Site icon Le Matin d'Algérie

Yasmina Khadra à Saïd Sadi : « Revenez, rejoignez votre peuple »

Dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux

Yasmina Khadra à Saïd Sadi : « Revenez, rejoignez votre peuple »

Mohamed Moulessehoul, connu sous le nom d’auteur de Yasmina Khadra, a rendu publique sur son mur Facebook, ce vendredi 5 avril, cette lettre adressée à Saïd Sadi, agressé verbalement lors de la marche populaire à Bejaia ce vendredi 5 avril. Nous la reproduisons intégralement à nos lecteurs.

« J’ai été profondément outré en voyant une poignée d’irresponsables vous conspuer aujourd’hui, pendant la Marche des braves. Ça a toujours été ainsi, dans notre pays: on se trompe grossièrement d’ennemis.

Que vous reproche-t-on au juste ? D’avoir, en de rares moments, cru dans la parole de quelques hypocrites ? Vous y avez cru parce que vous êtes un homme sincère. Tous les êtres sincères se trompent, au début, d’interlocuteurs. Parce qu’ils partent du principe que toute personne est sincère jusqu’à preuve de sa mauvaise foi. Moi aussi, comme vous, j’ai cru et j’ai été floué. Seuls les vilains se méfient de tout le monde. Ils pensent que tout le monde est vilain comme les gens sincères pensent que tout le monde est sincère. Il se trouve que certains, parmi nous, ne voient, dans la carrière militante d’un patriote racé, que ce qui leur convient. Ceux-là sont tristes comme la mort. Ils ont tué toutes les résilience en eux. Nourris aux rumeurs et aux anathèmes, ils ne sauraient distinguer le bon grain de l’ivraie.

Mais la vérité est aux antipodes des raccourcis et de l’étroitesse des esprits. Aujourd’hui, la sainte vérité est dans nos rues. Elle réclame son heure. Ne soyez pas chagrin, docteur Saïd Sadi. Ne soyez pas en colère. Le prophète Issa disait : Si on te déteste, dis-toi que l’on m’a haï avant toi ».

Depuis que le monde est monde, les justes ont toujours été incompris. Tous les malheurs de l’humanité naissent de cette méprise qui encense les ingrats et enfume les généreux.

Ne rentrez pas chez vous, docteur Sadi, ne claquez pas votre porte au nez d’une aube nouvelle. Vous avez été l’un des premiers démocrates à vous insurger contre la répression. Vous avez connu la prison, la mise en quarantaine, mais ni les menaces ni les dangers mortels n’ont réussi à vous faire fléchir d’un cran. Ce n’est pas cette poignée d’hommes outragés qui pourrait vous faire renoncer à votre combat. Vous étiez debout au coeur des bourrasques lorsque tout un peuple avait la tête dans le sable. Vous avez écrit, crié sur les toits jusqu’à extinction de la voix, pour mettre des mots et des paroles sur le silence d’une nation muselée. Vous avez cherché des amis parmi vos propres ennemis juste pour entretenir la flamme de l’espoir encore vive au coeur des opacités. Vous n’avez pas le droit d’être excédé.

Le destin des braves est de subir l’ingratitude et de la considérer comme une grâce. N’est jamais vraiment dépossédé d’une fibre celui que l’on lynche sur la place publique pour ses principes.

Je vous écris à chaud, comme est chaud le sang qui bat à mes tempes, comme est chaud l’enfer des sacrifices. Je vous écris avec mes tripes parce que j’ai peur, comme vous, pour notre patrie qui se soulève magnifiquement sans savoir où elle va. Aucun mouvement n’est à l’abri d’un précipice s’il navigue à l’aveugle, s’il n’a pas de capitaine à la barre et une boussole fiable. Vous êtes, docteur Saïd Sadi, un homme fiable. C’est tout ce dont on a besoin. Un homme fiable est plus crédible qu’un homme parfait. Puisque la perfection n’est point humaine.

Revenez, rejoignez votre peuple, acceptez d’être bousculé par ceux qui se trompent grossièrement d’ennemis et sachez qu’il est des êtres enténébrés qui ne verraient que leur propre noirceur si on venait à étaler sous leurs yeux toutes les splendeurs de la terre. Combien de héros ont été vilipendés par ceux-là même pour qui ils sont morts ? Croyez-vous qu’ils regrettent leur martyre ? Bien sûr que non, puisqu’ils demeureront à jamais meilleurs que leurs survivants.

L’Algérie vacille. Elle est en danger, et le sera tant qu’on n’aura pas compris la nécessité absolue de choisir les personnes capables d’incarner l’espoir de notre peuple.

Car le régime a ses hommes, lui, et il est toujours là à exacerber nos nerfs et à mépriser notre force étêtée. Revenez, docteur Sadi, rassemblez autour de vous les hommes et les femmes en mesure de mettre à genoux le sort et parlez à ce peuple qui crie sa colère mais qui n’entend pas l’appel du salut.

Si nous voulons accéder à la liberté définitive, ouvrons-les yeux sur de nouveaux horizons puisque derrière nous ne subsistent que les ruines de ce que nous n’avons pas su mériter.

Auteur
Yasmina Khadra

 




Quitter la version mobile