Il se lève sur le pays un soleil à faire terrer les mulots ! Ou à faire taire les cigales ! Ou à déterrer les morts !
Une odeur de poudre pimente le dehors, telle une épice des enfers.
Commémorations ! C’est le jour où descendent, en noir et blanc, des légions de fantômes, de héros, qui errent en boucle sur nos postes de télévision ! Des villages rasés, du napalm, des sacs de jute et leurs moissons barbares. L’errance, la famine… et le désintéressement qui frôle l’insensibilité !
On ne dompte pas le soleil d’Algérie ! Il règne en maître absolu — ou presque. Au mieux, on le fuit.
On ne court pas non plus, au risque de vite se déshydrater. On rampe subtilement sur le ventre, tel un reptile ! Comme une âme écrasée !
La reptation est le moyen le plus sûr pour survivre au pays de la chaleur et de la prédation !
Les vipères rampent aussi, mais elles, c’est pour mieux trahir !
Le soleil est le cadet des soucis du mulot qui se terre !
Le soleil n’a pas le calendrier du bled. Il se fiche que ce soit le jour de l’indépendance ou Hanoukka ! Il fait juste son métier de soleil sous ces latitudes ! Il brûle tout, même l’espoir ! Comme depuis 6000 ans ! Il tisse inéluctablement son désert, maille après maille, comme une couverture ardente que le Chehili se charge de tirer vers le nord !
Dans les rues, le temps semble suspendu, telle une brume stérile.
Flotte alors un air étouffant de déjà-vu sur les poteaux électriques et les trottoirs. Aucune réelle joie, mais pas jusqu’à l’indifférence. Ce n’est pas non plus de la curiosité, juste du chagrin !
Le folklore succède toujours à la panne d’idées. Fanfares et feux de Bengale !
63 ans à le réchauffer, à le resservir froid jusqu’à la nausée !
Tellement qu’il ne peut plus masquer le goût rance de la tromperie et de la trahison.
Les rues sont habitées par des morts deux fois assassinés !
Leurs serments se perdent sous les racines noueuses des oliviers, dans les vallées et montagnes !
Kassaman, Nous jurons !
La trahison a ses propres modes : on tue et on marche aux obsèques !
On enterre et on joue aux ventriloques. On cache les squelettes et on en fait d’éternels captifs ! Et on re-tue les mémoires et les cadavres trop bavards, au stylo et dans les médias !
Combien de squelettes dans leurs placards ?
Combien d’éternels esclaves bavards assassinés ?
La trahison a ses propres dates aussi :
5 juillet 1962, 20 avril 1980, 5 octobre 1988, 29 juin 1992, 14 juin 2001, 22 février 2019 !
Et tant d’autres dates oubliées…
La trahison a ses propres victimes : Mohamed Khider, Krim Belkacem, Abbane Ramdane, Mohamed Boudiaf, Massinissa Guermah, Matoub Lounès!
Et tant d’autres victimes oubliées…
La trahison a ses propres chiffres — et ils parlent malgré la torture :
250 000 morts de la guerre civile. Six millions d’exilés et de harraga. 300 détenus politiques du Hirak. Des milliards de dollars engloutis !
Et 50 millions de mulots captifs !
Alors on tue le temps, pour ne pas mourir d’ennui, pour abréger nos souffrances !
Et on regarde faire les vipères sous les feux de Bengale. En rêvant de la révolte impossible des mulots qui se terrent, en écoutant le silence des cigales.
En assistant, impuissants, à la mort du dernier mot libre !
Fa’chadou, soyez-en témoins !
K. H