Dimanche 1 mars 2020
49-3 : le Président Macron sonne la retraite de l’opposition
Le Premier ministre français, Edouard Philippe, après accord du conseil des ministres comme l’exige la constitution, vient de brandir son article 49-3 qui sonne le glas aux velléités de l’opposition à poursuivre leur blocage du vote de la loi sur la réforme de la retraite. Souvent utilisée dans la cinquième république, l’arme du 49-3 est fatale à l’opposition car ses chances de ripostes prévues dans la constitution sont quasiment nulles.
Depuis trois ans, à partir de la réforme du code du travail, la fronde grogne jusqu’à avoir atteint son paroxysme avec les gilets jaunes et les fortes grèves contre l’actuelle réforme de la retraite, assez majoritairement contestée.
Le pouvoir de la rue n’a pu en venir à bout. Il s’est essoufflé comme il était prévisible qu’il le soit. Et d’ailleurs on peut se poser la question sur la légitimité de la rue lorsque la politique annoncée par le Président lors de sa campagne électorale fut validée par le suffrage universel. Et cela quelles que soient les réserves sur le taux d’abstention et le vote repoussoir pour bloquer l’accession du Front National à la présidence (actuellement Renouveau National).
C’est donc à l’assemblée qu’il revenait de prendre en charge le débat final. La fronde de la rue a laissé place à la fronde des députés, particulièrement de ceux de la France insoumise.
Des milliers d’amendements ont été déposés ce qui rendait la situation impossible pour en arriver à la fin car tout amendement doit être discuté et voté. Tout a été fait pour bloquer l’avancée du texte par des amendements qui allaient depuis la remise en cause d’une virgule ou d’un point jusqu’aux propositions les plus farfelues.
La certitude était déja dans toutes les bouches lorsque la nouvelle tomba ce samedi. Elle est d’autant plus humiliante qu’elle fait suite à un conseil des ministres exceptionnel dont on pensait que le sujet était la crise du coronavirus. L’humiliation a été ressentie encore plus fortement par des députés qui ont été, pour la plupart, mis au courant par les médias alors qu’ils étaient dans leurs circonscriptions, ce qui est habituel pour un week-end.
Le Premier ministre a certainement préféré la surprise et le choix d’un jour où l’hémicycle est peu chargé pour éviter les images d’une colère massive des députés. Mais de quoi s’agit-il donc ?
Que dit l’article 49-3 ?
Il est tellement célèbre qu’on prononce toujours à son égard la formulation « le 49-3 » comme une vielle connaissance mais surtout comme l’épée de Damoclès perpétuellement suspendue sur la tête des députés de l’opposition.
Le voici reproduit uniquement dans les parties les plus explicatives. Les autres sont tout aussi importantes mais relèvent des conditions d’application, plus techniques.
« Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale…/…
…/… Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Autrement dit le texte est adopté sans vote, il appartient aux députés de proposer et de voter une motion de censure qui, si elle aboutit, fait tomber le gouvernement et donc son texte n’est plus valide jusqu’à une nouvelle décision de l’exécutif suivant. Nul doute que ce dernier réfléchirait avant de repartir sur les mêmes bases.
Refuser le droit de vote aux parlementaires est l’acte le plus grave dans une démocratie raison pour laquelle la constitution prévoit un équilibre par la riposte de la motion de censure.
Il faut bien se convaincre que dans la Vème république les motions de censure n’ont pratiquement aucune chance d’aboutir. Sur les très nombreuses proposées, une seule a pu renverser le gouvernement, au début de la Vème république. Pourquoi ?
La suprématie de l’exécutif sur le législatif dans la Ve république
Pour comprendre ce déséquilibre il faut se référer à ce que sont les institutions de la cinquième république et, surtout, à l’histoire qui les fondent. C’est le général De Gaulle qui a proposé la constitution en 1958 et fait valider le texte par référendum.
