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XXIVe marche : Le grand virage

DISSIDENCE CITOYENNE

XXIVe marche : Le grand virage

Comme il fallait s’y attendre à grande provocation, plus grande réponse. Malgré une chaleur accablante et une humidité pénétrante les marcheurs se rendent sur leur circuit sans discontinuer durant tout l’après-midi.

Les annonces de la fermeture d’Alger et des arrestations dans la matinée pour « avoir crié Etat civil et pas militaire » ne les découragent pas, bien au contraire. Rien de tel que la bonne vieille déclaration d’un bon vieux général pour revigorer la protesta. Et de quelle façon !

Les manifestants inventent et réinventent sans cesse leurs slogans toujours plus fins, plus pertinents et plus ciblés. Depuis que les banderoles, affiches, pancartes leur sont arrachées ils dirigent toute leur énergie créatrice sur le slogan. Ils en sortent une multitude de nouveaux chaque vendredi.

Aujourd’hui très contrariés par la sortie curieuse et intransigeante du chef d’état-major, eux qui pensaient avoir amorcé le début d’une réponse à leurs doléances, ils viennent remettre les pendules à l’heure. Les principaux préalables que sont la libération des détenus d’opinion, des porteurs de drapeaux amazighs, du commandant Bouragâa, qui s’élève, soit dit en passant, du rang d’ancien moudjahid à celui de martyr vivant, la libération des accès de la capitale, du champ médiatique cèdent la place à un unique préalable : la chute de  Gaid Salah. C’est le mot que les marcheurs utilisent, ils crient : « le peuple veut la chute de Gaïd Salah i.e Echaab yourid iskat Gaid Salah ». Ils répètent aussi : « Donnez-nous Bouregâa et prenez el Gaïd (a3touna bourag3a ouadou el Gaid).

Ils s’adressent toujours comme à une troisième partie, dont ils ressentent bien l’existence mais qu’ils ne perçoivent pas en disant (Gouloulhoum i.e dites-leur). Ils remplacent baloun (football) par elhiwar ce qui devient dites-leur le peuple est lucide, vous ne l’aurez pas avec le dialogue, ce n’est pas un âne il se libèrera quelqu’un soit le prix. 

Après avoir résisté aux appels à la désobéissance civile lancés par des blogueurs, influenceurs, hommes politiques depuis déjà deux ou trois mois ils se rendent à l’évidence. Ils ont tenu à laisser du temps au temps. Ils ont été sages et patients. Ils ont supporté froid, vent, pluie jeûne, chaleur, interpellations, circulation. Ils ont fait ce qu’ils devaient faire et même plus. Ils annoncent à cette troisième partie indéterminée mais ressentie qu’ils entameront leur désobéissance civile dès la fin de l’Aïd en scandent : « Mour el3id mour el3id el3isian el madani » ou  encore : « Rahou djai rahou djai el31sian el madani » (i.e elle arrive, elle arrive la désobéissance civile). C’est eux seul qui donnent le tempo et fixent les échéances. Incroyables ces marcheurs !

Ils refusent les élections en criant : « Oum3a lgaid ouallah manvoté » i.e avec el gaid je jure devant Dieu que je ne voterai pas ou encore pas d’élections avec les gangs. Ils réclament la libération des détenues ainsi que celle du commandant Bouregâa. Ils expriment leur rejet de Karim Younes et des généraux.

Des jeunes d’une vingtaine d’années, n’ayant connu que le système Bouteflika,  entonnent un nouvel air qui résume leur histoire : « Ya elgaid salah 3achrin esna oana n3ani, djebtou bensalah, oubedoui yzaour 3inani, imala rouh, adi hkaitik ourouh, makach hiwar, ountaya matakhla3ni,  sbarna hal 3ouhda 2 3 4, elkhamsa mohal, nahina beldjem3a, klitou elbled ouhadjartou elouled, tetnahaw ga3 oundirou elmada 7 » (i.e gaid Salah je peine depuis 20 ans, vous avez ramené Bensalah et Bedoui trafique au vu et au su de tout le monde, alors pars, prends ton histoire et tire-toi, il n’y a pas de dialogue et tu ne m’impressionnes pas, nous avons patienté durant le deuxième troisième et quatrième mandat, le cinquième nous l’avons enlevé un vendredi, vous avez pillé le pays et poussé à l’immigration les garçons, on vous enlèvera tous et on appliquera l’article 7).

Ce qui devait arriver arriva. Cela aurait pu être évité comme beaucoup d’autres choses. Mais Dieu en a décidé autrement. Les voies du seigneur sont impénétrables. Les marcheurs passent à l’action. La protesta amorce son grand virage.

Auteur
Djalal Larabi

 




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