fi charetta » (ramenez le ramenez le dans le fauteuil roulant afin de le juger) en désignant l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, s’entend le long de la procession.

Mazal mazal Khaled Nezzar (il manque,  il manque Khaled Nezzar à juger) répètent les marcheurs au sujet du vieux général janviériste, qui a eu la malheur d’étaler, la semaine passée, à l’aéroport d’Orly, sa virtuosité dans le maniement de la canne. La scène est filmée et largement diffusée sur le web.

FLN dégage, FLN dégage, se répète çà et là

Une adorable petite fille d’une  douze d’années drapée d’une robe traditionnelle, juchée sur un pupitre de fortune très à l’aise, le verbe facile, et entourée d’une foule de fans s’exclame dans un arabe dialectal : soyez unis, on les aura tous, on les jugera et on les emprisonnera tous ; nageurs des sablettes (plage au centre d’Alger), jeunes garçons, jeunes filles rejoignez-nous, ne soyez pas effrayés par la chaleur de l’été : il nous faut rester ensemble et parler d’une seule voix.

La palme du slogan i.e le plus scandé durant cette journée est incontestablement « ya hna ya ntouma maranach habssine » (c’est ou vous, ou nous on ne s’arrêtera pas). Il est suivi de « mada 7 essoulta lacha3b » (article 7 pouvoir au peuple) : les marcheurs rappellent leur détermination, la légitimité de leurs doléances. Ils les redisent sans cesse durant toute la marche, comme pour préciser que la valse des arrestations et emprisonnements dont ils sont témoins ne leur suffit pas, qu’ils n’ont pas encore atteints leurs objectifs.    

La virulence à l’encontre du chef d’état-major, bien qu’omniprésente, s’est sensiblement atténuée. Les marcheurs apprécient le fait qu’une partie de leurs doléances soient entendus et ils agissent en conséquence. Mais ils restent convaincus que le bruit de  leur principale revendication, celle de se réapproprier le droit de choisir leurs dirigeants et d’élire leur président librement, n’a pas encore atteint les cimes du pouvoir.

Ils sont sûrs que la campagne de lutte contre la corruption, propulsée au-devant de la scène médiatique, l’est au détriment du règlement politique de la crise selon leurs désirs et à leur manière,  que leur préoccupation principale est occultée et reléguée au second plan.

Crédit photo : Zinedine Zebar.

Les tenants de la décision ont leur vision de la sortie de crise qui ne colle pas avec celle des marcheurs. Ces derniers en sont convaincus. Comme ils constatent d’avoir accompli de grands pas à travers les marches pacifiques qu’ils ont entamées il y a déjà plus de quatre mois, ils savent aussi qu’ils détiennent le pouvoir de faire fléchir les décideurs à force d’obstination. Ce dont ils doutent par contre, c’est des réelles intentions des décisionnaires,  de leur volonté de restituer la parole au peuple, et de la véritable nature de leurs motivations. C’est le temps des certitudes et des incertitudes.

Auteur
Djalal Larabi

 




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