23 novembre 2024
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Crise linguistique : entre malaise sociétal et choix politiques contestables 

La question linguistique en Algérie demeure un sujet de tension et de débat, reflétant les complexités historiques, culturelles et politiques du pays.

Cet article examine le malaise sociétal lié aux politiques linguistiques en Algérie, en s’appuyant sur l’analyse d’Abderrezak Dourari dans son ouvrage « Malaise de la société algérienne : crise de langue et crise d’identité » (2003). Nous argumenterons que le choix récent de privilégier l’anglais au détriment du français dans l’enseignement scientifique est une décision idéologique problématique, et que la marginalisation continue du berbère contribue significativement au malaise sociétal.

Dourari (2003) identifie une « schizophrénie linguistique » en Algérie, résultant d’un décalage entre les langues officielles et les pratiques linguistiques quotidiennes. Il argue que « cette situation a engendré une schizophrénie linguistique, où la langue du pouvoir et de l’administration est déconnectée de la réalité linguistique du peuple » (p. 78). Cette dissonance crée un terrain fertile pour les tensions sociales et identitaires.

La décision récente de l’Algérie de favoriser l’anglais comme vecteur d’enseignement scientifique au détriment du français soulève de nombreuses questions. Cette décision semble davantage motivée par des considérations idéologiques que par des raisons pragmatiques ou pédagogiques. Comme le souligne Benrabah (2013) dans son ouvrage « [Language Conflict in Algeria: From Colonialism to Post-Independence), « le français demeure la langue principale de l’enseignement supérieur scientifique et technique » (p. 154).

Un changement brusque vers l’anglais risque de créer une rupture dans la continuité de l’enseignement et de la recherche. La transition vers l’anglais pose des défis pratiques considérables. Comme l’observe Miliani (2000) dans son article « Teaching English in a Multilingual Context: The Algerian Case », « le manque d’enseignants qualifiés en anglais et l’absence de matériel pédagogique adapté rendent cette transition particulièrement difficile » (p. 13).

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Cette décision pourrait exacerber les inégalités socio-économiques. Les étudiants issus de milieux favorisés, ayant un meilleur accès à l’apprentissage de l’anglais, pourraient bénéficier d’un avantage injuste.

La relégation du berbère à un statut optionnel dans le système éducatif algérien contribue significativement au malaise sociétal identifié par Dourari. Comme l’affirme Chaker (2003) dans « [La Question Berbère dans le Maghreb Contemporain], « la marginalisation du berbère équivaut à une négation d’une composante essentielle de l’identité algérienne » (p. 67).

Cette minoration alimente un sentiment d’aliénation culturelle chez une partie significative de la population. L’enseignement optionnel du berbère prive de nombreux élèves des bénéfices cognitifs du bilinguisme précoce. Cummins (2000), dans « [Language, Power and Pedagogy]  souligne que « le bilinguisme précoce favorise le développement cognitif et la flexibilité mentale » (p. 37).

La non-obligation de l’enseignement du berbère perpétue les inégalités linguistiques et culturelles au sein de la société algérienne, contribuant à la fragmentation sociale que Dourari identifie comme une source majeure de malaise.

« La langue est un code secret qui dévoile les structures du pouvoir. », nous dit Umberto Eco. On ne peut pas saisir la complexité du malaise que nous décrit Dourari sans approfondir les mécanismes d’infériorisation et de vassalité liés à la relégation du berbère au statut d’option dans le système éducatif algérien. En effet, cette situation révèle une sémiotique du pouvoir complexe, ancrée dans des dynamiques historiques, religieuses et culturelles. La sémiotique de Zilberberg (la grammaire tensive) offre un cadre pertinent pour comprendre ce processus. Le tri opéré entre l’arabe (obligatoire) et le berbère (optionnel) crée une tension entre inclusion et exclusion. Cette hiérarchisation linguistique reflète et renforce les structures de pouvoir existantes. Dans ce contexte, l’arabe acquiert une valence positive forte, associée à la religion, à l’unité nationale et au pouvoir central. Le berbère, en revanche, se voit attribuer une valence moindre, symbolisant une identité perçue comme secondaire ou périphérique. Comme le souligne Grandguillaume (2004) dans son article « [Language and Legitimacy in the Maghreb], « l’arabe, en tant que langue du Coran, bénéficie d’un statut sacré qui renforce sa position dominante » (p. 45).

Cette sacralisation linguistique légitime son rôle prépondérant dans l’espace public et éducatif, au détriment des autres langues, notamment le berbère. La marginalisation du berbère s’inscrit dans une logique plus large d’homogénéisation culturelle et linguistique, où l’islam joue un rôle central. Cette dynamique d’exclusion se manifeste par :

a) Une invisibilisation institutionnelle : Le statut optionnel du berbère dans l’éducation réduit sa visibilité et son importance perçue.

b) Une dévalorisation culturelle : La prédominance de l’arabe et de la culture islamique tend à minimiser l’apport de la culture berbère à l’identité algérienne.

c) Une fragmentation identitaire : Cette hiérarchisation linguistique crée des tensions au sein de la société, entre ceux qui s’identifient principalement à la culture arabo-islamique et ceux qui revendiquent leur identité berbère.

