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Yennayer : festivités, commémorations et reconnaissance

Drapeau amazigh

« Ylla mag llan alli ylla…Dans tous les lieux de culte, dans les citadelles et les villages de l’Awras, les Imgharren eurent l’oraison en partage. Ils prièrent Yun et les astres à la mémoire d’Aksel dont le corps était introuvable. Nadia Chafik.

Depuis la nuit des temps, Yennayer est certainement le mois de l’année le plus fédérateur des Amazighs habitant de l’Afrique du Nord et du Sahara depuis la nuit. C’est le premier mois de l’année qui est largement célébré à la limite du Sahel, d’Est en Ouest et du Nord au Sud du continent. Par beaucoup d’aspects les saisons rythment une variété de travaux agricoles et pastoraux d’Afrique du Nord et du Sahara. Par convenance c’est le calendrier julien qui a été adapté pour fixer les mois de l’année amazighe. 

A ce titre,  le modèle inséré par le tik-tokeur surnommé  Solina est le plus cité dans les supports médiatiques. Si ce modèle fait l’unanimité dans les représentations graphiques, il n’en demeure pas moins que l’évocation des mythes anciens qui accompagnent cette illustration est une parcellisation du récit mythique des Origines.

Cette question hautement symbolique et archétypale du commencement originel est sujette à caution parce que précisément on ne sait pas grand-chose sur la religion des anciens amazighs. Certes, le soleil et la lune sont communément pour certains peuples anciens, à fortiori pour les anciens amazighs, des divinités.

Cette croyance n’a jamais produit un panthéon formalisé et ce qui a contrario a donné à une pléiade de figures mythico-légendaires dont celle évoquée par Solina le tiktokeur.

A ce stade, il existe un mythe d’origine recueilli par l’ethnologue allemand Léo Frobenius en 1924 lors de son séjour en Kabylie du Djurdjura.

Toutefois, pour la Kabylie, les rites agraires sont bien documentés par le livre de Jean Servier (Traditions et civilisation berbère, les portes de l’année, éditions du Rocher, 1985. On peut ajouter toute une série de travaux sur l’ancienne religion des Berbères (René Basset, Gabriel Camps, Camille Lacoste-Dujardin, etc,).

On note que c’est le syncrétisme qui l’emporte sur toute analyse systématique. Pour preuve les approches des dieux Amon ou Yukus ou du betyle de Tamentit sont trop livresques pour donner un tant soit peu une singularité à la représentation de l’unité divine ou de l’idée de la mort qu’avaient les Berbères.

Si du point de vue légendaire, une variation infinitésimale est représentative de la mentalité maghrébine qui est elle-même interpénétrée par diverses influences culturelles alors la forme de la narration est systématiquement structurante dans le déroulement du récit.

On ne saurait mieux indiquer le style adapté par Nadia Chafik dans son roman, Tihya. La légende des papillons aux ailes déployées, éditions des femmes Antoinette Fouque, Paris, 2021.

Par principe, le style narratif reproduit toutes les modalités du déroulement du récit comme genre littéraire qui a été théorisé par Vladimir Propp dans son livre Morphologie du conte Editions Points-Seuil, Paris, 1973.

Aux veillées traditionnelles des communautés villageoises s’est jointent dans les grands centres urbains et dans la diaspora, des festivités familiales, des concerts organisés du 11 au 14 janvier de chaque année.

Le plus convivial est certainement le repas collectif partagé dans les principales artères des villes algériennes. C’est certainement une résonance médiatique de la reconnaissance officielle de Yennayer comme jour férié par au moins deux Etats du Maghreb.

Ainsi si l’on s’en tient à cette officialisation à demi-teinte par l’Etat, il est notoire de constater que Yennayer n’est pas pleinement consacré par l’administration alors qu’il est largement diffus selon des pratiques et des appellations diverses au sein de la société. Pour ainsi dire, le caractère institutionnel de cette officialisation n’impulse pas trop l’ancestralité de la pratique.

Par manque de volonté ou par carence, elle ne dynamise pas assez la généralisation de l’amazighité et de ses valeurs culturelles.

Pris sous cet angle, les dirigeants algériens se limitent à des déclarations de principes généraux d’une identité composite dans laquelle cette même amazighité est minorée dans l’enseignement.

Ainsi, ces déclarations de principes généraux n’engagent pas trop les déclarants lorsque l’aspect folklorique l’emporte sur tout autre considération. A point nommé, l’évocation du débat vif entre les arabophiles et les berbérophiles sur la statue d’Aksel démontre l’ampleur du désarroi identitaire des Algériens dans leur ensemble même si le président actuel de l’Algérie s’évertue à déclarer qu’il est Amazigh.

Ce point crucial de la contradiction statutaire des figures historiques (Koceila/Okba Ibn Nafa et la Kahéna/Hassan ibn Numan) est un entrejeu identitaire qu’hélas la complémentarité sur lequel elle n’opère pas du tout.

A cet effet, l’opposition radicale de ces symboles rend caduque toute possibilité d’une conciliation entre le résistant autochtone et l’envahisseur étranger. Ainsi, il en est du récit islamique par opposition les temps obscurs de la Jahilia. Certes comme l’instaure le récit de la Kahina des accommodements sont rendus possibles parce que la résistante berbère après avoir combattu farouchement les armées musulmanes ouvre le champ de l’islamisation de la population restée majoritairement attachée aux pratiques magico-religieuses, le naturalisme.

