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dimanche 14 septembre 2025
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Le cordonnier en tailleur !

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C’est une marotte de vieux rouspéteurs que de prétendre que les jeunes jettent presque instantanément tout ce qui est légèrement déchiré, troué ou passé de mode. Il ne leur viendrait pas à l’idée de profiter du service d’un cordonnier ou en tout cas dans la même proportion qu’autrefois.

Tout cela est vrai, c’est indéniable, mais je souhaite aujourd’hui nuancer cette rhétorique facile  qui n’a de raison que d’évoquer la nostalgie de la jeunesse et certainement pas l’accusation d’une dépense inutile et ostentatoire. Celles d’autrefois étaient aussi dispendieuses, sinon pires,  au regard du niveau de vie.

Car qui de nos jours accepterait de s’aventurer dans une boutique où une personne est assise en tailleur, revêtue d’une blouse en cuir comme protection des outils tranchants et des salissures que provoque le jet constant de matière ? Attention, il n’y a nullement d’irrespect dans cette question mais l’exposé d’une sensation que ressentent fatalement les plus jeunes.

Le choix de mon titre est un jeu de mots de cour de récréation mais qui me semble être utile pour le sens de cette chronique. L’exemple du cordonnier d’antan et la description qui va en être donnée correspondent parfaitement au tailleur, un autre métier séculaire de l’humanité.

L’odeur du cuir vous assaillait dès l’entrée. On oublie que le luxe traine souvent derrière lui une odeur qui ne partira qu’avec la splendeur du miracle du produit fini. Avez-vous senti l’odeur qui se dégage des tanneries et celle de l’immersion du cuir dans l’eau des bassins  avec la célèbre image des pieds qui le foulent ? 

Voyez-vous un jeune d’aujourd’hui entrer dans un magasin qui dégage une odeur aussi inconnue par eux que celle des plats anciens de nos grands-mères ? Une chaussure de sport Nike ou d’autres marques ne supporte pas la moindre tâche ni odeur lorsqu’elle a la prétention de coûter trois caddies remplis pour un mois de courses de la pauvre ménagère qui compte ses sous.

Mais lorsqu’on se sépare de cette illusion de vouloir imposer aux jeunes une pratique désuète, on peut en toute liberté revisiter le passé, non pas par nostalgie en ce qui concerne les vieilles cordonneries, mais pour les décrire et les archiver dans nos mémoires avant qu’elles ne disparaissent à jamais dans le temps.

C’est pour rendre hommage aux anciens cordonniers pour tous les services qu’ils ont rendus, avec l’humour que suppose la tendresse, mais pas pour les inviter à revenir peupler les rues. Ce serait incongru.  

Une fois passé sa porte et avoir été sevré de l’odeur du cuir qui vous pénètre jusqu’au fond de vos narines, vient alors la vision d’un petit bonhomme, assis en tailleur, vous sourire et vous accueillir en bienvenu. 

Je me suis toujours demandé pourquoi c’était souvent un homme écrasé par l’âge et dont le visage était marqué. En fait, il existe deux raisons majeures. La première est qu’à l’âge de la jeunesse n’importe quelle personne qui avait à peine plus de dix ans que vous, vous semble être dans le crépuscule de la vie, cette limite si éloignée qu’on ne pouvait concevoir, ni par les sens ni par la représentation.

La seconde raison est ce qu’on appelle la capacité manuelle qui est un cours non dispensé au lycée et qui demande de nombreuses années d’expérience. Les centres professionnels n’étaient réservés qu’à ceux qui pouvaient financièrement allonger leurs études au-delà du cours élémentaire. Avec cette condition, les  dons de l’être humain créent toujours des miracles dans le beau et le travail bien fait des artisans.

Sa position en tailleur ferait craquer les articulations de n’importe lequel d’entre nous qui se risquerait de la maintenir pendant plus d’une heure. Lui, c’était dès la levée du jour jusqu’à l’heure du départ du soleil.

Assis en tailleur, on se demandait également comment pouvait-il maitriser en même temps le port de deux clous accrochés à ses lèvres, des outils qu’il maniait avec une dextérité de jongleur et lever la tête en vous demandant la raison de la visite. 

Il le savait parfaitement derrière son œil malicieux que nous entrions chez lui pour autre chose que l’achat de bijoux ou de fruits. Mais, là également, on se demandait s’il n’avait pas suivi des cours de communication et de marketing.

En fait, l’artisanat et le commerce sont aussi vieux que l’enseignement et n’ont pas besoin de suivre la prétention de ce dernier. Il tournait et retournait la paire de chaussure, l’auscultait dans toutes ses dimensions y compris dans son intérieur. En fait, il prenait son temps pour pouvoir réfléchir au prix qui n’assommerait le client au risque de son refus et en même temps celui qui  allait flatter son bénéfice.

C’est que l’oncle Hamza n’avait pas ce luxe intellectuel de penser à la noblesse et à la beauté du coup de main de l’artisanat. Il n’en n’avait pas les moyens, lui qui était courbé tous les jours pour son dur travail, son gagne-pain.

Les gens ne s’engagent dans l’exposé de cette bonne pensée que par ce  qui les intéressent, c’est-à-dire la belle chaussure de luxe, la magnifique robe ou le costume de cérémonie des hommes qui, tous, devaient faire mourir de jalousie les concurrents dans un jeu de combat sous-entendu, ridicule et onéreux. 

Ils subliment le créateur de mode mais oublient toujours les petites mains (on appelle ainsi les ouvriers et ouvrières de ces métiers) qui se sont saignées pour en arriver à ce niveau de luxe.

Voilà pourquoi je voulais vous entretenir de l’image de notre cordonnier d’autrefois. Ce n’est pas pour magnifier un service qui ne répond plus aux exigences modernes. Les points de réparation des chaussures, de duplication des clés ou du montage des piles des montres sont de nos jours bien plus pratiques et avec autant d’efficacité si ce n’est meilleure à cause des outils modernes.

L’histoire des hommes aux mains de génie n’est pas faite pour sublimer le passé des boutiques et des métiers qui nous sembleraient aujourd’hui étouffants par leurs odeurs, leur vétusté et l’archaïsme des outils et pratiques.

Le rappel suffit à les remercier car sans eux, l’artisanat moderne n’existerait pas. Ce n’est pas avec de la nostalgie qu’on fait avancer le monde.

On m’a dit que depuis ce temps éloigné de mon Oran de jeunesse, le cordonnier de la rue de la Bastille (si mon souvenir du lieu est exact) est parti. Sa boutique, raison et moyen de sa vie, il l’aurait emmenée avec lui vers la promesse de l’éternité.

Boumediene Sid Lakhdar

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