15 janvier 2025
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AccueilIdéeL’histoire et ses balivernes : Socrate, inconnu à cette adresse (3)

L’histoire et ses balivernes : Socrate, inconnu à cette adresse (3)

Avec Socrate, on s’attaque à l’inattaquable, au mythe déifié qu’on ne peut atteindre, pas même lorsque nous rappelons ce que tout le monde sait mais qui n’a pas l’air de vouloir être dit avec bruit, soit l’inexistence du philosophe.

La différence avec les deux précédents mystificateurs, Marco Polo et Nostradamus, Socrate n’est coupable en rien de la supercherie puisqu’il n’a jamais existé. Sa légende lui est totalement inconnue, il est dans cette affaire burlesque d’une pure innocence.

Avec Socrate, nous avons donc l’inverse des deux personnages cités, si l’œuvre dont il est crédité est attestée, comme celles des deux autres, il n’y a aucune crédibilité dans l’existence de Socrate puisqu’il n’y a aucune preuve probante à ce sujet. C’est tout de même gênant lorsqu’on veut être sérieux et ne pas se lancer dans le mythe qui finit par aveugler la raison.

Devant le sacrilège de mon article à l’encontre du dieu de la philosophie (je ne suis franchement  pas le seul), je vais essayer d’être des plus modestes, juste exposer ce qu’un simple questionnement pose. Se poser des questions, Socrate ne serait-il pas fier de son élève puisque c’est le sens de la philosophie ?

Une courte chronique que j’avais rédigée dans ce journal, Socrate ne savait pas écrire, n’était pas allée jusqu’à l’approfondissement du sujet. Essayons d’aller un peu plus loin sans entrer dans l’ambition d’un traité d’histoire ou de philosophie.

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La question socratique

Socrate a-t-il donc existé ? Ce n’est pas une blague de l’histoire mais une question sérieuse pour les érudits qui fait débat depuis très longtemps, on la nomme « la question socratique ».

Nous n’avons aucun écrit de la main de Socrate, seulement des témoignages dont le plus connu (par les étudiants) est celui de son supposé disciple Platon qui va immortaliser l’œuvre du grand maître.

Mais il y en a d’autres qui en font référence comme Aristophane, poète comique satirique, dans Nuées. Ses attaques toutes en dérisions auraient été en partie l’une des causes de la condamnation à mort de Socrate.

Puis il y a le témoignage de Xénophon dans L’apologie de Socrate, Le Banquet et les Mémorables et quelques autres, beaucoup moins connus par les néophytes.

Le grand philosophe Aristote, un témoin indirect puisque né après la mort de Socrate, est le premier à s’emparer de l’œuvre à son profit en soumettant les paroles de Socrate à la critique. Il n’apporte aucune preuve de l’existence de Socrate ni ne cherche à en apporter, il se consacre uniquement à l’étude critique de l’œuvre. 

En résumé, il est étonnant que des écoles (au sens physique autant que celui de la pensée) soient créées pour enseigner les  paroles du grand sage. Platon est le fondateur de l’Académie, Aristote celui du Lycée ainsi que plusieurs autres, Euclide de Mégare, Antisthène ou Aristippe de Cyrène.

Devant cette impasse de la question socratique, certains se sont proposé de la réinterpréter par un autre angle que celui de la recherche d’une réponse sur l’existence de Socrate.

De Vogel,  dans son article dans la revue Mnemosyne paru en 1951, Une nouvelle interprétation du problème socratique, nous renvoie justement à ce nouvel angle de vue :

Cette situation s’explique par le fait que ceux qui ont écrit sur Socrate dans l’Antiquité n’avaient pas l’intention de faire de l’histoire, tandis que les historiens modernes qui ont voulu tracer l’image de Socrate, n’ont pas bien reconnu le caractère de ces écrits anciens : ce qui est de la légende, ils l’ont, eux, pris pour de l’histoire. Or, si l’on veut faire des progrès quant à la recherche historique sur Socrate et ses contemporains, il faut abandonner radicalement l’idée que la littérature socratique ait un caractère historique ; il faut partir tout simplement du fait qu’elle est produite de l’imagination.

Dans son livre sur Socrate en 1947 (repris en référence dans l’article précédent), Olof Gigon affirme lui aussi qu’il est temps d’abandonner la question socratique puisqu’il est vain d’en trouver la solution. Et qu’au fond l’approche historique n’est pas la meilleure en cette question.

Comme a dit Socrate !

