La communication en politique revêt un dimension stratégique essentielle. Elle ne se limite ni à la simple transmission d’informations, ni à un simple vecteur privilégié de transparence. La communication façonne l’opinion publique et offre par le dialogue qu’elle instaure entre les citoyens et les gouvernants et les acteurs politiques les moyens de comprendre les aspirations populaires et d’y répondre de manière appropriée.
Elle est un important levier d’influence dans les régimes démocratiques, où le suffrage universel confère aux citoyens le pouvoir de choisir librement leurs dirigeants. Elle permet de comprendre les préoccupations des citoyens par l’écoute, de propager des idées, de faire connaître son programme et sa vision, de bâtir un capital de confiance et de sympathie, si précieux au moment d’affronter les échéances électorales.
Pour les responsables politiques, l’exigence de communiquer est alors incontournable. Elle l’est également tout autant pour les institutions et les partis qui structurent la politique.
L’enjeu de la communication ne se limite pas à la conquête du pouvoir. Elle constitue également un instrument de gouvernance. A travers une communication maîtrisée, les dirigeants peuvent promouvoir l’image des institutions qu’ils incarnent, renforcer leur légitimité et leur ancrage au sein de la société. Tout comme ils peuvent contrer la désinformation et les rumeurs souvent orchestrées dans le but d’ébranler le pouvoir en place.
L’allocution présidentielle : un exercice d’autorité et de cohésion nationale
Le terme communication politique englobe ici toutes les formes d’interactions verbales. Parmi ces formes de communication politique, l’allocution présidentielle occupe une place de premier plan. Ce discours solennel, par lequel le chef de l’Etat s’adresse directement à la nation, ne doit pas être une simple manifestation de pouvoir ; sa vocation est d’expliquer les grandes orientations de sa politique, développer une vision de l’avenir et tenter de résorber les tensions et d’assurer la cohésion nationale. Il incarne la volonté de resserrer les liens de la nation.
Les allocutions du président sont également attendues dans les moments de trouble, lorsqu’il faut rassurer la population ou mobiliser l’opinion publique autour de décisions difficiles. Ce rituel démocratique, hautement symbolique, contribue à renforcer la légitimité des institutions et l’autorité de ceux qui les dirigent.
Les visites de terrain : un geste d’empathie et de proximité
Si l’allocution présidentielle s’adresse à la nation dans son ensemble, les sorties et les visites de terrain incarnent quant à elles une communication de proximité. Elles permettent aux dirigeants d’aller à la rencontre des populations, de s’enquérir de leur quotidien et de mieux cerner leurs besoins spécifiques.
En partageant les épreuves vécues par les citoyens au plus près d’eux, le chef de l’Etat ou ses représentants témoignent de leur empathie et de leur solidarité.
Ces visites prennent une valeur particulière en période de crise, notamment lors de catastrophes naturelles ou de drames collectifs. La simple présence des autorités sur le terrain, dans les zones sinistrées, envoie un message fort à la population. Elle témoigne du soutien de la nation, de sa solidarité face à l’adversité. Cette présence n’est jamais superflue ; au contraire, elle apaise les esprits et rassure les cœurs meurtris.
Un exemple édifiant en la matière est celui des incendies de Kabylie. La détresse des habitants livrés à eux-mêmes, s’est muée en colère face à l’absence de soutien visible des autorités. Une visite officielle empreinte de compassion et d’humanité aurait probablement contribué à désamorcer les tensions.
Par ce geste symbolique l’Etat aurait affirmé sa proximité avec la population endeuillée, aurait par la même occasion évité l’escalade des drames humains et des ressentiments durables et cet autre drame que constitue le feuilleton judiciaire de Larbaa Nath Irathen.
Le vide communicationnel propice à l’autocratie et aux dérives idéologiques
Cependant, notre régime a la particularité de communiquer le moins possible, bien qu’il ait un accès privilégié aux médias, privilège dont il prive systématiquement l’opposition. Le constat de carence en matière de communication est manifeste et il découle du caractère autoritaire du régime. Même la voix présidentielle, censée motiver l’action politique et l’orienter, se fait rare, sporadique et dépourvue de toute spontanéité. Dans le même sillage, nos institutions ne font guère mieux. Leur approche de la communication se borne à diffuser essentiellement des informations en relation avec l’aspect opérationnel ou des textes de réglementation.
