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Yennayer : histoire, culture, citoyenneté et défis

Yennayer

C’est à Massinissa, roi Berbère (238-148 avant J-C) que l’on doit la fondation du premier royaume berbère vers 117 avant J-C. Grand stratège militaire, Massinissa réussit à unifier tous les territoires de la Numidie pour y fonder un vaste royaume avec des attributs d’un Etat moderne : une capitale, Cirta (actuelle Constantine) des frontières, une armée et frappa monnaie.

D’où vient Yennayer, 1er jour de l’an amazigh ?

Une histoire, un marqueur identitaire. Janvier (Janus) était le dieu du soleil dans la Rome antique sous le règne de Constantin le Grand (272-337). Il est représenté par le symbole à l’effigie du dieu Janus dans un cercle solaire aux deux visages : l’un regardant vers le passé et l’autre vers le futur.

Yennayer serait ainsi dérivé du mot latin laniarus (premier jour) du calendrier des seuils, (Amnar). On parlait alors de calendes de janvier, Tabburt Usseggas (porte de l’année). Il correspond au 12 janvier du calendrier grégorien en décalage de 12 jours par rapport au calendrier Julien.

Ce calendrier est d’origine agraire remontant vraisemblablement au néolithique (10 000 avant J.-C à 2200 avant J.-C), apparition de l’agriculture qui va bousculer les modes de vie des populations vivant jusqu’ici de chasse.

Chachnaq 1er : C’est au sein du cercle de l’Académie Berbère à Paris dans les années mille neuf cent quatre-vingt, que des militants amazighs vont décider de faire démarrer l’ère amazighe en 950 avant J-C, coïncidant avec l’arrivée au pouvoir dans l’Egypte antique du roi berbère Sheshonq 1er (Chachnaq) en Berbère, Shishak (ק ַׁיש ִׁש (dans la Bible hébraïque.

Ce dernier s’empara du pouvoir, réunifia le royaume et monta sur le trône. Il fondera la XXII dynastie des pharaons (945-715 avant J-C), succédant à Psousennès II. Dans les Aurès, de nos jours encore, Yennayer est désigné comme le jour du pharaon d’où l’expression berbère « Ass n’ferraûn ».

Yennayer célèbre le retour de la lumière (les journées se rallongent), et le début de l’année. C’est le solstice d’hiver qui marque le renouveau de la nature et la fête animiste du soleil. C’est le mythe antique du « soleil invaincu » à Rome sous le règne de l’empereur Aurélien (270-275 avant J-.C).

Pour prolonger vos lectures sur l’origine de Yennayer et ses rituels notamment en Kabylie, nous vous recommandons les ouvrages : « Yennayer l’identité recouvrée » de Rachid Oulbsir Ed Afriwen-2019 et « Yennayer Amager n’tefsut rituels dans la tradition Kabylo-Amazigh- de Madjid Boumekla : Ed Amazon

De l’espace privé de semi clandestinité à la consécration institutionnelle

Il est loin le temps où Yennayer était fêté dans la clandestinité et dans des espaces clos, car tantôt assimilé à du folklore, ou à des croyantes païennes archaïques, bannies par le discours officiel s’adossant à un islam rigoriste, hégémonique et totalitaire.

Yennayer, comme l’emblème amazigh seront interdits des décennies durant en Afrique du Nord. Face à une véritable machine de guerre de propagande, les Amazigh ont su opposer un formidable travail de mémoire qui a permis de résister aux diverses tentatives d’asservissement et d’effacement.

Des décennies de combat pacifique

Rendons aux hommages à ces générations de militants-tes, qui ont tant souffert de la répression, de l’ostracisme et des humiliations. Le combat pacifique de longue haleine qui a été celui de ces hommes et femmes qui, souvent dans la solitude et l’anonymat ont affronté les dures épreuves face aux pouvoirs politiques et religieux tacitement complices, qui n’avaient qu’un objectif : effacer de la mémoire une identité trois fois millénaire et imposer un récit, une histoire, une identité de substitution biaisées et frelatées.

La mémoire contre l’oubli

Du mouvement national au printemps berbère, à la tragédie de 2001 où 123 jeunes Kabyles ont été fauchés par les gendarmes et des centaines de blessés, de mutilés ; pour avoir revendiqué leur identité et manifesté leur désir de vivre libres.

Au Maroc, les militants ont aussi arraché de haute lutte cette reconnaissance, et en Tunisie et en Libye des amazighs revendiquent aussi leur histoire et leur identité. Le long travail de production, de réflexion, d’engagement et de sacrifices des militants tes intergénérationnel a fini par payer, le nouvel an amazigh s’est désormais imposé comme une date charnière et un repère identitaire dans l’histoire des Imazighens.

Par ce long combat, les Amazigh ont enfin le sentiment d’exister et ont cessé d’être les exilés de leur histoire et les orphelins de leur culture.

D’Alger en Kabylie, de Khenchela à Tlemcen, de Tanger à Tunis, de Bamako à Nouakchott aux iles Canaries, en Europe, Canada aux USA et même en Chine, Yennayer est vécu comme une renaissance du monde amazigh, une étoile qui scintille.

En Algérie en 2018, au Maroc en 2023, et progressivement en Lybie, Yennayer sera consacré comme journée fériée et célébrée avec faste dans toutes les villes et contrées de l’Afrique du Nord et sahélienne.