Ainsi Socrate n’avait pas eu besoin d’exister pour être le père fondateur de la philosophie si nous paraphrasons la célèbre phrase d’Arthur Rimbaud. Imaginez pourtant combien de tonnes de livres, de thèses, d’articles et de conférences lui ont été consacré.

Imaginez la souffrance des futurs bacheliers qui ont sacrifié des soirées et des week-ends entiers pour préparer une dissertation  ou un oral de philosophie sur Socrate et pouvoir placer quelques citations.

Imagineriez-vous traiter de la philosophie sans vouloir paraître savant en ne recourant pas à une parole de Socrate ? Imaginez l’effort qu’ont du faire des générations d’êtres humains pour paraître cultivés à travers les citations de Socrate ?

Une phrase de Socrate et s’illumine immédiatement le propos sous le sceau du sage, comment pourrait-on contredire celui qui la prononce ? « Comme a dit Socrate»… et voilà que l’écoute se fait, l’admiration est visible et l’envie de débattre apparaît chez l’interlocuteur. Pas la peine d’authentifier la référence, qui pourrait oser prétendre mettre en doute la véracité des citations attribuées à Socrate ? La plupart le font parfois mais en dehors de leurs citations devant un auditoire, que resterait-il de la crédibilité de leur citation autrement ?

Le nom de Socrate aura été la marque frauduleuse la plus reproduite dans l’histoire, un record de contrefaçons. Incroyable mais c’est la réalité incongrue à laquelle fait face l’humanité depuis de très nombreux siècles.

Socrate est décrit comme le grand orateur d’Athènes dans l’Agora, lieu de réunion et de débats dans les grandes villes de la Grèce antique. C’est là qu’il y aurait fait part de ses principes fondateurs par la méthode et le discours philosophique. Il y aurait proclamé les voies de la sagesse et même inventé la pédagogie.

C’est pourtant stupéfiant que cet homme n’ait jamais laissé un document écrit pour une œuvre si colossale. Elle a été pourtant reprise par des témoins directs, traduite et débattue pendant tout ce long temps jusqu’à nos jours.

Finalement, existence ou mythe ?

Faut-il avoir des compétences en philosophie pour répondre à cette question  comme faut-il être historien pour répondre aux questionnements sur les trois personnages présentés dans cette série d’articles ?

Assurément non puisque pas un seul témoin de l’époque ou historien à venir ne fait l’unanimité dans ses conclusions qui laissent plus de suppositions que de preuves. Essayons d’y mettre de l’ordre en présentant d’une manière très résumée les arguments des uns et des autres.

1/ Les arguments des partisans de l’existence de Socrate :

– Le plus important, nous l’avons dit, est celui des témoignages de certains philosophes grecs qui en font mention.

– Il aurait été le fondateur de l’école de la pensée socratique qui s’est ramifiée en plusieurs écoles, cynique, cyrénaïque, mégarienne et académique. Il serait aussi le précurseur du rationalisme, du scepticisme et de l’éthique. De ce fait il aurait eu une grande influence sur le développement de la philosophie et ainsi de la pensée occidentale.  

– Selon eux, la condamnation à mort par le tribunal d’Athènes en 399 avant JC, pour les chefs d’accusation d’impiété et de corruption de la jeunesse, serait authentifiée par des sources incontestables.   

2 / Les arguments des défenseurs de l’hypothèse du mythe.

-Doit-on le rappeler, aucun document historique qui l’atteste n’est retrouvé si ce n’est des témoignages.

Étrange que le père de la philosophie, celui qui aurait enseigné à des disciples une sagesse qui se transmettra à l’humanité n’ait jamais laissé la moindre trace écrite de sa main. Imaginerions-nous faire référence à Martin Heidegger, Sigmund Freud ou Émile Zola sans qu’on n’ait retrouvé un seul de leurs écrits ?

Si mon énorme prétention se réalise et que ma pensée devienne l’une des bases de la réflexion de l’humanité (ne riez pas, pourquoi pas !), je vous laisse trouver dans les notes de mes élèves et étudiants la trace de mes quarante ans dans le métier de professeur. Dans ma tombe, je rigolerai de savoir quel serait le témoignage de mes « disciples » à qui j’avais mis de très mauvaises notes. On peut rire, non ? Ce n’est pas plus idiot que l’histoire du grand maître.

-Ces témoignages relèvent de nombreux points de divergence ou d’incohérences à propos de Socrate.

-La recherche de la sagesse dans un homme qui l’incarnerait est quelque chose de courant en cette époque grecque antique. La sagesse s’incarne par un personnage placé sur un piédestal, (dans l’agora), enseignant à des disciples (la foule réunie). Pour ainsi dire l’antiquité puis encore plus loin dans le temps, les paroles de la sagesse et de la voie du salut incarnées par un personnage charismatique et mythique sont pléthoriques.