Avant de trouver la mort au combat, elle a été conciliante l’égard des Arabes, dit-on (?). Donc, la question sensible des figures historiques est le point de friction de l’identité maghrébine.

Au fait de la contradiction, la position médiane du chanteur Matoub Lounès°° qui pourtant assumait son algérianité sous la forme d’un coexistence ethnico-historique n’a pas eu les échos escomptés auprès des doctrinaires de l’islam dissolvant. Quoiqu’il en soit, la question identitaire prise sous l’angle ethnico-religieux (Berbères/Arabes) pose le problème de la construction nationale par l’Etat.

A partir du moment où l’arabe comme langue et civilisation englobe tous les archétypes de l’identité algérienne, l’espace réservé à la tamazight se réduit à de fantomatiques symboles d’un passé révolu.

Ces fantomatiques symboles sont incarnés par les insuffisants résidus du passé et au mieux par les festivités folkloriques organisées à chaque Yennayer. Dès lors et pour mieux définir l’identité algérienne comme d’ailleurs celle des autres Etats d’Afrique du Nord, la célébration des figures historiques et la perpétuation de leur nom dans leur langue est un gage de stabilité de ces pays.

Si d’un côté rien ne justifie la bannissement de l’histoire algérienne d’Okba Ibn Nafa (proposition d’un parti algérien) surtout en tant que vaincu par Koceila, il en est de même des contritions, label de l’eschatologie de l’islam politique. Il vaut mieux raconter inlassablement, ce qui suit comme le fait Nadia Chafik à la page 23 : « Si elle reprenait la légende de Tihya, la farouche guerrière des Awras qui, autrefois, il y a très longtemps, parlait sa langue, avait tenu tête aux hommes, de redoutables califes d’Orient et de grands chefs amazighs. Tous ne la connaissent pas.

Certains étaient trop petits quand elle l’avait racontée. Ceux qui la connaissent y trouveront quand même le plaisir car elle la remaniera, la racontera autrement, leur épargnera l’ennui. Elle veillera toutefois à ce que Tihya reste Tihya. Son héroïne ne changera pas. »

Pour accompagner l’infinie itération du message mythico-légendaire, la poésie qui suit du chanteur Lounis Ait Menguellet d’après Amar Abba éclaire un peu plus l’atmosphère du merveilleux… où sont réunis « tous les éléments naturels, l’eau de pluie, le feu de la cheminée, la terre arrosée, la rose qui s’épanouit, l’arc-en-ciel qui l’embellit et l’éclair qui apporte un surcroit de lumière. » p.35.

Ad tas tislit b-bwenzar                       Puis l’arc-en-ciel viendra

A s tefk i lwerd lfuda-s                      Offrir son écharpe à la rose

Lebraq ad yewwet                              l’éclair luira tel un fanal

Ad iyi d ibeggen                              Pour me révéler sa beauté

lehw’isd iheggun azar                         La pluie qui ravive sa racine

D nek a t id yazlen fella-s                   C’est moi qui te l’enverrai de la là-haut

A tin iwumi zzin lenwar                       Beauté entourée de fleurs

A m ughaley d aeessas                         Je serai tin gardien.  Amar Abba,

Inig. Voyage dans l’œuvre poétique de Lounis Ait Menguellet, éditions Frantz Fanon, Boumerdès, 2021. 

    https://lematindalgerie.com/yennayer-2975-3000-ans-didentite-amazighe-vous-observent/               

Addenda:

° Nous avons essayé lors de notre escapade en Haute Kabylie en 2011, de retrouver les traces du passage de l’ethnologue allemand. En vain.

°° Quant à la musique, les chansons d’Idir ont fait connaître la culture kabyle à beaucoup plus de monde que les débats stériles des partis politiques d’obédience berbériste. Au même titre que le répertoire traditionnel de la chanson algérienne que Khaled a plus au moins popularisé auprès d’un large public certaines morceaux du répertoire de la chanson populaire « arabophone » (le rai), le concours de chanteur kabyle Aït Menguellet participe de concert à une meilleure connaissance de l’amazighité. C’est peut-être la question que l’on se pose sous la forme interrogative à Tassadit Yacine (Ait Menguellet chante, éditions La Découvert/Awal, Paris, 1989) pour savoir pour qui il chante ? Au risque de sa vie, l’incisif Matoub Lounès incarnant la figure de l’éternel rebelle à l’image de Jughurta, s’inscrit dans une logique de la grande épopée narrant les hauts faits révolutionnaires.

Les autres Arts, cinéma, théâtre, gande dessinée, etc.,

A propos des figures historiques, la bande dessinée a esquissé un portrait de qualité moyenne du supplicié de Rome. Quant à la production cinématographique consacrée aux autres figures historiques (Hannibal, Massinissa, la Kahéna et tant d’autres, elle est de qualité médiocre. Même Saint Augustin, le grand maitre de la christologie est dépeint sous l’influence d’un occidentalisme de bon aloi. 

Le dernier film Gladiator II n’échappe pas du tout à cette même logique mais cette fois-ci, c’est celle de Rome, celle des péplums Le ressort du théâtre implique une spéculation historique sur Hierbas et Elissa, Sophonisbe et les deux rois numides (Syphax et Massinissa), au détriment des faits réels.

Faute d’une médiatisation, il reste que beaucoup de personnages sont inconnus du public. Les Amazighs sont presque tous absents de leur propre histoire.

Fatah Hamitouche

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