Il est ironique de constater qu’un pays ayant démontré une intelligence stratégique et une résilience exemplaires pour se libérer de l’un des plus grands empires coloniaux de l’Histoire puisse, quelques décennies plus tard, paraître piégé par un système qu’il a lui-même façonné. Ce système algérien, complexe et lourd, fonctionne à l’image d’un moteur tournant à plein régime : bruyant, énergivore, mais inefficace. Il produit de la chaleur, du bruit, parfois de la fumée, mais bien peu de mouvement.
Ce moteur, c’est celui d’un État hypertrophié, d’une économie rentière et d’une gouvernance verrouillée. Le problème n’est pas qu’il ne tourne pas ; c’est qu’il tourne à vide.
Les ministères pullulent, les organigrammes s’étendent, et les papiers s’empilent. La bureaucratie algérienne est devenue le symbole même de ce moteur inefficace. Chaque décision nécessite des dizaines de validations, chaque projet traverse une jungle administrative si dense qu’il finit par s’y perdre.
Loin de simplifier la vie des citoyens, cette bureaucratie semble conçue pour la complexifier. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Pourquoi avancer quand on peut tourner en rond ? Le bureaucrate algérien est à l’image du gardien d’un labyrinthe : il n’a aucune raison de chercher une sortie. Après tout, son emploi dépend de l’existence même de ce labyrinthe.
La rente pétrolière : carburant du statu quo
Le moteur du système fonctionne au carburant le plus instable qui soit : la rente pétrolière. Depuis l’indépendance, les ressources en hydrocarbures ont servi de solution universelle à tous les maux : financer l’État, acheter la paix sociale, et masquer l’absence de réformes. Mais ce carburant a un coût : il encrasse le moteur.
La dépendance à la rente empêche toute diversification économique. Pourquoi investir dans l’agriculture ou l’industrie ? Pourquoi stimuler l’innovation ? Le pétrole rapporte, alors à quoi bon chercher autre chose ? Pourtant, chaque crise pétrolière rappelle brutalement la fragilité de ce modèle. Lorsque les prix s’effondrent, l’économie s’effondre avec eux, laissant l’État dans une course effrénée pour trouver des devises et apaiser une population en colère.
La corruption : un virus systémique
La corruption est structurelle au système en place. Un autre élément qui fait tourner le moteur à vide est la corruption, ce « virus » qui gangrène l’ensemble des institutions. Dans ce système, l’ascension sociale repose moins sur le mérite que sur les relations. La compétence cède souvent la place à la loyauté envers le pouvoir en place.
La corruption n’est pas seulement un problème moral ; elle est un frein au développement. Les fonds publics disparaissent dans des projets pharaoniques inachevés, les entreprises privées sont étouffées par les pots-de-vin, et les citoyens perdent confiance dans leurs institutions. Lorsque tout semble se négocier sous la table, le moteur tourne non pour avancer, mais pour enrichir ceux qui le contrôlent.
L’autoritarisme : le verrouillage du système
Si le moteur tourne à vide, c’est aussi parce qu’il est verrouillé par un système autoritaire. Depuis l’indépendance, les élites politiques ont maintenu un contrôle strict sur le pouvoir, souvent au détriment de la pluralité et de la démocratie.
Le mythe de la légitimité historique, hérité de la guerre d’indépendance, est utilisé pour justifier ce monopole. Ceux qui ont combattu pour la liberté se sont souvent transformés en gardiens d’un système figé. Le statu quo est devenu une fin en soi, et toute tentative de changement est perçue comme une menace existentielle.
Cette centralisation du pouvoir empêche l’émergence de nouvelles idées et étouffe les voix dissidentes. Pourtant, les mouvements populaires comme le Hirak montrent que le désir de changement est bien réel. Mais ce désir se heurte à un système qui tourne sur lui-même, incapable de se réinventer.
La jeunesse : spectatrice désabusée
Dans ce moteur en surchauffe, la jeunesse est le carburant le plus gaspillé. Chaque année, des milliers de jeunes quittent le pays, désillusionnés par un système qui ne leur offre ni opportunités ni espoir.
La fuite des cerveaux est une tragédie nationale. Les ingénieurs, médecins, chercheurs et entrepreneurs algériens brillent à l’étranger, mais leur pays ne sait pas comment les retenir. Ce n’est pas le talent qui manque, mais un environnement où ce talent pourrait s’épanouir.
Le défi d’une deuxième indépendance
Le problème du système algérien n’est pas qu’il manque de ressources ; c’est qu’il ne sait pas comment les utiliser. Et les urgences sont multiples. Ce moteur doit être repensé de fond en ocmble. Pas seulement réparé. Cela nécessite une véritable révolution dans la façon dont le pays est gouverné et dans les priorités économiques et sociales. Autant dire que les mêmes hommes produisent les mêmes maux. Donc changer les hommes pour changer l’écosystème est une priorité absolue pour l’Algérie et son environnement proche.
Il ne s’agit pas de tout démolir, mais de remplacer les pièces usées par des idées neuves :
Décentralisation : transférer le pouvoir aux régions pour briser le monopole du centre.
Diversification économique : réduire la dépendance aux hydrocarbures en stimulant l’agriculture, l’industrie et les nouvelles technologies.
Transparence : lutter contre la corruption par des institutions fortes et indépendantes.
Investissement dans l’éducation : faire de la jeunesse le moteur du renouveau, et non une génération sacrifiée.
Sortir de la spirale
L’Algérie a prouvé qu’elle pouvait accomplir des miracles lorsqu’elle a arraché son indépendance. Mais aujourd’hui, le défi est différent. Il ne s’agit plus de chasser un oppresseur étranger, mais de réformer un système intérieur qui fonctionne contre lui-même.
Un moteur qui tourne à vide peut finir par exploser. Mais il peut aussi être
réparé, à condition de reconnaître les failles et de s’engager dans une transformation profonde. L’Algérie a les moyens de redevenir un pays moteur, pas seulement pour elle-même, mais pour toute une région.
« Ce n’est pas l’absence de ressources qui freine un pays, mais l’incapacité à transformer ces ressources en opportunités durables. »
Dr A .Boumezrag