Ce qu’il faut savoir c’est que la IIIe république puis la IVe d’après-guerre se sont illustrées par une instabilité chronique qui faisait chuter les gouvernements dans un délai qui avait fini par tourner au ridicule, certains ne tenaient qu’à peine quelques jours.
Le général De Gaulle avait d’ailleurs, bien avant son second retour aux affaires politiques, théorisé ce qui serait une constitution plus stable et qui donnerait à l’exécutif un pouvoir suffisant pour mener à bien les actions de la France. Ce fut dans un célèbre discours à Bayeux en 1946.
Il est vrai que les instabilités gouvernementales, si elles n’étaient pas la cause des troubles qui ont mené à la décolonisation et à l’humiliation de la grande puissance militaire française, n’ont vraiment pas aidé à arranger la situation.
Lors de son retour en 1958, le général de Gaulle qui avait été appelé au secours de la république, avait posé ses conditions, soit en premier objectif la modification de la constitution, conforme au discours de Bayeux qui donnait la primauté au pouvoir exécutif.
Dans la première version le général n’avait pas osé aller jusqu’au régime présidentiel car le parlementarisme était incrusté dans l’histoire constitutionnelle française. Mais en 1962, profitant de sa puissance politique, il avait demandé par référendum une réforme faisant du président de la république la « clé de voûte » du système. En réalité, un costume sur mesure pour Charles de Gaulle.
Dès lors cette constitution n’a jamais pu être suffisamment réformée pour remettre un équilibre au profit des parlementaires. Et nous en revenons à notre article 49-3 qui en est l’une des illustrations les plus significatives.
Les raisons de la quasi-certitude de l’échec d’une motion de censure
Cela revient à poser la question : Pourquoi il n’y a que très peu de chances que la majorité se fissure et fasse basculer le vote ?
La première raison est assez générale à toutes les époques, les députés qui prendraient cette décision risqueraient de perdre l’investiture du ou des partis majoritaires. Or le chemin est long avant de pouvoir décrocher la validation par le suffrage universel dans leur circonscription, souvent arrachée de haute lutte, parfois après plusieurs tentatives.
Sans investiture, très peu de chance que la personnalité politique y arrive et, de toute façon, il n’aurait plus la possibilité de retrouver son pouvoir de parole s’il n’appartenait pas à un groupe. Quant à ceux qui rejoignent un autre parti, l’avenir est tout aussi hypothétique.
Jamais un Président n’a eu autant de frondeurs que François Hollande, pourtant ses opposants internes ne sont jamais allés jusqu’à briser les chances de leur parti en votant contre ce dernier, tout au moins dans une proportion dangereuse.
La deuxième raison tient au mode de scrutin qui favorise considérablement la constitution de blocs homogènes voire de celui d’un parti unique ayant une très large majorité. C’est une conséquence tout à fait logique au regard du développement du paragraphe précédent.
La troisième raison tient à la majorité présente qui a soutenu le Président Emmanuel Macron pour arriver à son sacre. La quasi-totalité des députés qui ont été ses soutiens n’ont pas un passé politique affirmé. Presque tous doivent leur élection à l’étiquette du nom du Président. Ils n’ont pas de base territoriale et auront d’ailleurs du mal dans les élections municipales face aux sortants.
En conclusion, c’est une cacophonie qui s’est installée dans un projet mal ficelé et mal communiqué. Il y a peu de chances que le Président s’en remette mais n’insultons pas l’avenir, rien n’est certain ni définitif en politique.
S. L. B.
Renvois
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Même si le Président de la république a laissé la main à son Premier ministre, il est constitutionnellement le chef de l’exécutif et préside le conseil des ministres. Il est impossible que le feu vert n’ait pas été donné par le Président.
2: Attention, le régime présidentiel français donne une puissance au Président mais n’est absolument pas le régime présidentiel américain qui instaure un strict équilibre des pouvoirs. Par la terminologie « régime présidentiel » on entend le régime américain.