Aux sources d’une tradition millénaire

Le nouvel an amazigh c’est à la fois le début de l’année, avec les vœux d’une vie féconde, d’abondance, de paix, de fraternité, de partage, éloignant les périls de la famine, des conflits. Mais Yennayer c’est aussi l’emblème Amazigh qui rayonne sur les festivités, c’est aussi une histoire, célébrée comme autant d’attachements à des traditions, culinaires artistiques, vestimentaires aussi diverses que plurielles à la mesure de l’immense espace géographique du monde Amazigh.

Autour d’un repas traditionnel, familles, amis, militants, associatifs, invités, se retrouvent, fiers se réapproprier par le rituel, les chants, les danses, toute la diversité d’un riche patrimoine qui témoignent de la vitalité et de la résilience d’une culture et d’une histoire séculaire.

Yennayer le lien à la terre, à l’environnement

Yennayer rime avec fertilité, prospérité pour éloigner les périls de la sécheresse et de la famine. Fécondité, profusion, prospérité vont alors constituer les trois sésames dans l’imaginaire berbère, célébrés de nos jours encore par un grand repas traditionnel (couscous aux sept légumes) et le vœu d’une année de production et d’abondance.

Yennayer c’est aussi le lien à la nature et à la terre nourricière et de l’impératif de leur préservation. Pourtant n’ayant pas fréquenté l’école, nos anciens avaient le bon sens paysan et ont compris que maintenir une relation durable avec la nature et l’environnement, les respecter est le meilleur garant de la survie de l’humanité. La tradition se perpétue encore de nos jours et les femmes emmènent les enfants dans les champs pour une immersion dans la nature.

Yennayer : aux sources des valeurs de démocratie et de solidarité

Au-delà des symboliques traditionnelles, Yennayer est aussi un moment de rappeler les valeurs de solidarité et le sens du bien commun « lmecmel », qui caractérisent la société Amazigh. Yennayer c’est aussi cette emprunte citoyenne qui, puisant dans ce fond commun de l’humanité nous invitent à en partager les exigences éthiques, les principes et les règles d’un mieux vivre ensemble dans le respect et l’altérité.

Nos valeurs, de liberté, de citoyenneté, de solidarité, notre éthique, seront demain les meilleurs remparts contre toute forme de domination, de soumission et d’arbitraire mais aussi de vigilance devant les périls et les menaces de déflagration de notre monde face aux appétits des uns et l’instinct de domination des autres.

Aujourd’hui Yennayer fête nationale et officielle tend à s’internationaliser, a triomphé de ses détracteurs et de ses pourfendeurs. Belle revanche de l’histoire-prouvant que les causes justes finissent toujours par triompher- le tout est d’y croire et de ne pas s’épargner les combats salutaires. Même s’il reste encore des résidus d’hostilité, le sillon est tracé et ce n’est qu’un combat d’arrière-garde de ceux qui en réalité, ont perdu la bataille de la culture et des idées et s’accrochent à des fantasmes et se réfugient dans le dogme et le sacré.

Tassadit Yacine et Pierre Bourdieu avaient raison de rappeler que le titanesque travail de Mouloud Mammeri, et de tant d’autres avant et après lui, en semant les graines de l’espoir, ont permis aux Amazigh de relever la tête, de sortir du syndrome de la fatalité et de la soumission.

Ils se réapproprient aujourd’hui fièrement leur culture, leur histoire, leur identité, articulées aux valeurs intrinsèques de démocratie, de liberté, d’égalité hommes femmes, de laïcité, d’altérité, de solidarité qui nous prédisposent à intégrer les sociétés modernes et à œuvrer à un monde meilleur.

Yennayer : citoyenneté et universalité

Célébrons Yennayer, partageons ces moments dans la joie et le bonheur avec les amazigh et nos concitoyens du monde. Mais restons vigilants car nos adversaires n’ont pas renoncés- Il faut méditer sur la symbolique de la déesse athénienne veillant sur la liberté- Elle a une cuirasse grecque mais le glaive romain pour la défendre.

Oui la culture et l’identité ne sont pas des remparts, des clôtures figées, sclérosées. Les cultures ne sont pas dans la conflictualité et l’hostilité. Elles ont au contraire vocation à se nourrir les unes des autres, à construire des ponts et des passerelles. Ce sont ces apports et ces brassages qui ont tissé des liens et fécondé des traditions d’échanges, d’amitié, de générosité et de solidarité.

Dès lors, célébrer sa culture, se rappeler d’où on vient ; en d’autres termes, cette quête de soi n’est pas antinomique avec la quête du monde commun et de la condition humaine, rappelait déjà Spinoza il y’a près de quatre siècles. Et à Hannah Arendt de préciser que c’est avec les autres que l’on construit un monde libre, plus juste, plus humain et chacun amène sa pierre à l’édifice commun.

Dans le fracas de l’histoire, les Amazighs en se frottant aux grecs, aux pharaons, aux carthaginois, aux latins, aux romains, aux byzantins, ont intégré les formes de progrès de modernité, d’universalité et ils savent tout le sens que requièrent les mots liberté, démocratie, égalité.

« Notre statut d’éternels rebelles a fait de nous, les amants fidèles de la liberté », rappelait Mouloud Mammeri. Célébrons Yennayer dans la joie, la convivialité et le partage avec nos proches, nos amis et nos concitoyens partout dans le monde, préservons ce formidable legs qui, au-delà des rituels nous impose aussi des défis.

Car si Yennayer est le moment de nous rappeler notre histoire, notre culture, notre identité, des valeurs, n’en faisons pas un totem, une clôture ou un refuge, mais un palier d’élan, un tremplin, pour esquisser les contours d’un projet commun pour tracer des chemins d’avenir, d’un nouvel horizon de progrès, de liberté et de démocratie. « C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source », disait Jean Jaurès.

Mohamed Kemmar

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