Jeudi 10 décembre 2020
11 décembre 1960 au 11 décembre 2020 : que s’est-il passé ?
Comme il l’a toujours fait dans sa longue histoire, un jour prochain, le peuple algérien se remettra à marcher pour son destin.
« Qu’une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu’elle ne travaille pas elle-même à sa ruine » Etienne de La Boétie
C’est à partir du 10 décembre 1960, et surtout du onze, que des soulèvements populaires éclatent à Alger puis dans plusieurs autres villes d’Algérie afin de soutenir le GPRA et le FLN dans le conflit qui les opposaient à De Gaulle quant à la façon de mener les négociations.
Ces mouvements populaires qui firent plus de 120 morts dont 112 Algériens changèrent le cours de la révolution, confortèrent la position des leaders de la révolution, du gouvernement provisoire, du parti en ce qui concerne leur représentativité. Ce qui fera dire à Krim Belkacem, alors ministre des Affaires étrangères : il était temps que le cri de Belcourt retentisse à Manhattan.
Ces manifestations confirmèrent le caractère irréversible de la révolution et la détermination du peuple quant à ses profondes aspirations pour l’indépendance. Ce qui mit fin à la « troisième voie » prônée par de Gaulle.
Grâce au soulèvement populaire de décembre, l’année 1960 gagna le statut d’année pivot. Près de 18 mois d’attente et de souffrances ont été encore endurées par le peuple algérien, en quête de liberté après ces terribles événements. En 1962, une autre année charnière, quand les Algériens croyant s’être élevés au rang de citoyens s’apprêtaient à jouir de leur liberté, ils assistèrent médusés au massacre, d’Algériens par d’autres Algériens, provoqués par des hordes venant d’Oujda en quête de pouvoir.
Après cette année-là, gravée dans l’histoire contemporaine de l’Algérie, la vie des algériens, sous pratiquement tous les aspects, a été ponctuée entre années pivots et attentisme. Jusqu’en 1965, après avoir subi en 1963 la guerre des sables et assisté à l’étouffement dans l’œuf d’une guerre fratricide, ils ont sagement suspendu le temps avec l’espoir de commencer à vivre un jour.
Puis survint l’année du redressement révolutionnaire dont ils n’ont pas saisi sur le moment toutes les subtilités. Toujours à la quête d’un bonheur qui ne se montrait pas, jusqu’en 1979, ils ont encore une fois patienté, en assistant perplexes à l’éradication de tous leurs héros, survivants de la terrible guerre, attendant sagement d’être menés, sans conviction, vers une illusion de développement qui ne pointa jamais son nez.
Lassés de surseoir à la décision d’agir, une partie d’entre eux entreprit, en 1980, de recouvrer son identité. Le résultat se solda par plusieurs mois de quasi-sédition de toute une région et des arrestations massives.
De guerre lasse, ils se résignèrent à bronzer sur les magnifiques plages de la côte qu’ils avaient si chèrement libérées, et, toujours, attendre.
En 1988, ils se réveillèrent à nouveau étourdis par le soleil et exigèrent plus de libertés. Comme le dit si bien Einstein : la folie, c’est se comporter de la même manière et attendre un résultat différent. Il s’en suivit des centaines de morts et des milliers de blessés.
Ce sursaut leur permit quand même d’humer la liberté et ses dangers, toujours en attendant de la vivre, et ce jusqu’en 1992.
À partir de cette date, les choses se compliquèrent, devinrent plus violentes. On tua tous les intelligents. On mit à mort ceux qui avaient la capacité de penser. Victimes d’une guerre, apparemment interne, qui fit plus de 200.000 morts, de milliers de disparus et de blessés, ils s’abritèrent, pendant les dix longues années qui s’en suivirent en attendant la fin du cauchemar.
Puis en 1999, apparut un homme qui fit ce qu’il fallait pour être pris pour un messie. Il leur promit l’Eden sur leur terre meurtrie. Ils le crurent et temporisèrent. Ils virent le monde défiler chez eux, faire fortune et reprendre la route. À force de les faire languir au soleil sans ses plages devenues impraticables entre temps, les plus jeunes s’impatientèrent et décidèrent de se risquer à l’aide de chaloupes vers des terres plus clémentes. Beaucoup d’entre eux moururent en mer.
Fatigué et malade le messie disparut pratiquement dès 2013. Pris de panique, ne sachant que faire, ils s’assirent sur le quai de la gare en priant de voir un train passer. Un convoi chargé de leurs richesses, conduit par le frère du messie et son garde, plein à craquer, traversa la gare à toute allure sans siffler. Ils eurent à peine le temps de l’apercevoir qu’il emportait leur magot et leur espoir d’une vie meilleure.
En février 2019 épuisés d’attendre, ils prirent la ferme résolution d’agir, de prendre leur destin en main, de ne plus se laisser faire, de se battre et de combattre pour gagner leur liberté et pouvoir enfin vivre. Ils se mirent à marcher par milliers, par millions sans s’arrêter. Ils chantaient, ils dansaient, en pensant avoir atteint leur objectif. Mais le garde survécut et était bien décidé à les empêcher d’atteindre leurs desseins. À l’issue d’un combat ininterrompue durant plusieurs mois avec ce dernier, qui, il faut le reconnaître, ne manquait pas de pro activité, ils perdirent l’avantage et furent en décembre 2019 sommés de se tenir tranquilles.
Sans désespérer ils persistèrent et se remirent en marche jusqu’à l’arrivée du Covid-19 qui finirait, redoutaient-ils, de les mettre à terre presque définitivement.
Mais c’était compter sans la justice immanente. Le garde mourut, son poulain désigné fut victime de ce même coronavirus à son tour. Il est semble-t-il en ce mois de décembre 2020 dans l’incapacité d’assurer ses fonctions.
Que s’était-il donc passé durant ces soixante ans, du 11 décembre 1960 au 11 décembre 2020, durant lesquels la terre a cessé de produire au point de ne plus couvrir leurs besoins, la richesse qui se compte en milliards de milliards a été dilapidée, l’éducation saccagée, la médecine réduite à néant, la justice asservie ? Qu’est-ce qui a donc fait qu’un peuple qui risqua sa vie, il y a 60 ans, pour soutenir ses leaders soit prêt à risquer sa liberté pour les chasser aujourd’hui ?
Les Algériens durant leur dernier périple pédestre ont eu le temps de réfléchir et de faire le diagnostic de leurs échecs redondants : la cause principale de leurs maux est la carence en liberté. Celle de dire, de voir, d’écouter, de penser, d’aimer, de danser, d’entreprendre et enfin de décider.
En ce décembre 2020 certaines forces sont tentées de les faire encore patienter, de les plonger encore dans le désespoir, mais Ils ne veulent plus attendre, se morfondre, ils comprennent que leur survie est directement liée à leur capacité d’agir, et surtout, de construire à nouveau.