La carence est plus marquée lorsqu’elle concerne la forme de communication la plus essentielle, celle de l’échange verbal direct et du débat contradictoire, où se confrontent des idées pour la recherche d’un socle commun. Ces face-à-face où se réunissent des responsables politiques, des représentants d’institutions, des acteurs de la société civile, de l’opposition, des médias et des personnalités des milieux intellectuels et académiques.
Le repli des responsables est si marquant qu’il complique même la tâche des différents médias, obligés de se contenter des activités protocolaires pour combler le vide. Cette forme de communication se heurte malheureusement au mutisme des dirigeants, au verrouillage des médias et au musellement de la liberté d’expression, imposé par les impératifs de l’autoritarisme.
Ce débat est pourtant si crucial pour nourrir la vie politique, structurer la démocratie et contribuer par conséquent à la stabilité et à la prospérité du pays. En refusant de s’y soumettre à cet exercice d’échange et de transparence, le pouvoir prive le pays d’un débat fécond, essentiel à la validation des idées qu’il génère et à la définition des voies les plus pertinentes pour le pays.
Pis encore, ce mutisme des responsables institutionnels alimente l’idée d’une connivence tacite et d’une bienveillance coupable à l’égard du fondamentalisme religieux. Ce courant politique, profitant de ce vide créé par l’absence de la parole des officiels, s’acquitte de ce rôle à son avantage.
Les lieux de culte deviennent alors des tribunes politiques quotidiennes, où il diffuse son idéologie avec constance et zèle, consolidant ainsi son emprise sur la sphère sociale.
Animés par leur aspiration à la liberté d’expression, les citoyens, eux, attendent toujours des institutions, des organisations étatiques et des responsables qui les incarnent un engagement réel dans une communication continue. Ils souhaitent les voir se dévoiler, montrer un visage humain de l’autorité et expliquer les décisions par lesquelles ils les engagent.
Le pouvoir doit ainsi renoncer à s’adresser à eux par le biais de canaux officieux tels que les communiqués de l’agence de presse nationale (APS) ou les éditoriaux de la revue El-Djeich, perçus comme des expressions indirectes et ambiguës de la voix officielle qui ne laissent aucune place à l’échange ni au débat.
Les responsables politiques doivent sortir de leur torpeur et cesser de s’enliser dans le confort factice que leur offre l’autoritarisme. Il leur incombe d’aller au-devant des citoyens, de confronter leurs idées à celles de leurs opposants et de s’exprimer directement auprès du peuple, avec une part nécessaire de spontanéité. Participer à des tables rondes, intervenir sur les plateaux de télévision, occuper l’espace public du débat et aller partout où la parole est loi est en effet un devoir démocratique.
De nombreux sujets attendent d’être portés au débat pour être éclaircis. Les citoyens attendent des responsables politiques qu’ils expliquent le laxisme de l’Etat face aux offenses faites à l’histoire et à la mémoire des martyrs, ainsi qu’à la stigmatisation de certaines régions du pays.
Ils espèrent également les voir se prononcer sur des questions imposées par l’actualité, le musèlement de la liberté d’expression, l’état de la presse, la censure de livres et la fermeture des librairies, l’interdiction des cafés littéraires, l’expansion de l’économie informelle, ou encore les raisons ayant conduit au démantèlement de la statue d’Akcel dans la wilaya de Khenchela.
L’esquive de cet exercice médiatique en raison du confort qu’offre l’autoritarisme est plus destructrice pour le pays que le risque d’incommoder le régime inhérent à une exposition médiatique. L’absence de débats et ce repli nourrissent l’incompétence collective qui, elle, se manifeste allègrement par des conséquences désastreuses inévitables pour le pays.
La communication : une vertu démocratique ignorée
Bien sûr, il serait fallacieux d’attribuer ce mutisme de nos dirigeants et des institutions qu’ils incarnent à une surcharge de travail, ou bien, dans le cas d’une communication sur les nouveaux supports qu’offre le Web, l’imputer à la non-maitrise des nouvelles technologies.
En réalité, le problème est plus profond. Dans ce régime, où la portée formelle du suffrage des électeurs est entièrement surclassée par le poids politique prépondérant des réseaux clientélistes, des clans d’influence et des pratiques propres au totalitarisme, l’exercice de la communication apparaît non seulement superflu, mais également dénué de sens. L’accession sans surprise à la magistrature suprême d’un candidat se déclarant indépendant, sans attache partisane, sans parcours militant, et aux opinions méconnues des électeurs illustre bien le caractère factice de la communication dans ce type de régime.
La communication est en effet, par essence, une vertu inhérente à la démocratie, où la transparence et l’échange avec les citoyens ou leurs représentants sont au cœur du processus politique.