-Il est aisé de nous dire que Socrate a créé une école socratique de la pensée philosophique. Quelle fantastique découverte ! L’école socratique est justement la parole de Socrate dont nous ne sommes pas sûrs de l’existence.

Il m’est donc impossible de rejoindre les partisans de l’affirmation de l’existence de Socrate. Devant le jury de l’histoire, les preuves présentées par la défense ne sont pas seulement dérisoires mais des plus grotesques. Une histoire à dormir debout.

Une œuvre peut-elle être dissociée de son auteur ?

Autrement dit, peut-on faire abstraction de l’auteur et n’en retenir que le fond de l’écrit ? C’est aussi débattu que la question socratique.

Mais la question s’est surtout posée pour des œuvres d’auteurs dont la vie est entachée, soit d’abominations ou encore totalement en contradiction avec la pensée qui émane de la lecture de leurs livres. Il existe d’innombrables exemples dont celui que je cite souvent, Louis-Ferdinand Céline.

Nous pourrions effectivement le faire et d’ailleurs beaucoup d’écrits qui sont entrés dans la culture humaine sont d’origines inconnues. Nous pourrions mais il y a une différence, l’œuvre de Socrate n’est pas écrite et nous ne savons même pas s’il a existé. C’est de trop pour rejoindre sérieusement le débat sur la dissociation ou non de l’œuvre avec l’auteur.

Et même si nous essayons de le faire, il y aurait une autre difficulté. La pensée de Socrate n’est pas un tout achevé mais une démarche interrogative qui laisse champ à de nombreuses réponses possibles.

Socrate n’est pas un énonciateur mais un acteur et un modèle. La philosophie de Socrate est ainsi inséparable de sa personnalité et de son style. Comment alors pouvoir avec justesse étudier la philosophie de Socrate lorsque ni ses écrits ni aucune preuve de son existence ne le permettent ?

Sauf à inventer un Socrate hollywoodien, habillé d’une toge, prenant la stature représentée par ses statues (c’est le cas de le dire), professant avec grandiloquence à la foule de ses adeptes, absorbés par l’illumination du grand sage. C’est d’ailleurs la réalité incontestable de ce qui nous est présentée.

Une anomalie dans les principes de l’histoire

L’histoire n’est pas une « science dure » mais reste tout de même une « science humaine ». Elle est soumise comme toutes les sciences à une méthode (cela avait été rappelé dans les deux articles précédents). Ses conclusions sont soumises à la confrontation entre les hypothèses fournies par les documents, les découvertes archéologiques et les témoignages (recoupés et étudiés scrupuleusement).

Ainsi, comme toutes les sciences, l’histoire doit respecter les règles de la démarche scientifique qui ont été posées dès le seizième siècle. Et l’une des plus fondamentales, dite à peu près en ces termes, « c’est à celui qui prétend à l’existence d’une chose qu’il incombe d’en apporter les preuves ». Les codes civils de la majorité des pays de droit la reprenne « c’est à celui qui allègue un fait d’en apporter la preuve ».

Le moins qu’on puisse affirmer est qu’elle a fait une grande entorse à ce principe fondamental de la science. Elle dit elle-même qu’elle n’a que des témoignages dont on a été saisi par un gros doute sur leur véracité.

Elle s’est laissé embarquer, comme pour Marco Polo et Nostradamus, dans un tourbillon teinté du désir de mysticisme et d’irrationalité. L’histoire est déjà sujette à tant de remises en question, c’est le fait de toute science, qu’il n’est pas utile de s’enfoncer dans le mythe jusqu’au burlesque.

Que l’éducation scolaire des jeunes cesse de leur vendre un dieu de la réflexion philosophique comme un prédicateur de la vérité. L’étude des textes laissés à la postérité n’a pas besoin d’une paternité farfelue pour servir aux questionnements sur la sagesse que se pose l’humanité.

Et si cette humanité a besoin de mythes, qu’elle les prenne ailleurs que dans l’éducation scolaire et la recherche de la véracité des faits historiques.

C’est une même conclusion pour les trois mystifications que nous propose l’histoire dans les trois articles proposés aux lecteurs, Marco Polo, Nostradamus et Socrate.

D’autres articles en suite ? Peut-être mais il ne faut pas se risquer à lasser les lecteurs avec trop d’exemples lorsque l’objectif est seulement de l’encourager à toujours se placer dans le questionnement rationnel.

Boumediene Sid Lakhdar

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