L’islam, en tant que religion d’État en Algérie, joue un rôle crucial dans cette dynamique d’exclusion. Son influence se manifeste par :

– La sacralisation de l’arabe : En tant que langue du Coran, l’arabe bénéficie d’un statut privilégié qui justifie sa prédominance.

– L’uniformisation culturelle : L’islam est souvent présenté comme un élément unificateur, au détriment de la diversité culturelle et linguistique préexistante.

– La légitimation du pouvoir : L’utilisation de l’islam comme source de légitimité politique renforce indirectement la marginalisation des identités non arabes.

Comme le note Djité (2008) dans son ouvrage « [The Sociolinguistics of Development in Africa], « la politique linguistique en Algérie reflète une tension constante entre l’unité nationale et la diversité culturelle, où l’islam sert souvent de justification à l’hégémonie de l’arabe » (p. 132).

Cette dynamique complexe souligne l’urgence d’une réflexion approfondie sur la place des différentes composantes linguistiques et culturelles dans la construction de l’identité nationale algérienne. Une approche plus inclusive, reconnaissant pleinement la richesse de la diversité algérienne, pourrait contribuer à atténuer ces tensions et à forger une identité nationale plus harmonieuse.

La crise linguistique en Algérie, telle qu’analysée par Dourari, se trouve exacerbée par des décisions politiques contestables. Le choix de privilégier l’anglais au détriment du français dans l’enseignement scientifique apparaît comme une décision idéologique mal avisée, ignorant les réalités linguistiques et pédagogiques du pays. Parallèlement, la marginalisation continue du berbère contribue à un malaise sociétal profond, en niant une composante essentielle de l’identité algérienne.

Pour résoudre cette crise, il est impératif de repenser les politiques linguistiques de l’Algérie dans une perspective inclusive et pragmatique, reconnaissant la diversité linguistique comme une richesse plutôt qu’une menace.

Et surtout, penser de fond en comble le volet religieux qui demeure la lame de fond qui travaille la société algérienne. Comme le conclut Benrabah (2014) dans son article « [Language Conflict in Algeria: From post-Independence to Globalization], « une politique linguistique équilibrée, respectant la diversité tout en promouvant l’unité nationale, est essentielle pour l’avenir de l’Algérie » (p. 217).

Said Oukaci, Sémioticien

Bibliographie

Benrabah, M. (2013). [Language Conflict in Algeria: From Colonialism to Post-Independence]. Bristol: Multilingual Matters.

Benrabah, M. (2014). Language Conflict in Algeria: From Post-Independence to Globalization. Language Problems and Language Planning, 38(2), 167-191.

Chaker, S. (2003). [La Question Berbère dans le Maghreb Contemporain]. Aix-en-Provence: Edisud.

Cummins, J. (2000). [Language, Power and Pedagogy: Bilingual Children in the Crossfire]. Clevedon: Multilingual Matters.

Djité, P. G. (2008). [The Sociolinguistics of Development in Africa] Bristol: Multilingual Matters.

Dourari, A. (2003). Malaise de la société algérienne : crise de langue et crise d’identité. Alger: Casbah Editions.

Eco, U. (1995). [La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne] Paris: Seuil.

Grandguillaume, G. (2004). Language and Legitimacy in the Maghreb. The Journal of North African Studies, 9(1), 41-53.

Miliani, M. (2000). Teaching English in a Multilingual Context: The Algerian Case. Mediterranean Journal of Educational Studies, 6(1), 13-29.

Wittgenstein, L. (1922). [Tractatus Logico-Philosophicus]. London: Routledge & Kegan Paul.

6 Commentaires

  1. Le défi moderne pour nous autres berbères, est cette situation où l’on se de retrouve, depuis 180 ans, face à un état uniformiste, conçu pour être uniformiste. Dans ce contexte, des élites berbères modernes ont vu le jour qui ne sont plus celles traditionnelles sécrétées par les sociétés berbères. C’est désormais l’école exogène qui forme l’essentiel de leurs références et leur imaginaire. Et c’est une économie, une administration, un pseudo espace public, tous exogènes et tournant autour d’axes qui les accueille et forme leur univers. Exit la cités et la civilisation berbères qui ne sont plus là que pour meubler une certaine nostalgie, un atavisme déclinant. C’est cet univers qui est désormais le centre de leur existence et ils cherchent à le concilier avec leurs lointains souvenirs.
    C’est ainsi que naquit le «réformisme» de l’état, exogène pourtant, qui a pris la place du rejet, la réponse naturelle, option allant tout droit aux sources de nos problèmes. C’est dans cette bouillie qu’a prospéré la «diversité» synonyme en réalité de tolérance ou le toléré est devenu celui qui tolère, une mélasse où tout est inversé à commencer par la religion.

