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dimanche 12 octobre 2025
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Aziz Bensadek : « La lutte finit toujours par payer »

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Le 17 octobre 1961 demeure une date tragique et fondatrice dans la mémoire collective algérienne et française. Ce jour-là, des milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu raciste imposé par le préfet Maurice Papon. La répression policière fut d’une extrême violence, faisant des centaines de morts, longtemps niés par l’État français.

Soixante-quatre ans plus tard, le combat pour la reconnaissance et la justice se poursuit. À Marseille, Aziz Bensadek, militant antiraciste et animateur à Radio Galère, revient pour Le Matin d’Algérie sur la portée historique de cet événement, sur la mémoire des luttes anticoloniales et sur l’engagement nécessaire pour construire un avenir fondé sur la dignité et l’égalité.

Aujourd’hui encore, les héritages coloniaux traversent les débats politiques et les fractures sociales en France. Pour Aziz Bensadek, se souvenir n’est pas un exercice du passé, mais un acte de résistance.

Le Matin d’Algérie : Aziz, pouvez-vous nous raconter ce que représente pour vous le 17 octobre 1961 et pourquoi il reste aujourd’hui un symbole important ?

Aziz Bensadek : L’association des professeurs d’histoire-géographie de l’enseignement public fait sienne cette célèbre citation : « Celui qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre ». Comment ne pas y souscrire, moi, un natif des montagnes de Kabylie, symboles tout comme les Aurès d’une résistance acharnée à la féroce répression de l’armée coloniale française ?

Cette date est à mon sens un symbole essentiel, car, à l’instar de la grève des huit jours de janvier 1957 à Alger et des manifestations du 11 décembre 1960 sur tout le territoire national, l’implication pacifique de la population algérienne dans le combat libérateur fut déterminante pour l’accès à l’indépendance de notre pays.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes animateur à Radio Galère : comment utilisez-vous ce média pour sensibiliser le public aux luttes contre le racisme et les héritages coloniaux ?

Aziz Bensadek : Radio Galère a vu le jour au lendemain de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Elle fut fondée par des militantes et militants antiracistes à une époque marquée par les meurtres racistes et la dérive sécuritaire.

Son ADN repose sur ce double combat : la lutte contre le racisme et celle contre le colonialisme. Ces deux dimensions, indissociables, se traduisent concrètement dans la grille des programmes. Être membre de Radio Galère, c’est adhérer à cette vision exigeante et profondément humaniste de la chose publique.

Le Matin d’Algérie : En tant que membre de la CADSA, quelles actions concrètes menez-vous pour soutenir les mobilisations populaires et anticoloniales ?

Aziz Bensadek : Le Collectif pour une Alternative Démocratique et Sociale en Algérie (CADSA) est né après la grande manifestation pacifique du 19 février 2019. Il a pour but de relayer les mobilisations populaires en Algérie.

Créé par des militantes et militants d’origine algérienne engagés depuis longtemps contre le racisme en France – un racisme souvent dirigé d’abord contre les Algériens – le CADSA agit dans une logique de convergence des luttes : antiracisme, solidarité internationale, et appui aux peuples en lutte contre le joug colonial.

Le Matin d’Algérie : La marche du 17 octobre à Marseille est organisée par plusieurs collectifs. Quel rôle jouent ces rassemblements dans la mémoire et la lutte contemporaine ?

Aziz Bensadek : Tout comme la lutte du peuple palestinien pour sa libération devrait concerner toute personne éprise de justice et de liberté, la commémoration du 17 octobre 1961 ne relève pas uniquement des Algériens.

Ces marches réclament avant tout la reconnaissance officielle par l’État français du massacre du 17 octobre 1961 comme crime d’État.

Se mobiliser collectivement, au-delà des origines, est indispensable pour inscrire cette mémoire dans la conscience universelle et favoriser enfin cette reconnaissance.

Le Matin d’Algérie : Comment voyez-vous la situation actuelle en Kanaky et en Martinique, et quel parallèle établissez-vous avec les violences policières et racistes en métropole ?

Aziz Bensadek : La Kanaky et la Martinique vivent encore sous un régime colonial, avec toutes les injustices qui en découlent. Les soulèvements y sont récurrents, et la réponse de l’État français reste avant tout sécuritaire : on envoie l’armée pour écraser des insurgés à mains nues, comme à Ouvéa en 1988, ou des unités d’élite pour réprimer les manifestations en Martinique.

En métropole, dans les quartiers populaires issus de l’immigration coloniale, la logique est la même : abandon social, répression policière, propagande médiatique. La continuité coloniale saute aux yeux.

Le Matin d’Algérie : Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à la reconnaissance par la société française des crimes coloniaux et du racisme d’État ?

Aziz Bensadek : La société française est travaillée en profondeur par des médias ouvertement racistes. La colère légitime des classes populaires est détournée : on leur désigne l’étranger comme bouc émissaire.

Aujourd’hui, les courants nostalgiques de “l’Algérie française” sont aux portes du pouvoir. Si cela devait se concrétiser, ce serait un immense recul historique dans la reconnaissance du fait colonial et du racisme d’État.

Face à cela, la mobilisation des descendants de l’immigration postcoloniale devient une nécessité vitale.

Le Matin d’Algérie : Pouvez-vous partager une expérience marquante de votre engagement militant ?

Aziz Bensadek : Oui, un moment fort date de 2010. Cette année-là, Radio Kalima, média de l’opposition tunisienne, fut interdite de diffusion sur Eutelsat sous la pression du régime de Ben Ali.

Radio Galère a alors accepté d’héberger deux créneaux hebdomadaires pour permettre à Kalima d’émettre depuis Marseille.

Le 14 janvier 2011, jour de la fuite de Ben Ali, nous étions en direct avec notre correspondant à Tunis. Nous avons vécu en temps réel cet instant historique du “printemps arabe”.

Ce fut une nuit inoubliable, d’émotion et d’espoir, que nous avons prolongée devant le consulat de Tunisie, rue d’Athènes à Marseille.

Le Matin d’Algérie : Comment mobiliser les jeunes générations autour de ces luttes historiques et contemporaines ?

Aziz Bensadek : Je ne suis pas pessimiste. La jeunesse actuelle se réapproprie ces mémoires à sa manière, avec ses propres outils et ses réseaux.

Son engagement, notamment en faveur de la Palestine, montre qu’elle comprend la continuité entre les luttes d’hier et celles d’aujourd’hui. Notre rôle, à nous les anciens, est de transmettre nos expériences pour nourrir cette dynamique.

Le Matin d’Algérie : En tant que militant et communicateur, quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent s’engager ?

Aziz Bensadek : Je n’ai pas la prétention de donner des conseils. Mais chacun, à son échelle, peut contribuer en s’informant, en participant à des actions d’éducation populaire, en rejoignant des collectifs, en refusant le silence.

L’engagement commence souvent par un simple geste de solidarité ou une parole libre.

Le Matin d’Algérie : Enfin, quelle est votre vision d’un avenir fondé sur la mémoire, la justice et l’égalité ?

Aziz Bensadek : Même si je ne serai plus de ce monde quand ce “grand soir” adviendra, je continuerai à me rendre disponible pour que mémoire, justice et égalité deviennent réalité.

C’est le sens même de l’histoire humaine. La lutte finit toujours par payer.

Entretien réalisé par Mourad Benyahia

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