Dans un éditorial publié dans Le Point le 10 juillet 2025, l’écrivain Kamel Daoud revient sur l’affaire Boualem Sansal. Il y voit le symptôme d’un régime algérien verrouillé et d’une diplomatie française incapable d’agir.
Le silence est parfois plus éloquent que les cris. L’affaire Boualem Sansal, emprisonné en Algérie depuis le 16 novembre 2024, continue de susciter l’indignation. Dans un texte fort publié par Le Point, l’écrivain algérien Kamel Daoud signe une analyse lucide et implacable, qui va bien au-delà du sort d’un seul homme.
Selon Daoud, la détention de Boualem Sansal révèle l’état critique des libertés en Algérie. Le pays est décrit comme un « territoire des détentions arbitraires », où la répression ne s’arrête pas aux portes des intellectuels. L’auteur rappelle que les écrivains, naguère menacés par les islamistes, sont aujourd’hui poursuivis, calomniés ou emprisonnés par l’État. Il évoque aussi le cas du chanteur Cheb Mustapha, condamné à cinq ans de prison, sans que cela ne fasse réagir les grands médias internationaux.
Mais l’éditorialiste ne se contente pas de dénoncer la répression. Il s’en prend également à la France, incapable, selon lui, de défendre l’un de ses écrivains. « La France est restée impuissante face à la situation de Sansal », écrit-il, évoquant une suite de déclarations creuses, de gestes symboliques ou de silences prudents. Ce mutisme stratégique aurait renforcé l’impression d’un désengagement profond.
Pour Kamel Daoud, l’affaire Sansal cristallise une double crise : celle d’un régime algérien autoritaire qui instrumentalise la justice, et celle d’une France qui oscille entre radicalité, calculs politiques et réflexes de soumission. « Ceux qui ont cru amadouer le ravisseur se leurrent », écrit-il, dénonçant aussi certains relais français qui ont repris les accusations du pouvoir algérien contre Sansal, allant jusqu’à légitimer son enfermement.
L’écrivain voit dans cette affaire un tournant : non seulement elle révèle la fragilité de l’engagement démocratique sur les deux rives, mais elle expose aussi les limites de la relation franco-algérienne, autrefois rêvée comme un pacte postcolonial renouvelé. Désormais, la priorité semble être la gestion des crises, non leur résolution.
Kamel Daoud conclut avec gravité : « L’affaire Sansal nous a coûté à tous, mais moins qu’à lui. Lui, au moins, conserve sa dignité. »
Le message est clair : dans un monde qui tolère les injustices dès lors qu’elles sont géopolitiquement commodes, la parole littéraire reste l’un des rares contre-pouvoirs à ne pas avoir abdiqué.
Mourad Benyahia