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Zedek Mouloud : le virtuose des mots

Zedek Mouloud

Le verbe en bandoulière, Zedek Mouloud arpente les chemins escarpés de la poésie pour dépeindre la vie dans toutes ses nuances. Pour ses 40 ans de carrière, il fera vibrer le Zénith de Paris samedi 18 mai aux rythmes de « Serreh-as ay adu, Itij n smayem, D abrid kan, Iffuk uservek tburth, I tura amek… » autant de délices qui seront reprises en communion par ses admirateurs le temps d’une parenthèse enchantée.

Le talent et la modestie, dit-on, sont deux prouesses difficilement conciliables, notamment dans une culture comme la nôtre où le vrai poète reste dans l’ombre tandis que l’amuseur claironne à gorge chaude son égo.

Pourtant, Zedek Mouloud parvient à allier ces deux vertus avec un brin de subtilité dont lui seul a le secret. C’est assurément le propre même des grands artistes.

En troubadour discret, il sillonne depuis une quarantaine d’années les contrées pour semer sa poésie et partager sa sagesse à travers des textes tissés comme le ferait un artisan passionné par son métier. D’aucuns parlent d’orfèvrerie tant son travail est singulier par sa qualité, son originalité et la portée du message transmis.   

Zedek Mouloud est de cette graine pourvoyeuse d’espoir, de projets. Avec lui, le rêve est permis, voire palpable car il en esquisse les contours, et en montre la voie en ces temps de déliquescence morale, intellectuelle, identitaire…  

En observateur avisé, il porte un regard éclairé, parfois acéré, sur les soubresauts de la vie, les soupirs de la société et les contrariétés de ses pairs. Il plaide pour la sauvegarde des valeurs kabyles d’antan, loin des archaïsmes d’une certaine culture hirsute et enturbannée.

Il chante la femme à la fois héritière des traditions, pilier de la famille kabyle et matrice de la langue en mouvement. Qu’elle soit mère, sœur, compagne, Il l’érige au-delà de sa beauté et de son instruction en symbole de résilience, de bravoure et d’intégrité. « A tid yifen akk tilawin, Acḥal i tcebḥemt, A tizzayriyin, Ur ḥebsemt di tikliwin, Yiwen n wass ad tawḍemt, A yemma, a yelli, A weltma tetlɣaḍemt, Beggsemt i tlelli, D tuksa ad tt-id-teksemt, Ttraǧun nutni, Asebbi, aṛebbi, ibibbi, D taɣawsa ad teqlemt ».(1)

À l’instar d’une poignée d’artistes reconnus dans le paysage musical kabyle, Zedek Mouloud insuffle une brise de fraîcheur à la chanson à textes qui, il faut l’admettre, fait du surplace et bégaie notamment depuis la disparition de l’inoubliable Matoub, véritable rempart contre la médiocrité.  

Le fils nath Khalfoun se saisit naturellement et avec ferme conviction du flambeau de l’engagement légué par Matoub Lounes sur des questions de société et d’identité.

En auteur hors pair, pourvu d’une inspiration intarissable, il écrit également sur l’amour et son amertume, sur la liberté de conscience et d’expression, sur l’exil et l’écologie mais aussi sur la désunion, la trahison, la compromission…       

Il étrille, par exemple, dans «Lemmer vɣiɣ» un pamphlet ciselé, l’opportunisme de certaines brebis galeuses corruptibles à souhait par les sirènes du pouvoir ou les chimères d’une religion empreinte d’obscurantisme. L’auteur de « I tura amek » martèle à travers sa poésie la nécessité de poursuivre la lutte en exhortant ses compatriotes à se recentrer sur l’essentiel et à préserver leur patrimoine identitaire.  

« Ur ttaɣeɣ tijɛal, Ur znuzuɣ targit, Tin umi rriɣ azal, Isem-is taqbaylit, A vav n wawal, Awal-ik wezznit, A vav n wakal, D ayla-k issin-it »(2)

Il dresse dans « Lihala n tmurt » un tableau peu reluisant, voire sombre de la situation environnementale prévalant ces dernières années en Kabylie. « Ay iculliḍen yettafgen Am yigerfiwen, Yal mi ara as-yehwu i waḍu, Ma tursaḍ d wafrasen Ččan ixxamen, Tuɣal tmurt agudu»(3).

Le barde d’Ath Dwala exhume par gerbes des expressions en « errance », ou momentanément marginalisées et les remet au goût du jour en leur donnant un nouvel élan dans la conscience collective et notamment auprès des jeunes générations, garantes de la survie de Taqvaylit de demain.

« D imezwura i d-yeqqaren, Ur ttamen lǧid n yilisen, Deg wawal-nsen, Ur zgilen ara,   Ar d-tekkeḍ iɣeẓran yis-sen, Alamma uraden, Ula akken wissen,  Ur ttamen ara, Ad ɛeddin deg yiqerdacen, D ulman ad jebden, Alamma zḍan-ten, Ara sen-tgeḍ ssuma. » (4).

Comme il aime à le répéter, « Ccna-w mačči d taḥanut, Ssali tṣubbeḍ di ssuma, Nekk ccna-w d tamacahut »(5), il affectionne en effet le travail bien accompli en donnant libre cours à ses pensées en quête du bon mot, de la formule bien tournée et des sujets majeurs avant de proposer en toute humilité et à une fréquence quasi régulière  une œuvre digne de l’estime que lui voue la Kabylie.  

À défaut de célébrer cet anniversaire des 40 ans de carrière en Kabylie, Zedek Mouloud retrouvera les siens à la faveur d’un concert exceptionnel au Zénith, ouvert pour rappel en 1984, il y a donc 40 ans. Il y communiera comme à l’accoutumée avec ses fans pour combler et atténuer un tant soit peu « Icerrig » (6) des deux rives et de la société.

Farid Bouhanik

Notes

(1) A tizzayriyin, album Tassa inu, sorti en 1997

(2) Lemmer vɣiɣ, album Asderfef, sorti en 2014

(3) Lihala n tmurt, album Lihala n tmurt  sorti en 2008

(4) Ay ahbib, album I zureɣ deg derwicen, sorti en 1989

(5) Zaylali, album D aderwic, sorti en 2003

(6) Icerrig, titre de son dernier album qui sortira le jour du spectacle, 18 mai 2024.

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