Dans une tribune publiée le 5 juillet, sur sa page Facebook, Abdelaziz Rahabi rompt avec sa réserve habituelle pour dresser un constat sévère de la situation en Algérie. L’ex-ministre dénonce la fermeture de l’espace politique, la perte de crédibilité des institutions et l’usage abusif de la détention provisoire. Il appelle à une « régénération éthique » du pays pour éviter un nouvel enlisement.
On ne peut soupçonner Abdelaziz Rahabi de faire partie des grands pourfendeurs du système politique en place. Et pourtant sa dernière sortie publique transpire une indignation devant l’intenable situation imposée par Tebboune et Chanegriha à tout le pays.
À l’occasion du 63ᵉ anniversaire de l’indépendance, Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et ministre, a pris la plume pour signer une tribune au ton résolument critique, rompant avec la réserve qui caractérisait jusqu’ici ses prises de position publiques. Dans ce texte dense et argumenté, publié ce 5 juillet, il dresse un constat sans concession de la situation politique, médiatique et judiciaire du pays, qu’il oppose aux idéaux fondateurs de la lutte de libération.
Loin des discours officiels souvent saturés de satisfecits, Rahabi alerte sur les dérives d’un système qu’il juge verrouillé et miné par l’immobilisme, allant jusqu’à évoquer « la rente du statu quo politique » qui, selon lui, fait obstacle à la construction d’un État de droit et à l’émergence d’une véritable citoyenneté.
Un ton qui tranche avec la retenue habituelle
L’ancien ministre de la Communication, connu pour sa modération, change de registre. Il met directement en cause les choix du pouvoir, notamment la fermeture de l’espace politique et la marginalisation des partis et de la société civile. Il dénonce l’atomisation volontaire des formations politiques, la stérilisation du débat public, la défiance vis-à-vis des institutions électives et le rôle de plus en plus envahissant des réseaux sociaux dans la structuration de l’opinion nationale, faute d’un véritable système d’information crédible.
Ce ton plus offensif tranche avec la posture plus pondérée qu’il avait adoptée ces dernières années, y compris au plus fort du Hirak, où il avait appelé à une transition négociée. Il s’inscrit ici dans une démarche de rupture, ou à tout le moins de mise en garde contre les risques d’un délitement accéléré du lien entre l’État et la société.
Libertés en recul, institutions affaiblies
Le texte revient sur l’évolution institutionnelle récente, avec en toile de fond les dernières élections présidentielles de 2024, qualifiées implicitement d’échec. Selon Rahabi, celles-ci ont contribué à affaiblir des organes clés comme la Cour constitutionnelle et l’Autorité nationale indépendante des élections. Il y voit une nouvelle étape dans la perte de légitimité des institutions, dans un climat de désaffection politique généralisée.
S’agissant de la justice, Rahabi s’attarde longuement sur ce qu’il qualifie de « généralisation » de la détention provisoire, qu’il assimile à une logique d’exception devenue la règle. Il critique ouvertement l’emprisonnement pour des opinions, des tweets ou des publications, et remet en cause l’usage répressif d’un appareil judiciaire encore marqué, selon lui, par une vision autoritaire héritée du XIXe siècle.
Un plaidoyer pour la modernité politique et la guerre de l’information
La tribune s’élargit ensuite à la question du système national d’information, considéré comme « fonctionnarisé », peu crédible et inapte à faire face aux défis de la guerre numérique et cognitive. Le diplomate met en garde contre le vide laissé dans l’espace médiatique national, un vide désormais comblé par des acteurs extérieurs influents qui façonnent les représentations sociales et politiques des Algériens, notamment les plus jeunes.
Abdelaziz Rahabi regrette que l’image du pays à l’étranger soit désormais façonnée à travers ce prisme biaisé, dans un contexte où l’audiovisuel national n’a ni les moyens ni la capacité de porter une parole audible et compétitive. Il insiste sur l’importance de l’influence et de la communication stratégique dans les relations internationales contemporaines.
Le Hirak, seule lumière dans une histoire de ruptures
Dans une conclusion teintée d’un certain idéalisme, l’ancien diplomate voit dans le Hirak de 2019 « une véritable révolution culturelle » et « la promesse d’une entrée dans la modernité politique ». Il y oppose la logique des ruptures violentes ayant marqué l’histoire du pays depuis 1962. Selon lui, seule une « régénération éthique », fondée sur un dialogue sincère et des concessions mutuelles, permettra à l’Algérie de sortir de l’impasse actuelle.
L’appel est clair : réconcilier gouvernants et gouvernés autour d’un projet partagé, redonner vie aux institutions en réhabilitant la parole politique libre, la justice indépendante et l’information crédible. Un projet ambitieux, qui nécessite, selon Rahabi, un sursaut de lucidité et de responsabilité à la hauteur du sacrifice des générations fondatrices.
La rédaction