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Mohamed Boudia : le cœur à l’extrême gauche, 52 ans après son assassinat

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Parfois appelé « l’homme aux cent visages », Mohamed Boudia a probablement eu autant de vies. Enfant d’Alger, homme de théâtre, journaliste, prisonnier, militant pour l’indépendance algérienne et pour la cause palestinienne…

Sa trajectoire fulgurante, profondément enracinée dans les luttes révolutionnaires du XXe siècle, continue de résonner. Le 28 juin 1973, il est assassiné à Paris par le Mossad, avec la complicité de services français. Cinquante-deux ans plus tard, deux livres essentiels lui redonnent parole et densité : l’un en français, Œuvres (Éditions Premiers Matins de Novembre), l’autre en arabe, le roman قلب في أقصى اليسار (Un cœur à l’extrême gauche) de Salim Abadou (Éditions El Amir, Marseille, 2023).

Un homme, mille combats

Né le 24 février 1932 dans la Casbah d’Alger, Mohamed Boudia connaît très jeune la prison, arrêté alors qu’il est apprenti tailleur. Il y rencontre l’injustice, et croise, par le biais d’un bureau social, le théâtre. Dès lors, art et révolte ne feront plus qu’un. Il intègre le Centre régional d’art dramatique d’Alger, puis part à Dijon pour son service militaire. La révolution du 1er Novembre 1954 éclate. Il rejoint Paris et la Fédération de France du FLN, où il devient une figure stratégique. Il participe notamment à l’opération Mourepiane (Marseille, août 1958), avant d’être arrêté, jugé par le tribunal militaire, et incarcéré à la prison des Baumettes à Marseille, puis à Fresnes.

C’est dans ces murs qu’il révèle pleinement son génie créatif et sa détermination. Il monte Le Malade imaginaire de Molière en derdja devant 1 000 détenus, rédige Naissances et L’Olivier, fonde une troupe théâtrale derrière les barreaux. Il est transféré à Angers, s’en évade en 1961 grâce au réseau Curiel, et rejoint l’équipe théâtrale du FLN à Tunis. En 1962, il est nommé à la tête du Théâtre national Algérien (TNA), puis cofonde les journaux Novembre et Alger ce soir.

Dès 1965, il s’exile en France et rejoint le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), devenant un cadre actif de la résistance palestinienne en Europe.

Le 28 juin 1973, une bombe placée sous sa voiture par le Mossad le tue à Paris. Son nom sera même cité dans le film Munich de Steven Spielberg, éveillant bien des curiosités sur « l’Algérien Mohamed Boudia ».

Deux livres pour une mémoire rebelle

1. Mohamed Boudia – Œuvres (1962-1973)

Éditions Premiers Matins de Novembre, 2024

Préfaces de Nils Anderson, Djilali Bencheikh, Jean-Marie Boëglin, Rachid Boudia

Cette publication majeure rassemble pour la première fois ses textes politiques, pièces de théâtre, poèmes et nouvelles. Pensé comme une biographie politique par ses écrits, ce volume donne accès à une pensée stratégique, poétique et combattante. L’homme qui écrivait dans la clandestinité, qui portait la révolution à la scène, réapparaît dans toute sa complexité.

On y retrouve le militant de la Fédération de France du FLN, le fondateur de la revue Novembre, le dramaturge de la prison, l’agent de la cause palestinienne, l’intellectuel internationaliste. Ce corpus lève un silence durable autour d’une œuvre immense, marquée par la guerre de libération, la lutte contre l’impérialisme, mais aussi une langue vivante, populaire, enracinée.

2. قلب في أقصى اليسار (Un cœur à l’extrême gauche) de Salim Abadou Éditions El Amir, Marseille, 2023

Ce roman de Salim Abadou est une merveille de littérature et de mémoire. Il ressuscite la voix de Boudia à travers une fresque romanesque vibrante, mêlant récit, dialogues et fragments de pensée. On y découvre des épisodes méconnus, comme son passage à la prison des Baumettes, où il fonde une troupe théâtrale. L’écriture d’Abadou, fluide et cinématographique, mériterait une adaptation pour le grand écran.

La force du livre réside dans sa capacité à mêler les histoires croisées de la gauche révolutionnaire, de l’Algérie à la Palestine, en passant par l’Europe et l’Amérique latine. L’auteur tisse des liens entre Boudia, Che Guevara, Georges Habache, les Black Panthers, Carlos, et même des intellectuels juifs anticolonialistes. C’est un roman politique, mais aussi un hommage vibrant à l’universel des luttes. Le cœur à l’extrême gauche y bat encore.

Un héritage plus vivant que jamais

Grâce à ces deux livres, Mohamed Boudia n’est plus seulement une silhouette dans un générique de film ou une figure d’archives : il redevient un homme en lutte, un esprit libre, un écrivain de la dignité. Il redevient celui qui disait :

« L’indépendance ne peut se limiter au drapeau ; elle doit toucher les esprits, les corps, les imaginaires. »

Sa vision du théâtre comme outil d’éducation populaire, son refus des impérialismes, sa volonté d’unir les peuples opprimés : tout cela demeure brûlant d’actualité.

Le 20 novembre dernier, une soirée d’hommage lui était consacrée au Centre culturel algérien de Paris. Riche en émotions, lectures et témoignages, elle a rappelé à tous que la mémoire de Boudia n’est pas un mausolée figé. Elle est un souffle.

Lire Mohamed Boudia, c’est résister

Mohamed Boudia incarne cette rare cohérence entre l’artiste et le révolutionnaire. Il faut le lire. L’écouter. Le monter sur scène. Lui rendre la place qu’il mérite dans nos récits nationaux et panafricains, dans nos bibliothèques, sur nos écrans, dans nos consciences.

Lire Boudia, c’est faire vivre un théâtre de combat. Lire Boudia, c’est résister à l’effacement. Lire Boudia, c’est ouvrir les yeux et garder le cœur… à l’extrême gauche.

Djamal Guettala

À lire absolument :

Mohamed Boudia – Œuvres (1962–1973)

Éditions Premiers Matins de Novembre, 2024

قلب في أقصى اليسار (Un cœur à l’extrême gauche) de Salim Abadou

Éditions El Amir, Marseille, 2023 

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