Cependant, lorsque les détenteurs du pouvoir s’emploient à confisquer la souveraineté populaire, ils assènent un coup fatal à la logique même de la communication politique. Celle-ci devient alors caduque, vidée de sa substance, car le dialogue avec le peuple n’a plus vocation à éclairer ses choix, mais à légitimer des pratiques de domination perpétuées par la ruse et la contrainte.
Par ailleurs, la communication est synonyme de la transparence, une qualité qui n’est souvent pas à l’avantage du régime autoritaire. Pour un pouvoir ayant fait le choix de l’autoritarisme et de l’opacité dans sa gestion, il est impensable de permettre que l’information, une arme redoutable en politique, tombe entre les mains de ses adversaires. Si cette communication est instaurée en tradition, elle risque, face à des opposants forgés dans les principes démocratiques et aguerris à l’exercice de la rhétorique, d’étaler l’opulence et les abus du pouvoir, de révéler son incompétence, de décoder les faux bilans souvent conçus pour flatter le chef de l’Etat, et fissurer ainsi l’édifice du régime.
Dans ce contexte, la communication, qui est la voie royale pour l’accès à l’information, devient une source d’inquiétude pour le pouvoir plutôt que d’en être une préoccupation. C’est ainsi qu’il choisit de s’investir non pas dans la communication continue et authentique, mais dans la restriction de la parole publique et du libre débat.
Ce déficit de communication délibéré traduit donc la volonté du pouvoir de conditionner l’accès à l’information. Cette stratégie vise à entretenir l’opacité et à inhiber la curiosité citoyenne afin de les maintenir dans l’ignorance de leurs droits et d’étouffer l’esprit civique. L’accès à l’information, qui devrait être un droit fondamental, devient ainsi une faveur arbitrairement octroyée par le pouvoir.
Les réseaux sociaux : un refuge pour l’expression citoyenne
Face à ce vide en communication, les citoyens investissent massivement les réseaux sociaux, seul espace de débat encore accessible. Sur ces plateformes numériques les thèmes se mêlent cependant dans une symphonie chaotique, rendant difficilement perceptible les buts politiques et la parole engagée.
Mais, même imparfait, les réseaux sociaux peuvent néanmoins pallier la confiscation des médias classiques, devenus, par leur alignement sur le pouvoir, des outils qui brouillent les luttes démocratiques.
Dans cet espace d’échange, les citoyens débattent, partagent et écrivent. Bien que la perspective d’un changement concret demeure incertaine, ils ne doivent ni se décourager ni considérer cet espace d’expression comme un simple exutoire d’indignation. Aussi, ils s’efforcent d’en faire un véritable creuset d’idées constructives, un incubateur d’une élite citoyenne et former un substrat culturel propice au changement.
Ce vaste forum informel doit jouer un rôle structurant dans le combat démocratique en vue de la perspective d’une rénovation politique. Il a déjà vu émerger des figures de contestation qui bousculent l’ordre établi. Ces contradicteurs pourraient bien incarner l’élite politique de demain, celle qui guidera le pays sur la voie de la transition vers la démocratie.
Toutefois et en raison de son caractère unilatéral, cette niche d’échange, où les citoyens font « chambre à part » en dialoguant et en se mobilisant en ligne, tandis que les responsables politiques restent cloîtrés dans le silence ou la communication unilatérale, présente le risque d’accentuer le fossé avec les gouvernants.
Cette fracture, aux conséquences imprévisibles, pourrait s’avérer préjudiciable à la recherche d’une solution politique pacifique. Pour la prévenir, il est nécessaire que ces réseaux soient modérés et structurés, notamment par l’implication de voix faisant autorité dans divers domaines. L’apport des figures intellectuelles, académiques ou officielles s’avère donc primordial pour conférer à ces débats une rigueur et une crédibilité.
Il est également impératif que les institutions, les responsables politiques et les élus de la nation adoptent une posture proactive et transparente. Investir cet espace, ainsi que tous les lieux d’expression publique, permettrait de ressentir au mieux les palpitations de la société et de cerner ses préoccupations. Cette démarche contraste avec l’attitude actuelle consistant à se tenir en embuscade derrière des pupitres, guettant de supposés dérapages pour actionner la machine répressive.
La communication doit en effet redevenir un levier de l’Etat de droit, un outil au service du peuple, et non un instrument de domination. Redonner sa place au dialogue public, c’est garantir l’implication de la parole citoyenne au cœur du processus politique, ouvrant ainsi la voie à une transition démocratique pacifique.
Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition
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