    • Bon Pou moi, je te cite « C’est désormais l’école exogène qui forme l’essentiel de leurs références et leur imaginaire. « ,
      Cela est bien vrai pour tous les imaginaires collectifs des sociétés modernes (surtout) mais constitue bien moins une alternative à la transmission traditionnelle qu’un outil d’émancipation de cette dernière.
      Dans les états émergeant de la décolonisation comme l’Algérie, le rôle de l’école exogène est, hélas, inversé par l’idéologie du régime et produit donc un effet contraire sur la société.

      • En matière d’école, ce n’est pas tellement la nouvelle forme apportée par les français (faut-il le signaler) qui est en question mais ses objectifs. Les objectifs (le concept d’école d’un pays); généraux qui déterminent les matières qu’on y enseigne et tout l’écosystème pour concrétiser ces objectifs.
        La généralisation, la possibilité d’aller jusqu’au bac pour qui veut, la gratuité, etc., c’est de la forme. C’est bénéfique et neutre tant que les objectifs servent la société.
        Il se trouve que les objectifs de cette école ne servent pas, n’ont jamais servi, les sociétés berbères. C’est un corps étranger que cette école. Dès lors, la forme (généralisation, gratuité, etc.) deviennent eux aussi nocifs.
        Comment veut-on dans ce contexte qu’un écolier kabyle puisse à terme d’une scolarisation islamisante défende le fond de son âme, sa religion païenne, sa véritable mediterraneité, par exemple. Comment veut tu qu’un agronome s’intéresse à la culture de l’olivier, moderniser l’économie kabyle, dès lors que qu’on ne lui enseigne que des choses qui n’ont aucun rapport à l’économie kabyle ? Et la langue (à laquelle on s’est accroché exclusivement) n’est qu’un habillage de tout ça, indissociable certes, mais ça reste un habillage. Cet intérêt au secondaire est probablement l’effet de cette dépersonnalisation.
        Et s’il y a une distance à prendre par rapport à la religion, ou une réforme de nos structures, le kabyle, le berbère devrait les prendre vis à vis de sa religion, pas vis à vis de l’islam qui est une sorte d’exotisme chez nous, pas le socle de notre âme.

  2. Toute une analyse pour contourner la raison simple que ce pouvoir a derriere la tête pour détourner l’attention du peuple sur l’inutile introduction de l’anglais, dès lors que cette langue est déjà enseignée depuis des lunes. La simple raison que ce régime raciste a derriere la tête est de continuer à nier et marginaliser l’enseignement de Tamazight. Tout le monde le sait, du moins la Kabylie, que ce régime préfèrerait l’enseignement de tout autre langue étrangère, même inutile au fonctionnement et au développement du pays, que Tamazight. Depuis que le traitre et raciste ben bella, a déclaré publiquement que l’Algérie est un pays arabe, par plus de trois fois, une manière d’envoyer un message clair, que le Tamazight n’a pas sa place dans ce pays, tous les tenants successifs du pouvoir algérien oeuvrent dans la même voie. Ce n’est pas aujourd’hui que le régime raciste d’Alger va changer. L’annonce de l’anglais n’est qu’une facon de détourner le sujet des vrais enjeux, de la vaie question, de la langue kabyle, de l’ame de la Kabylie, de sa survie, de son indépendance, de sa liberté. Aujourd’hui, je m’exprime en francais sur cette page, car le colon fancais est parti depuis 62 ans. Mon père y a laissé sa vie, je n’ai d’ailleurs jamais pu retrouver sa tombe. Mais hélas teboune et changriha, claironnent sur la place publique que c’est eux les vrais révolutionnaires, c’est eux les vrais héros légitimes. On doit donc se soumettre à leurs dictats. Mes enfants doivent donc de force, étudier dans la langue des invahissuers arabes, pour que sournoisement ils oublient, qui ils sont, d’ou ils viennent, et un jour, ils finissent par se considérer arabe, selon la volonté de teboune et changriha de l’Algérie nouvelle. Pas besoin de faire toute une analyse, quant on sait ce que ce pouvoir et tous ceux qui l’ont précédé avant veulent. C’est simple et précis, le pouvoir algérien veut et a toujours voulu la disparition du kabyle, autrement dit, son extermination.

  3. Si koua ci sijé,?
    Ni soum 3arab,i li kabil nixist pa.
    Ni soum tousse misilma, e tous on si que mouhamid é pidophile,e leurs dieu une grousse lizordure.
    L’ Ânejiri e li peyi pli four avic li jinirou e sirtou 3amhoum tiboun liscrou. Viv l’ânjiri tijour li primier avic amalou e si frire.

  4. Si koua ci sijé,?
    Ni soum 3arab,i li kabil nixist pa.
    Ni soum tousse misilma, e tous on si que mouhamid é pidophile,e leurs dieu une grousse lizordure.
    L’ Ânejiri e li peyi pli four avic li jinirou e sirtou 3amhoum tiboun liscrou. Viv l’ânjiri tijour li primier avic amalou e si frire.

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